samedi 25 décembre 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Dieu fait l’impossible

Vous a-t-on déjà demandé de faire l’impossible ? Eh bien, le Seigneur, avant même qu’on le Lui demande, Il le fait pour nous. C’est bien ce que nous célébrons en ce saint Jour de Noël : l’impossible advient pour l’humanité entière.

 

Voilà ce que saint Jean vient de révéler : le Verbe de Dieu, Lumière née de la Lumière, prend chair pour nous rejoindre et nous sauver ! Une révélation bouleversante : Comment est-il possible que l’Infini soit là, couché dans une crèche ? Au lieu de se souhaiter un « joyeux Noël », ne devrait-on pas s’exclamer : « joyeuse fête de l’Impossible » ? … Oui, joyeuse fête de l’impossible devenu possible par la Puissance infinie de Dieu !

 

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L’enjeu d’une vie humaine, c’est de faire tout notre possible. C’est ce qui nous permet de nous regarder en face dans un miroir. C’est ce qui donne sens à notre vie. C’est ce qui ouvre nos cœurs aux autres : faire tout notre possible pour eux. Et sans cesse, l’interrogation vient habiter nos cœurs : « Est-ce que je vais tout mon possible pour les autres ? »

 

Mais faire notre possible nous confronte aussi nécessairement au tragique de l’impossible. Car il ne nous est pas possible d’éradiquer toutes les souffrances du monde ni d’aider tous ceux qui sont dans la misère.

 

Même auprès de nos proches, l’impossible nous saute aux yeux : bien que nous les aimions, nous n’avons pas la possibilité de les empêcher de tomber malade ni de mourir. C’est impossible pour nous ! On a beau chercher à être au plus près d’un ami angoissé, impossible de le rejoindre au plus profond de son mal-être. On a beau compatir à quelqu’un qui souffre, impossible de ressentir la douleur qu’il éprouve. Hélas ! Notre vie nous confronte sans cesse à ce qui ne nous est pas possible.

 

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Mais l’impossible, Dieu, Lui, Il peut le réaliser. Et il veut le faire pour nous. C’est bien ce que l’archange Gabriel révélait à la Vierge Marie neuf mois auparavant : « Rien n’est impossible à Dieu » (Luc 1,37). Alors, quand saint Jean commence son évangile en confessant : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous », c’est comme s’il proclamait : « regardez : Dieu est venu réaliser l’impossible ! »

 

C’est la grande nouvelle de ce jour : Dieu réalise pour nous l’impossible !

 

Car si nous ne pouvons jamais pleinement répondre à la demande d’un proche qui dit ‘mets-toi à ma place’ ; Dieu, Lui, il le fait : il se met réellement à notre place…c’est le mystère de la Nativité.

 

Si nous ne pouvons pas rejoindre les autres au plus douloureux de leur souffrance ; le Seigneur, Lui, il le fait… c’est le mystère de la croix.

 

Nous ne pouvons pas accompagner les autres jusqu’au bout de la solitude de la mort ; le Sauveur, Lui, il le fait… c’est le mystère de sa mise au tombeau et de sa descente aux enfers.

 

Nous ne pouvons pas empêcher ceux que nous aimons de mourir ; le Christ, Lui, il le fait… c’est le mystère de la Résurrection.

 

Nous ne pouvons pas aller jusqu’au plus profond de l’être de ceux que nous aimons ; le Rédempteur, Lui, il le fait… c’est le mystère de l’Eucharistie.

 

Ainsi, la fête de Noël nous fait contempler combien l’Amour divin peut tout. L’amour pur, l’amour comme le nom-même de Dieu, peut tout. C’est ce que nous sommes appelés à chanter aujourd’hui sur tous les tons : « il est né le divin enfant », c’est-à-dire que l’impossible est désormais accompli. Et s’il est accompli au jour de Noël, il l’est aussi chaque jour et jusqu’au Jour ultime. Dieu peut l’impossible et même si cet impossible Lui coûte, il le réalise, parce qu’il nous aime.


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Par conséquent, cet impossible que Dieu accomplit pour nous devient notre plus grande motivation pour faire tout notre possible ; motivation exaltante, puisque ce n’est plus désormais à nous de faire notre possible devant Dieu, mais c’est sa grâce en nous qui rend tout possible.

