vendredi 15 avril 2022

Par le père Yves-Marie Afouda, chapelain

Pour nous aider à méditer la Passion selon saint Jean que nous venons d’écouter, je voudrais simplement nous livrer ici, la méditation de Mgr Fidèle AGBACHI, archevêque émérite de Parakou.

Dans la Semaine Sainte, la liturgie choisit de nous faire entendre par deux fois le récit de la Passion pour qu’à Pâque, nous ne nous trouvions pas à célébrer la Résurrection du Christ sans savoir comment est advenue sa mort. Si par ailleurs le processus de la Résurrection demeure strictement le secret du Père, les Evangiles nous rapportent abondamment ce qui concerne la mort du Christ, depuis la dernière Cène jusqu’à la mise au tombeau, en passant par les mensonges du procès. Tous ces récits viennent bien à propos pendant la Semaine Sainte.

L’Eglise choisit de nous faire entendre au dimanche des Rameaux les récits de Mathieu, de Marc et de Luc respectivement aux cycles liturgiques A, B, et C, mais tous les ans, le Vendredi Saint, elle propose le récit de la Passion selon Saint Jean. Nous venons de l’entendre et sa richesse se passe de commentaires.
Je voudrais tout simplement poursuivre comme une catéchèse, le thème que j’ai soulevé dimanche dernier à propos du récit de la Passion selon saint Luc, et partir de l’Evangile de ce jour pour traiter sommairement le thème du mensonge de l’homme dans le récit de la Passion selon saint Jean.

Je ne veux pas laisser entendre que dans la Passion du Christ, l’homme n’est que mensonge (cf. Pss 12(11),3 ; 14,13),1 ; 53(52),2), mais demandons-nous : si l’homme n’était pas mensonge, aurait-il besoin d’être sauvé par la Passion du Christ ? De là, on comprend l’importance de ce thème qu’en Saint Jean je traiterai en annexant à la Passion du Christ la scène du lavement des pieds. De fait, au lavement des pieds, on voit déjà poindre les plus grands menteurs de l’occasion : Satan et Judas, tous les deux mentionnés simultanément et inséparablement dès le verset deuxième du chapitre treizième.
Satan agit dans l’ombre, et Judas est mu par lui. C’est ce que laisse entendre l’Evangéliste au verset 27 quand il dit : Satan entra en Judas.
Mais leur manœuvre n’échappe pas à Jésus qui constate devant les Douze : vous n’êtes pas tous purs (v.11).
Cela veut dire que quelqu’un est dans le faux. Jésus se fera plus précis en déclarant : en vérité, en vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera (v.21).
L’entreprise connaitra un début de réalisation quand l’évangéliste constate que Judas sortit et qu’il notifie aussitôt qu’il faisait nuit (v.30).
Il n’y a pas seulement un effet de hasard entre la sortie de Judas et l’avènement de la nuit, car le mensonge a horreur de la lumière, étant une œuvre de ténèbres qui n’a de chance de succès que dans l’obscurité. De plus, c’est dans le noir de Gethsémani que Jésus sera arrêté. Les ténèbres, c’est le temps et le lieu du mensonge.

Le mensonge qui suivra celui de Judas sera celui de Pierre avec son triple reniement. La merveille rédactionnelle de Jean, c’est d’insérer, entre le premier et les deux autres reniements de Pierre l’interrogatoire de Jésus chez le Grand-Prêtre Caïphe. Ainsi, le mensonge ouvre-t-il deux fronts (le Grand-Prêtre et Pierre) et, comme prise en sandwich au milieu, la vérité (Jésus). L’élément témoin de tout cela, c’est le coq dont l’évangéliste dit après le troisième reniement de Pierre : aussitôt, un coq chanta. Par son chant, le coq rend témoignage à la fois à la vérité et au mensonge, car la Vérité avait prédit le mensonge.
Ah ! Ce coq ! Si Pierre le tenait !... Comme le Seigneur tire louange de la bouche des enfants, des tout-petits (Ps 8,3), ainsi fait-il rendre témoignage à la vérité par un être dénué de conscience. Le coq de Pierre ! Pierre n’oubliera jamais ce chant de coq ou le chant de ce coq.

Le cortège du mensonge arrive au palais du Gouverneur Ponce Pilate. Celui-ci interroge Jésus et partage sa surprise avec la foule des Juifs en déclarant qu’il ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation. Des vociférations lui répondent : crucifie-le, crucifie-le !
Pilate pense s’en sortir en proposant pour le crucifiement un autre qui le mérite bien : Barabbas, bandit et homicide. Mais la foule rejette la valide candidature de Barabbas pour la crucifixion et préfère, toujours par vociférations, celle de Jésus.
Le mensonge n’est pas seulement contre la vérité, mais aussi contre la justice. Ce sera au tour des Grands-prêtres de rendre à Pilate le service de sortir de son hésitation à faire crucifier Jésus. L’argument massue, reconstruisons-le : "nous, les Juifs, nous sommes amis de César et nous te livrons Jésus son ennemi qui cherche à soulever le peuple et qui se dit roi des Juifs. Or, nous, nous n’avons d’autre roi que César".
Celui qui connaît l’histoire sait aussi que ce mensonge est gros. En effet, les Juifs n’ont jamais accepté la présence de l’occupant romain sur la terre de Dieu, comme aucun peuple n’a jamais bien accueilli le colon sur son territoire. Ce n’est même là que se trouve le vrai mensonge, mais le mensonge, c’est quand, pour se débarrasser de Jésus, les Juifs l’accusent d’être anti-romain et se proclament proromains devant Ponce Pilate, Gouverneur romain, se montrant, comme on dit, plus royalistes que le roi et plus catholiques que le Pape.
Le mensonge ! Ne serait-ce que pour sauver sa carrière et même sa tête, Pilate ne pourra que choisir de mentir à sa propre conscience et d’exécuter Jésus. Ainsi, sous l’influence du mensonge, du chantage et du terrorisme, Jésus se trouve-t-il condamné. Le mensonge de l’homme dans le quatrième Evangile a cette force particulière qu’il fait partie, avec deux autres éléments, du trio ténèbres, mensonge et mort.

Quoi qu’il en soit de ces forces négatives, elles sont définitivement vaincues par le Verbe qui est Lumière, Vérité et Vie.
Dans la Passion du Christ, le mensonge ne semble triompher que pour prendre la dernière ligne droite vers la défaite infligée par le Ressuscité