La grande course !
Chaque année à Pâques, c’est la même rupture, à la fois vraiment prévisible et totalement surprenante : changement de rythme entre un temps comme suspendu depuis vendredi après-midi, et ce matin où ça court dans tous les sens. Marie-Madeleine, Pierre, Jean et sans doute d’autres à leur suite… tout le monde court. Mais pourquoi courent-ils ? Après quoi courent-ils ?
La Bible nous avait déjà habitués à nous laisser surprendre par des coureurs et à nous interroger sur les raisons de leur course. Pour les Hébreux sortant d’Égypte, il fallait prendre au plus vite le chemin de la libération ; on n’imagine pas le peuple libéré s’attarder en terre d’esclavage. Bien plus tard, la jeune Marie visitée par l’ange court chez sa cousine Élisabeth ; impossible de se représenter la Vierge avançant bras ballants et trainant les pieds. C’en en courant sur les montagnes, comme l’annonçait le prophète Isaïe, que Marie porte le Sauveur du monde. Dans la Bible, la course est donc synonyme de bonne nouvelle : on court annoncer une victoire, on court vers une libération ou l’on se précipite vers quelqu’un d’important, comme les bergers accourant à la crèche.
Mais la Bible parle aussi de courses bien plus dangereuses : courir après la gloire (Pr 25,27) ou après la fortune (Pr 28,20) ; ou « courir au mal » (Pr 6,18). Courir dans la vie en oubliant l’essentiel. Courir à perdre cœur…
Le rythme et le sens de sa course semblent donc révéler ce qui habite la profondeur de l’être humain. Alors, vous, après quoi courez-vous dans la vie ? Dans quel sens, pour quel but, avec quel élan ?
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La course de ce matin n’est pas de ces courses folles après des réalités futiles. Mais elle n’est pas non plus d’abord de ces courses joyeuses pour annoncer une bonne nouvelle. On assiste plutôt à une course éperdue de personnes perdues : une course au tombeau, comme un tragique résumé de ce qu’est la vie humaine… courir jusqu’au tombeau… là où nous finirons tous !
Dans cette course, chacun semble courir pour soi ; Marie-Madeleine dans sa solitude ; Pierre et Jean, sans même s’attendre. Chacun pour soi devant la mort : c’est bien vrai.... Même entouré de proches, chacun aura à affronter personnellement son entrée dans la tombe comme un moment de solitude.
« C’était encore les ténèbres », précise l’évangéliste.
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Mais dans ces ténèbres où chacun court à la mort, quelque chose est en train de se passer. Après la course agitée, c’est l’étrange quiétude de l’intérieur du tombeau. Il y a là des linges bien rangés et rien d’autre. Bien rangés… c’est étonnant : comme si l’on avait pris le temps de les déposer soigneusement. Y aurait-il donc, par-delà la mort un autre rythme, la fin d’une course effrénée ?… comme si tout alors s’ordonnait bien, comme si le chaos du monde cessait après la mort : « repose en paix », dit-on à un défunt. Oui, mais de quel repos s’agit-il ? Ce n’est pas du vide que Simon-Pierre voit en regardant vers le tombeau ; c’est un nouvel ordre des choses. Mais il ne le comprend pas, parce qu’il n’y entre pas encore. Réfléchir à un nouvel ordre par-delà la mort ne donne pas, en soi, de sens à la grande course effrénée de la vie humaine.
Il faut encore autre chose : il faut entrer dans la foi ! Impossible de saisir le nouvel ordre de la réalité sans entrer dans la tombe avec un regard de foi. C’est ainsi que l’apôtre Jean entre à son tour. Il a eu le temps de calmer son pouls ; toute son énergie n’est plus dans sa course, mais dans ce qui habite son cœur : « Il vit et il crut ». Il n’a pas vu pour croire, il a vu et il a cru… très différent de l’exigence de Thomas, une semaine plus tard, qui demandera à voir pour croire. Ici, il n’y a rien d’autre à voir qu’un mort absent.
Mais c’est suffisant pour l’apôtre pétri de foi ! Trois jours auparavant, il s’était penché sur le cœur de Jésus : si proche du cœur divin, qu’il l’entend sans doute battre encore en entrant dans le tombeau, alors-même qu’il a cessé de battre vendredi à 15h. La foi de Jean ne repose pas sur sa compréhension des choses, mais sur cet Absolu, cet Infini, qu’il avait perçu en entendant battre au plus près le cœur du Fils de Dieu. Il sait que ce cœur ne peut pas nous abandonner à la mort. Il sait que ce cœur a cessé de battre pour réveiller les nôtres !
