Nous ne mourrons plus !
En raison des particularités de cette année, beaucoup de nos frères et sœurs en paroisse ont vécu cet après-midi une liturgie d’entrée dans les fêtes pascales. D’autres vivront cette veillée demain matin, avant le jour. D’autres encore n’ont pas les moyens de se rendre dans une église ; certains sont alors unis à nous à travers leur écran ; nous les saluons très fraternellement.
Au sanctuaire du Laus, il nous est possible, en interne, de conserver ce qui se fait ordinairement pour la vigile pascale : à savoir une célébration de veille au soir. Avec un seul impératif exigé par la liturgie : que la vigile commence une fois la nuit tombée.
Mais l’expression est pesante, vous ne trouvez pas ? « La nuit tombée » : l’obscurité semble tomber sur le jour comme tombe une mauvaise nouvelle ; comme le Sauveur, hier sur son chemin de croix, est tombé par trois fois. Ou comme un jour tombera sur nous la mort inéluctable : nos paupières vont se fermer, puis ce sera le couvercle de notre cercueil, et il fera nuit noire... Tombée de rideau sur notre vie passée sur terre !
Mais en fait, en célébrant la vigile pascale à la tombée de la nuit, nous reconnaissons que ce cercueil dans lequel nous nous trouverons un jour ne nous sera pas étranger, car nous connaissons déjà ce lieu ; nous y étions tout-à-l’heure ! Au tombeau avec le Christ, nous avons osé regarder bien en face la mort tragique et incontournable. Nous avons ainsi mystérieusement anticipé notre propre mort en nous unissant à celle du Christ… en fait, non : nous ne l’avons pas anticipée, nous l’avons revécue. Nous avons revécu avec le Christ son entrée dans le tombeau, à laquelle notre baptême nous a associés : ce jour-là, nous sommes morts par notre plongée dans l’eau baptismale.
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Mais ça ne s’est pas arrêté là ! Depuis le tombeau obscur et silencieux, nous avons vu jaillir une lumière : celle d’un feu nouveau. Le Cierge pascal, symbolisant le Christ ressuscité, a éclairé la nuit, comme à notre mort une Lumière viendra éclairer l’obscurité de notre tombeau : ce sera le Christ vivant, qui nous y rejoindra pour nous en sortir.
Forts de cette foi, nous avons alors levé nos cierges pour le refrain de l’Exultet : « Nous te louons, splendeur du Père, Jésus, Fils de Dieu ! » Oui, splendeur éternelle, qui vient traverser la porte du tombeau pour un jaillissement de vie nouvelle ! Comme au jour de notre baptême, où nous sommes ressortis de la cuve baptismale dans un jaillissement d’éternité !
Serait-il donc possible de vivre désormais d’une autre réalité que cette vie-là ? Plongés dans la mort avec le Christ et ressuscités en Lui, nous ne pouvons plus vivre sur terre dans la tristesse ou l’inquiétude de voir la vie passer trop vite et la mort nous faucher un jour ! La vie nouvelle a jailli du tombeau, la mort n’a plus aucun pouvoir, l’éternité est déjà commencée… n’est-pas temps d’y croire vraiment et d’en vivre réellement ?
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La nuit pascale vient alors changer notre regard sur la vie, et donc notre regard sur la mort. Osons donc penser déjà à notre mort, non pas d’abord pour préparer un testament en bonne et due forme, mais pour raviver notre foi en la résurrection. Par exemple, qu’est-ce qui serait cohérent, comme chrétien, de faire écrire sur notre pierre tombale ? Je pense sincèrement qu’un chrétien devrait refuser qu’on y écrive la date de sa mort. À côté de notre date de naissance, il faudrait plutôt écrire celle de notre baptême ; car c’est bien ce jour-là que nous sommes morts avec le Christ et nés à la vie éternelle !
En fait, je me dis plus précisément que, sur notre pierre tombale, il faudrait écrire la date où nous avons été conçus, puis la date où nous avons été baptisés : nos deux entrées dans la vie, la charnelle et l’éternelle ! Si la première date n’est pas forcément facile à retrouver, la deuxième devrait être gravée en nos cœurs comme dans du marbre : jour mémorable, le plus important de notre vie, quand nous sommes nés à la vie nouvelle qui n’aura pas de fin !
Écrire sur nos tombes la date de notre baptême plus que la date de notre mort, c’est reconnaître que le jour où nous avons été plongés dans le mystère pascal est bien plus essentiel que celui où notre cœur cessera de battre. Car, par le Christ, nous ne mourrons plus ! Bien sûr, la réalité physiologique de la mort va nous marquer un jour ; et quand elle touche nos proches, elle continue à revêtir nos cœurs d’une profonde tristesse. Mais enfouie dans le tombeau du Christ, nous reconnaissons que cette mort a perdu sa puissance de fin de vie. Et toute notre existence devient alors un grand Alléluia !
C’est cela, que nous confessons ce soir, et pas du bout des lèvres ! Nous n’allons pas finir en décomposition. Nos proches qui sont morts ne sont pas devenus poussière : s’ils ont consenti à être plongés dans la vie du Christ et à s’ouvrir à sa miséricorde, ils sont vivants à jamais ! Sur eux comme sur nous, la mort n’a plus le dernier mot !
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Mais si la mort n’a pas le dernier mot, il nous faut en trouver d’autres, des mots, pour dire ce qu’est désormais la vie humaine. La mort n’est plus à craindre comme une échéance de fin de vie ; elle est donc à refuser comme un frein présent à la vie.
Nos mots pour dire la vie sont donc désormais les mots de bonté, miséricorde, vérité, justice et paix. Nos mots pour dire la vie sont des actes courageux et humbles à la fois, par lesquels nous témoignons que la résurrection du Christ est bien à l’œuvre dans le monde. Nos mots pour dire la vie sont des combats contre les forces du mal, ces forces devenues tellement faibles depuis que le Christ les a paralysées sur la croix.
Le mal et la mort n’ont plus le dernier mot. Le dernier mot, c’est désormais l’Alléluia de Pâques. Appelé à se décliner en puissance de vie dans tout ce que nous faisons et en puissance d’amour dans toutes nos relations, ce grand Alléluia retentit dans les moments forts et les moments faibles de nos vies, quand nous sommes dans la joie ou au creux de la vague… toujours, la lumière de l’Alléluia pascal apporte une clarté qui parle déjà d’éternité et qui nous convainc qu’elle est bien à l’œuvre dans le quotidien le plus ordinaire de nos existences ! Nous sommes ressuscités, vivants pour toujours ! Alors, nous savons désormais ce qu’il faut écrire sur nos pierres tombales, et plus encore sur nos cœurs et sur nos visages :
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, Alléluia !
Avec Lui, nous sommes ressuscités, Alléluia !