 

Par exemple, peut-être avez-vous été gravement offensé par quelqu’un, et vous n’arrivez pas à pardonner. Confesser la puissance de l’impossible, ce n’est pas nier cette difficulté à pardonner, mais c’est ne pas se résigner à ce que ce pardon reste impossible. C’est donc mettre le Dieu de l’impossible dans le coup : ce pardon trop difficile, l’avez-vous couché dans la crèche, l’avez-vous mis au pied de la croix, l’avez-vous déposé au tombeau ? Il n’y a qu’ainsi que ce pardon, pour l’instant impossible, pourra devenir un chemin de vie : en passant par les mains du Dieu de l’impossible.

 

Telle est l’alliance que le Seigneur est venu sceller avec l’humanité par son Incarnation : non pas seulement faire l’impossible pour nous depuis « en-haut », mais nous faire entrer dans son mystère d’impossible qui prend chair. Alors, tout ce qui nous paraît impossible aujourd’hui, déposons-le dans les bras du Fils éternel qui a pris chair. Et Lui, il s’en occupe vraiment, puissamment ! C’est Lui qui l’a promis.

 

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Car c’est bien ce que nous enseigne tout l’Évangile. Chez saint Marc, quand un père de famille présente son enfant muet à Jésus et lui dit : « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours ! » Le Christ l’interpelle : « Pourquoi dire : ‘si tu peux’ ? Tout est possible pour celui qui croit » (Mc 9,23). Et dans l’évangile de saint Matthieu, c’est à ses disciples que Jésus dit : « Si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne : “Transporte-toi d’ici jusque là-bas”, et elle se transportera ; rien ne vous sera impossible » (Mt 17,20).

 

Voyez combien le Christ nous l’assure : la foi rend tout possible, non par magie, mais par Alliance : car la foi, c’est notre consentement amoureux à Dieu qui fait alliance avec nous, dans le corps-à-corps de l’Incarnation et dans le sang-à-sang de sa Passion.


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Pour nous le prouver, Dieu qui peut tout choisit de ne plus rien pouvoir. Il se fait fragile et sans puissance dans les bras de Marie. Il ne Lui est plus possible de rien faire d’autre que de dépendre des êtres humains ; et c’est ce renoncement à tout les possibles qui rejoint et traverse tous nos impossibles, afin que tout nous devienne possible par la foi : telle est la profondeur de l’Alliance de Dieu avec nous en Jésus-Christ !

 

Alors, aujourd’hui, c’est le moment favorable pour redire « oui » à l’Alliance : la renouveler et la savourer plus encore qu’aucun repas de fête. En accomplissant l’impossible, Dieu qui a pris chair nous associe par la foi à sa puissance de possible. Il fait Alliance avec nous, pour tout rendre possible, mais possible à partir de la Source d’où Lui-même vient jusqu’à nous : le possible de l’Amour éternel. Avec la foi qui nous fait adhérer à l’Amour divin, rien ne nous est plus impossible !


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Ce jour de Noël est donc bien la grande fête de l’impossible ; fêtons-là dans toute sa splendeur ! Fêtons-là pour raviver notre foi en l’Amour qu’il est impossible à Dieu de ne pas avoir pour nous. Notre foi en l’impossible éloigne alors tout découragement. Elle évacue tout pessimisme. Elle fait renoncer à se lamenter avec les grincheux. Elle va même jusqu’à évacuer la peur, toute peur, car Dieu est là ! Oui, il est là, couché dans la crèche.

 

Alors, cette fête de Noël nous appelle à croire à l’impossible ! À croire que Dieu est tellement proche de nous qu’il nous connaît mieux que nous-mêmes ! À croire que notre Église va se relever de tous les coups qu’elle a subis et qu’elle a parfois dramatiquement causés. À croire que notre monde va se réveiller pour retrouver du bon sens et de la fraternité. À croire que les pandémies ne sont pas une fatalité. À croire que nous sommes capables de faire davantage de bien. À croire que l’impossible sainteté est à notre portée depuis que le seul Saint est devenu l’un de nous. À croire que la vie est belle, qu’elle a du sens, que la mort est déjà vaincue, que les autres ne sont pas des adversaires, que l’amour est toujours vainqueur.

 

Oui aujourd’hui, dès que nous croisons quelqu’un, dès que nous avons l’occasion d’échanger des vœux, osons et aimons proclamer : « joyeuse fête de l’Impossible rendu possible » ! Amen.