Aussitôt, la barque toucha terre
D’abord, les ténèbres… « déjà les ténèbres » écrit précisément saint Jean, comme s’il regrettait que le soir soit tombé si vite. Comme s’il pensait ici au soir de la vie, qui arrive bien rapidement. Oui, si certaines heures passent lentement, la vie humaine passe très vite… puis, « déjà les ténèbres ».
Déjà les ténèbres planaient sur les hommes balotés dans la barque de leur trop courte vie… et saint Jean d’ajouter : « Jésus n’avait pas encore rejoint les disciples ». Cet épisode de la tempête apaisée n’est-il alors pas un résumé de ce qu’était l’existence humaine, avant qu’elle ne soit rejointe par le Christ ressuscité ? Simple existence de quelques années, puis déjà les ténèbres, avec aucune autre issue à vue humaine.
Oui, telle était notre destinée avant la venue du Sauveur. Sans Lui, les grands vents paraissent plus forts que tout, la mer agitée devient incontrôlable. Pas de sens à la vie, pas de sens aux épreuves : juste ramer, sans avoir l’impression d’avancer vraiment, et voir arriver le soir de la vie, trop vite, puis c’est la fin.
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Si le Christ nous appelle à évangéliser, c’est parce que, sans Lui, l’existence est ainsi : une mer agitée et une tentative désespérée pour ramer sans parvenir à avancer. Nous ne pouvons pas laisser le monde à un tel désespoir !
Bien sûr qu’il y a des non-croyants heureux, qui donnent sens à leur vie en aidant les autres et qui donnent sens à la vie des autres. Et c’est peut-être d’autant plus altruiste qu’il ne le font au nom d’aucun commandement supérieur.
Mais il leur manque un Sauveur, présent dans les tempêtes de cette courte vie ; un Sauveur rejoignant et apaisant ; Il leur manque aussi une autre rive sur laquelle espérer accoster. Il leur manque de trouver la paix en Celui qui porte tout.
C’est pourquoi, dès qu’il apparaît à ses disciples au jour de Pâques, le Christ ressuscité leur demande : « Allez… proclamez la bonne nouvelle à toutes les nations ! » Notre monde a besoin d’entendre qu’il est sauvé, il a besoin d’accueillir la Bonne Nouvelle de Dieu qui a puissance sur toutes les tempêtes. Notre monde a besoin de se convertir pour sortir des ténèbres. Notre monde a besoin d’une espérance, particulièrement en cette période de pandémie mondiale ; besoin d’entendre que, dans la tempête que traverse actuellement notre planète, le Ressuscité rejoint, apaise et mène jusqu’à une autre rive.
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Remarquez alors que, lorsque Jésus se révélé en disant « c’est moi, n’ayez plus peur », « aussitôt, la barque toucha terre », précise l’évangéliste. Voyez la simultanéité entre le Sauveur qui se manifeste « c’est moi » et la solidité que l’on trouve alors : « aussitôt, la barque toucha terre ». C’est dire qu’il n’y a donc d’autre solidité à nos vies que d’y accueillir la présence de Jésus Sauveur.
Avec une précision encore, dont saint Jean ne manque pas de se rappeler : quand Jésus dit « c’est moi », l’évangéliste écrit : « Les disciples voulaient le prendre dans la barque ».
Il est bien compréhensible que la manifestation du Sauveur conduise à vouloir le prendre dans notre barque pour la rendre plus stable. Mais le Christ vivant n’a pas traversé les ténèbres de la mort simplement pour que nous Le prenions dans notre barque afin de la rendre plus sûre : non, c’est Lui qui nous sort de la barque de la courte vie, pour nous faire toucher la terre ferme !
Nous avons alors sans doute encore tous à convertir quelque chose dans notre foi, pour qu’elle se garde d’être simplement l’espoir d’une présence d’un Seigneur « stabilisateur de l’existence ». La foi, c’est bien plutôt une « sortie » avec le Seigneur ; la foi, c’est accoster sans cesse sur une rive nouvelle ; la foi, c’est savoir que la rive d’éternité nous attend, qu’elle est proche et même qu’on la touche déjà par le Christ ressuscité présent dans le quotidien de la barque de cette courte vie.
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Le temps pascal nous appelle alors à nous laisser conduire par Dieu pour que notre présent ait déjà le goût de l’avenir éternel.
Frères et sœurs, ne nous trompons pas sur le salut apporté par le Christ en son mystère pascal. Il n’a pas versé son sang et franchi la mort pour venir seulement rendre nos traversées de vie plus paisibles. Il est venu nous conduire sur l’autre rive.
Par les flots du baptême, il nous a fait atteindre la terre ferme de la filiation divine. En cette terre, nous vivons désormais, mais c’est « en espérance » comme dit saint Paul dans la lettre aux Romains (cf. Rm 8,24). Sur la rive nouvelle de la résurrection, nous vivons déjà en espérance, et nous savons que les ténèbres ne viendront plus y déployer leur voile de deuil. Alors, la traversée prend un sens nouveau ; elle reçoit une motivation et une force nouvelles !
Que cette Eucharistie nous fasse donc accueillir, comme une nouveauté permanente et ferme, le Sauveur qui nous rejoint et nous fait accoster. Que cette messe nous place réellement sur la terre ferme de la vie en Dieu, là où tout devient solide et sûr, parce que porté par l’amour miséricordieux du Seigneur. Son amour est éternel ! Plus de ténèbres Alléluia !