Solennité de la dédicace de la basilique Notre-Dame du Laus

dimanche 31 octobre 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Des vaisseaux pour le Ciel

 

La solennité de la dédicace de la Basilique fait méditer l’évangile de la Samaritaine : Jean 4,5-14

 

C’est un grand bouleversement qu’apporte le Christ : l’important n’est plus le lieu, Jérusalem ou Samarie. L’important, c’est la manière : en esprit et en vérité. La foi n’est pas une question de lieux, de rites ou de langues… elle est une question de vérité spirituelle, de vérité du cœur !

Les bâtiments églises n’ont donc de sens qu’à partir de cette révélation du Christ à la Samaritaine. À ne considérer que l’édifice, on ne peut pas dire que Dieu y est plus présent qu’il ne l’est dans chaque maison de chrétiens, dans chaque cœur chrétien.

Les bâtiments églises trouvent leur légitimité et leur nécessité seulement en tant que lieux de rassemblement ; le rassemblement de la communauté chrétienne, qui se situe entre deux rassemblements fondamentaux : celui de la Pentecôte où l’Esprit Saint nous a tous unis en Lui, et celui du Paradis où nous serons rassemblés en Dieu pour toujours.

Donc, à chaque fois qu’une cloche sonne pour réunir une assemblée, c’est afin d’y vivre la réalité de ce mystère présent, entre ces deux rassemblements : la Pentecôte et le Ciel ! Une communauté se retrouve donc dans une église pour raviver la grâce du rassemblement de Pentecôte et pour se préparer au Rassemblement éternel. Frères et sœurs, nous sommes tous essentiellement présents ici pour cela : raviver la grâce du rassemblement de Pentecôte et nous disposer au Rassemblement éternel.

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C’est d’ailleurs pourquoi, me semble-t-il, la Vierge Marie insiste à ce point sur la construction d’églises. En de nombreux lieux, quand la Mère de Dieu apparaît, c’est bien sûr d’abord pour appeler à la conversion, mais c’est ensuite souvent pour demander la construction d’une église.

Ainsi au Laus, on lit dans les manuscrits que la Belle Dame dit à Benoîte « qu’elle voulait faire bâtir ici une église, de la longueur qu’elle doit être et comme elle la veut. » « Benoîte lui répond qu’il n’y a pas d’argent pour la bâtir. Il faudra demeurer dans cette petite chapelle comme elle est. Marie lui dit de ne pas s’étonner : quand il faudra bâtir, on trouvera tout ce dont on aura besoin et au plus tôt. » Voyez la persévérance mariale : notre Mère sait que nous avons besoin d’églises, et de belles églises. Notre Mère veut y rassembler ses enfants et les protéger des intempéries, de toutes les intempéries de la vie.

Avec Marie présente à la Pentecôte auprès des apôtres et avec Marie présente au Ciel depuis son Assomption, nos rassemblements dans nos églises sont donc vraiment une adoration en esprit et en vérité, entre la Pentecôte et le Ciel. Nous y devenons un signe visible de l’unité qui vient de l’Esprit Saint et un signe prophétique du Rassemblement céleste appelé à faire notre joie éternelle.

C’est bien la première raison d’être de nos églises, qui devrait nous faire entrer dans ces lieux avec un saisissement sacré : à chaque fois que nous franchissons la porte d’une église, c’est comme une répétition générale, et plus encore : une préparation au passage vers le Ciel ! Et à chaque fois que nous prions ensemble dans une église - au plus haut point bien sûr pour l’Eucharistie -, la grâce de la Pentecôte en est ravivée, et l’Esprit Saint nous saisit pour nous unir davantage encore dans le corps du Christ.

Je vous invite à y penser vraiment quand vous entrez dans une église. Ce n’est pas un simple local pour la prière, ce n’est pas un lieu patrimonial à visiter : c’est un grand vaisseau, une embarcation solide malgré toutes les tempêtes de la vie du monde et de la vie de l’Église ; un vaisseau solide, qui nous conduit d’une rive à l’autre, de la terre au Ciel, et du « chacun pour soi » au « tous ensemble dans l’Esprit Saint ».

Par pitié, n’entrons pas distraitement dans nos églises ! N’en faisons pas des halls de gare, même s’il est sympathique d’y retrouver des amis. Il existe un lieu pour les retrouvailles, c’est le parvis. Prenez le temps de vous y arrêter pour saluer les frères et les sœurs avant la messe ; et n’en repartez pas trop vite au terme de l’Eucharistie, car c’est là qu’on y vit la réalité de la fraternité entre nous.

Mais dans l’église, respectons ce silence sacré d’un mystère qui vient nous saisir : entre Pentecôte et Paradis, la grâce y fait de nous tous ensemble ce que le bâtiment vient signifier et que saint Pierre nous a rappelé tout à l’heure : nous sommes les pierres vivantes de l’édifice spirituel !

