Pèlerinage des motards

dimanche 26 juin 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

La liberté en moto

 

« C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme »… Je ne pensais pas un jour citer le chanteur Renaud au cours d’une messe, mais c’est l’ambiance de ce dimanche qui m’y conduit. Car en vous voyant, vous les passionnés de moto, je me dis qu’il y a sans doute un peu de cela quand vous enfourchez vos bécanes : « ce n’est pas le motard qui prend sa moto, c’est la moto qui prend le motard ».

Impossible, sans cela, de comprendre votre passion : se retrouver des heures sur une selle pas toujours confortable, dans un équilibre précaire, en veillant à faire attention au moindre écart qui pourrait être fatal… Quel est donc ce mystère qui vous rend passionnés de moto, sinon que la moto prend le motard plus que le motard ne prend sa moto ?...

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Mais dans toute logique passionnelle, une prise de hauteur est toujours salutaire. Le discernement peut alors se résumer à une seule question : restez-vous libres vis-à-vis de votre moto ? Les pèlerins non-motards pourront transposer à d’autres réalités, comme Benoîte Rencurel l’aurait fait de sa chèvre : restons-nous libres à l’égard de ce qui nous prend du temps, de l’énergie, de l’argent, du cœur ? Ou doit-on se résigner à définir ainsi la liberté : « La liberté, c'est de pouvoir choisir ce dont on sera l'esclave. » À entendre l’évangile d’aujourd’hui, qui invite à suivre Jésus sans regarder en arrière, c’est bien notre liberté qui est ici provoquée et nos attachements qui sont interrogés.

Alors, êtes-vous vraiment libres ? La question est importante à se poser, car être libre, c’est bien une grande aspiration du cœur humain. D’ailleurs, si vous aimez tant la moto, n’est-ce pas justement parce que vous y éprouvez un sentiment de liberté ? Liberté d’aller vous promener là où bon vous semble ; liberté de sentir le vent vous caresser le visage et les odeurs de la nature vous chatouiller les narines.

La moto incarne l’aspiration à la liberté, ce que le fim Easy Rider a magnifié. Le motard en est venu à représenter l’être humain libre, jusqu’au rebelle stéréotypé du biker aux cheveux longs, veste en cuir et gros tatouages.

Oh, vous n’avez pas tous fait ces choix vestimentaires, loin de là, mais vous êtes bien des assoiffés de liberté, n’est-ce pas ?  Nous le sommes tous et il est beau de l’être ! En goûtant la liberté, nous nous sentons vraiment vivants ; nous saisissons que la vie nous offre plein de possibilités ! La liberté nous met en marche… en tous cas, elle devrait toujours le faire… c’est d’ailleurs un critère pour discerner si nous sommes vraiment libres : est-ce que ma liberté me fait bouger ou est-ce qu’elle m’immobilise ?

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Ce critère est bien plus essentiel que celui par lequel on nous fait souvent miroiter des promesses de liberté. Être libre, ce serait vivre sans contrainte. Mensonge qu’une telle liberté inaccessible, du moins tant que nous ne sommes pas au Paradis. Sur Terre, la liberté n’est jamais l’absence de contraintes.

D’ailleurs, vous les motards, vous savez très bien que la liberté en moto a un prix. Elle se paye du port d’un casque et de combinaisons qui protègent en cas de chute. Quoi que l’on fasse dans la vie, la liberté a un prix.

Mais le premier prix payé pour notre liberté, c’est celui dont Jésus s’est acquitté sur la croix. Saint Paul nous l’a bien dit dans la 2e lecture : « c’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés ! » Le Fils de Dieu est mort et il est ressuscité pour nous libérer : nous libérer du Mal, de l’emprise de Satan ; nous libérer de la mort comme point final de l’existence ; nous libérer de l’égoïsme et de l’orgueil ; nous libérer aussi de nous-mêmes, car nous pouvons être nos propres prisons.