Dans le nouvel ordre des choses que Simon-Pierre avait perçu mais dans lequel il n’était pas encore entré, Jean pose un regard de foi ; puis Pierre entre à son tour, et le voilà qui croit aussi. Tous deux ont confiance en Jésus qui avait promis de ne pas nous abandonner à la mort. Ils ont désormais la certitude que, si le tombeau est vide, c’est que la vie est pleine !
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Pierre et Jean croient, non par la force de l’autosuggestion, mais par la disponibilité à quelque chose de tellement plus grand que tout ce après quoi nous courons dans la vie. Ils ont la foi ! La foi devant le mystère ! Une foi totale, ferme, inébranlable, audacieuse comme un saut dans le vide, dans un tombeau vide.
La foi nous convainc que la course de la vie n’est plus une orientation inéluctable vers le vide du tombeau. La foi en la résurrection du Christ réoriente notre course : elle se fait alors dans l’autre sens, comme Pierre et Jean qui s’éloignent du tombeau pour aller annoncer aux autres apôtres que Jésus est vivant ; comme les disciples d’Emmaüs qui traineront les pieds ce soir en s’éloignant de Jérusalem, mais qui reviendront vite, en courant, après avoir reconnu le Ressuscité à la fraction du pain. C’est l’un des plus beaux témoignages de crédibilité des évangiles : la mort et la mise au tombeau du Christ auraient dû plonger les disciples dans l’immobilité ; mais les voilà en mouvement, courant jusqu’à Jérusalem et bientôt jusqu’au bout du monde.
En rencontrant par la foi Jésus ressuscité, la course prend un autre sens, une direction totalement opposée, comme Jésus l’avait dit à Nicodème : « il te faut renaître ». La vie n’est plus une course vers la tombe ; elle est une renaissance pour courir vers le Ciel !
Désormais alors, de n’importe quel tombeau, il est possible de ressortir pour une nouvelle naissance. De n’importe quelle mort peut jaillir un nouvel élan pour courir vers la nouveauté extraordinaire que le Christ ressuscité apporte chaque jour à nos vies !
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Déjà résonne alors dans le tombeau vide ce que saint Paul proclamera aux Philippiens : « Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière et lancé vers l’avant, je cours vers le but, en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3,13-14). Courir vers le but, oublier ce qui est arrière, aller de l’avant, toujours !
Aller de l’avant même quand la mort vient à s’approcher. Ce fut encore l’expérience de saint Paul, confiant à son ami Timothée : « j’ai achevé ma course ; je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice » (2 Tim 4,7). Ah, vivement des faire-part de décès vraiment chrétiens, qui ne parlent pas de « regret infini d’avoir perdu un être cher », mais qui exprimeraient par exemple : « notre cher défunt a achevé sa course ; il n’a plus qu’à recevoir la couronne de la justice » ! ça, c’est la foi !
La lettre aux Hébreux donne alors des conseils à ceux qui acceptent d’être des athlètes du Ressuscité : Hébreux 12,1 – à retenir par cœur pour être de bons coureurs - : « débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus » ! Non pas fixés sur le tombeau en espérant s’y approcher le moins tôt possible et avec le moins de souffrances possibles… non, les yeux fixés sur Jésus, sorti du tombeau avec les marques des clous : Sauveur du Mal et de la Mort, victorieux pour l’éternité !
Allez, vivons la vie comme une grande course ! Quand on court, le cœur bat vite : eh bien, laissons notre cœur battre la chamade au rythme de la charité ! Quand on court, on doit davantage inspirer d’air ; eh bien, laissons tout notre être se remplir de l’Esprit Saint ! Quand on court, le corps entier transpire ; eh bien, transpirons de ce grand mystère de vie éternelle qui habite déjà nos corps mortels !
Transpirons d’une bonne odeur, celle du Ressuscité ; courront vers Lui et nous cesserons de courir en vain ! Courons vers Lui, mais sans précipitation éperdue… et pour cela, courrons à genoux. Le cœur à genoux, l’âme à genoux : c’est la manière la plus efficace de courir dans la foi. À genoux comme saint Jean, ce grand coureur du jour de Pâques, qui aura plus tard, dans l’Apocalypse, cette vision du Ressuscité : « Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : ‘Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts’ » (Ap 1,17-18).
Alléluia !