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Le chef des apôtres nous a alors exhortés : « Comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. » Tout cela peut sembler un peu difficile à comprendre, mais c’est bien la deuxième raison d’être essentielle de nos églises : nous y rassembler pour présenter des « sacrifices spirituels », c’est-à-dire la louange qui sort de nos lèvres, l’intercession par laquelle nous présentons à Dieu le monde entier, et l’adoration dans laquelle nous nous décidons à ce que tout soit à Dieu.

L’église est donc le lieu privilégié de notre rencontre amoureuse et communautaire avec le Dieu vivant ! C’est pourquoi la Présence réelle du Ressuscité nous y attend et nous y attire dès que nous entrons dans l’édifice. Je trouve toujours très beau de voir des croyants entrer dans une église qui leur est inconnue, et chercher où se trouve le tabernacle. Le chercher comme on cherche un ami, avec joie et grand désir de ne pas manquer de le saluer. Et quand on repère la petite lumière rouge, c’est comme un émerveillement : « Ah, Seigneur, Tu es là, je te cherchais ! » Et je sais au fond de mon cœur qu’il me répond : « Ah, Ludovic, tu es là, je t’attendais ! » Le Seigneur était déjà présent auprès de moi, et moi - sans toujours en avoir conscience- j’étais déjà auprès de Lui. Mais ce lieu privilégié de la rencontre vient raviver l’amour partagé !

À l’origine, la réserve eucharistique conservée dans nos églises servait à porter le Christ aux malades. Avec le temps, on a pris toujours plus conscience que la Présence réelle du Christ au tabernacle venait dire et réaliser concrètement la promesse du Seigneur avant son Ascension : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ». 4 lieux dans une église viennent attester la vérité de cette parole : la croix, l’Autel, l’ambon et le tabernacle. La croix qui dit le don du Christ, l’ambon sa Parole vivante, l’Autel la solidité de son offrande, le tabernacle sa présence indéfectible.

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Présence réelle du Christ dans tous les tabernacles du monde, qui devient alors une invitation permanente à adorer en esprit et en vérité. Nos églises sont des témoins de la rencontre intime de Dieu avec les hommes. Elles sont donc des maisons pour tous ; personne n’en est exclu. C’est tellement évident que l’on n’y fait peut-être même plus attention, et donc que l’on ne s’en émerveille plus assez : pas besoin de certificat de baptême pour entrer dans une église. Tout le monde y est chez soi.

Cette basilique est bien à vous, frères et sœurs pèlerins. Vous y êtes chez vous. Elle a beau avoir été spoliée en 1905 pour devenir propriété de la commune, elle est restée à vous. Elle a beau être sous la responsabilité d’une équipe de prêtres et de sœurs, elle ne nous appartient pas davantage à nous qu’à vous. Vous êtes ici chez vous ; faites donc comme chez vous ! La maison du Seigneur est la maison de tous !

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Ici au Laus, nous avons la grâce de disposer d’une basilique belle et propre. Toutes nos églises devraient être pareillement soignées. Il y a sans doute à y œuvrer plus concrètement, dans l’église de votre paroisse qui n’est peut-être pas bien entretenue, ou le ménage pas fait très souvent, ou la porte désespérément fermée à clé. Mais puisqu’on y est chez soi, il faut en prendre soin comme on le fait de son « chez soi ». En prendre soin pour magnifier ces lieux de rassemblement, où des générations nous ont précédés, et des générations nous y succèderont sans doute.

Vous voyez : nous sommes ainsi pris dans un grand mouvement qui transcende le temps et qui transcende l’espace. Nos églises appartiennent autant aux générations passées qu’aux générations futures, qu’à nous-mêmes ; et nos églises sont autant des lieux de rassemblement présent que des lieux de mémoire du rassemblement de Pentecôte et d’annonce du Rassemblement éternel !

Ainsi, le vaisseau dans lequel nous sommes ici embarqués transcende le temps et l’espace. Il nous conduit alors en chaque Eucharistie jusqu’à Jérusalem. On monte ensemble dans l’embarcation, on se tient les coudes en unissant les voix. Ceux qui ont le plus de force soutiennent ceux qui traversent des épreuves, et ainsi tous peuvent entamer le grand voyage. À chaque messe, le vaisseau commence sa grande traversée pour accoster à la table du Jeudi Saint et entendre Jésus dire : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Le vaisseau est alors transporté sur le mont Golgotha, pour que le sang jailli du côté ouvert du Christ remplisse le calice et asperge toute l’assemblée. Puis le vaisseau se retrouve dans la tombe de Jésus, pour en pulvériser par Lui la lourde pierre, et sortir vivant, vivant ensemble, ressuscités ! Et après la messe, on quitte le vaisseau pour porter cette vie au monde !

Tel est le voyage que nous venons vivre, à chaque fois que nous montons dans le vaisseau-église pour participer à la messe. Tel est le voyage dans lequel nous sommes embarqués ensemble, aujourd’hui encore. Destination : le Ciel ! Amen.