lundi 29 mars 2021

Par père Ludovic Frère, recteur

Rien n’est trop beau !

« Six jours avant la Pâques », c’est la fête à Béthanie ! Chez Marthe, Marie et Lazare, un grand repas est organisé en l’honneur de Jésus. On imagine des festivités réjouissantes : comment ne pas fêter avec enthousiasme celui à qui l’on devait tant ? Personne, évidemment, n’a oublié à Béthanie que Jésus avait réveillé Lazare d’entre les morts !

 

On sort alors la plus belle vaisselle, on sert les meilleurs plats. Jésus se serait contenté de choses plus simples, mais il accueille certainement avec plaisir ces expression d’amour fraternel. On fait sans doute asseoir le Seigneur sur le meilleur siège, on lui demande ce qu’il veut boire, ce qu’il souhaite manger. Tout le monde est un peu « Marthe » à ce moment-là, affairé pour bien accueillir Jésus !

 

Car rien n’est trop beau pour fêter l’ami qui été jusqu’à réveiller Lazare de la mort. Rien n’est trop beau ! Même un parfum de grande valeur versé sur ses pieds, ça n’est finalement pas grand-chose au regard de la valeur de la vie ! Et Jésus laisse faire, car en tous les petits gestes, il sait voir des témoignages d’amour. Alors, même si ça n’est pas vraiment utile qu’on en fasse autant pour lui, il laisse faire et son cœur en est touché !

 

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L’enthousiasme avec lequel on accueille ici Jésus interroge alors nos propres enthousiasmes : est-ce que, pour le Seigneur, nous mettons nous aussi les petits plats dans les grands ? Est-ce que nous lui réservons la meilleure part, dans notre emploi du temps comme dans nos biens matériels ? Est-ce que nous versons à ses pieds ce qui a pour nous le plus de valeur, ou est-ce que nous gardons jalousement pour nous ce qui nous est précieux ?

 

La générosité de Lazare, de Marthe et de Marie interroge en fait notre foi et notre amour pour le Seigneur : pour celui qui ressuscite les morts, rien n’est trop beau ! Pour celui qui nous ouvre à la vie éternelle et qui, sans cesse nous redonne vie, rien n’est trop beau ! Pour celui qui nous aime infiniment plus que nous ne parvenons à le saisir, rien n’est trop beau ! Pour celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute intelligence, rien n’est trop beau ! Nous devrions donc passer notre temps à bien accueillir le Christ, à le fêter, à le gâter, à lui donner le meilleur. En ce début de semaine sainte, voilà comme un baromètre de notre amour du Christ : est-ce que nous l’aimons jusqu’à lui donner le meilleur ? Est-ce que nous l’aimons jusqu’à le suivre au plus près, surtout cette semaine ?

 

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Cette générosité qu’on déverse à ses pieds, le Christ en fait l’occasion de préparer les cœurs à ce qui va arriver. On veut fêter celui qui a réveillé un mort ; mais c’est encore autre chose vers lequel le Christ s’achemine : non plus seulement réveiller un mort qui par la force des choses allait de nouveau mourir un jour, mais mourir lui-même pour qu’il n’y ait plus de mort.

 

La générosité de la sœur de Marthe et de Lazare devient alors un signe d’une réalité plus grande : « en vue du jour de mon ensevelissement », c’est ainsi que Jésus donne le sens de ce geste, « six jours avant la Pâque ». Comme on embaume le corps mort d’aromates, sans le savoir Marie annonce la mort de Jésus. Mais au jour de Pâques, le rituel ne pourra être fait : les femmes venues au petit matin pour l’accomplir se retrouveront devant un tombeau vide. Marie anticipe alors ce qui ne sera pas possible au jour de Pâques, ce qui ne sera plus utile puisque la bonne odeur viendra d’ailleurs : bonne odeur éclatante de la résurrection du Christ !

 

Ainsi, les choses seront renversées : au jour de Pâques, ce ne sera plus à nous d’offrir au Seigneur le meilleur ; c’est Lui qui va nous l’offrir. Il va nous redonner vie, il va nous donner Sa vie, au point que saint Pierre pourra confesser que nous sommes désormais participants de la nature divine ! Même un parfum de grand prix a bien peu de valeur au regard d’un si grand don !

 

S’il convient donc toujours de chercher à offrir au Christ le meilleur, le comportement authentiquement chrétien a sa source dans la disponibilité à accueillir le meilleur que nous offre le Christ. Non pas seulement ce que nous lui donnons, mais ce qu’il nous donne. Ainsi devenons-nous vraiment chrétiens : en recevant ce que Dieu donne, plus qu’en faisant par nos propres forces.

 

C’est seulement ainsi que nous pouvons vivre en vérité les Jours Saints qui approchent : non pas seulement en présentant à Dieu ce que nous pouvons lui offrir, mais en Le laissant nous donner tout. Car le salut n’est pas la conséquence de nos offrandes, la fécondité pascale n’est pas la conséquence d’un bon Carême : tout est donné, par celui qui verse infiniment plus qu’un parfum de grand prix : c’est son sang qu’il répand pour nous, la valeur infinie de son sang divin, offrande sans prix qui nous sauve éternellement !

 

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Lazare, Marthe et Marie sont donc de précieux compagnons pour ce début de Semaine Sainte. Il se trouve justement que notre saint Père nous les a récemment donnés ensemble comme compagnons de vie. C’était le 2 février dernier ; le pape François ajoutait la mémoire des saintes Marie, Marthe et Lazare au calendrier général romain : on les fête désormais ensemble le 29 juillet, qui devient ainsi la fête des frères et sœurs ; il ne faudra pas l’oublier à la fin du mois de juillet !

 

En célébrant ensemble, dans une même fête, ces trois saints frère et sœurs, l’Église nous invite à penser à ce que nos frères et sœurs de sang ont pu nous aider à vivre jusqu’alors dans notre foi ; mais plus encore, nous aider à prendre davantage conscience que dans le sang de l’offrande de valeur infinie que le Christ verse sur la croix, nous puisons des relations nouvelles les uns avec les autres, au point de pouvoir se dire « frères et sœurs » et de l’être vraiment.

 

Voilà encore l’un des fruits de l’offrande sans prix qu’il nous faut accueillir les mains vides.

Amen.