Le Christ nous a réellement libérés de tout cela, d’une liberté qu’il s’agit d’accueillir encore et encore. « Alors, tenez bon ! », dit l’Apôtre… Mais d’une façon de tenir bon qui n’est pas tendue. Vous le savez bien, vous les motards : si vous restez des heures crispés sur le guidon de votre moto, vous n’en profiterez pas. De même, la liberté humaine se vit quand on arrête de se crisper dessus.

Et le seul moyen pour cela, c’est de contempler la première de toutes les libertés, celle de Dieu Lui-même. Librement, le Seigneur a décidé de nous aimer jusqu’au bout, sans jamais renoncer et sans dépendre de nos ingratitudes. Un amour total, inconditionnel et gratuit : telle est la liberté de Dieu !

Nous sommes donc d’abord réunis aujourd’hui pour remercier le Seigneur d’orienter ainsi sa liberté souveraine vers notre bien et vers son déploiement ultime qu’est l’éternité bienheureuse. Rendons grâce à Dieu qui n’utilise jamais sa liberté toute-puissante pour nous écraser ! Remercions-Le de jamais employer sa liberté contre nous…

D’ailleurs, si nous pensons un jour que Dieu agit pour un mal, par exemple quand un drame nous tombe dessus ou frappe le monde, soyons-en bien assuré : ce n’est pas la liberté de Dieu qui cause un malheur. Jamais le Dieu de bonté n’utiliserait sa liberté souveraine pour faire du mal, car Dieu est bon ; il n’a rien à voir avec le mal. Le malheur n’est jamais causé par le Seigneur ; mais tout malheur, il le rejoint, il le vit avec nous, il l’a déjà porté sur la croix et il le traverse de sa Puissance de Vie : ça, c’est la liberté de Dieu, qui appelle en nous une grande confiance !

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Mais la vie spirituelle ne consiste pas seulement à contempler la liberté divine pour nous émerveiller de sa bienveillance à notre égard. La vie spirituelle est aussi un appel à l’alliance : devant la liberté de Dieu, c’est notre propre liberté qui est provoquée, pour qu’elle ne fasse plus qu’une avec celle du Seigneur.

Saint Paul l’a encore dit dans la deuxième lecture : « vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres »… L’apôtre aurait pu ajouter : « comme Dieu le fait pour vous ! Imitez sa liberté, faites alliance avec sa divine liberté ! »

Comment cela peut-il se concrétiser dans nos vies ? Là encore, la moto peut nous aider à le saisir, car la liberté est un subtil équilibre, comme celui qu’il faut sur une moto pour qu’elle tienne debout : un équilibre entre souplesse et maîtrise. En vocabulaire spirituel, on dirait : un équilibre entre la grâce de Dieu et l’engagement humain.

C’est peut-être pour cela que vous aimez tant la moto : plus ou moins consciemment, elle vous fait goûter la saveur de la vie humaine, dans cet équilibre qui nous permet d’avancer, par la grâce divine sans laquelle rien n’est possible et par l’engagement humain sans lequel rien n’est grand. C’est tout le sens de l’appel de Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : « suis-moi ! »

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Alors, motards ou non-motards, tous, suivons Jésus ! C’est là qu’est notre véritable liberté ! Suivons-le en veillant à ces 3 points d’attention :

  • Discerner notre liberté à partir de l’élan à aller de l’avant et non de l’immobilisme paralysant ;
  • Confesser la liberté comme un don de Dieu, fruit de l’offrande de Jésus sur la croix ;
  • Et vivre la liberté comme une alliance avec le Seigneur, une alliance de liberté entre la grâce divine et l’engagement personnel.

Ces 3 points d’attention, nous allons justement les signifier tout à l’heure, les provoquer encore, à travers la bénédiction des motos. On ne bénit pas une moto pour se prémunir de tous les accidents de la route. Il y a quelque chose de plus subtil, de plus profond dans la bénédiction d’une moto.

Amis motards, en acceptant que votre moto soit bénie, vous allez reconnaître en fait, qu’elle ne vous appartient pas. Elle est à Dieu, votre moto, car tout vient de Lui et tout retourne à Lui. Bénir votre moto, c’est donc vous rappeler qu’elle ne peut pas avoir la première place, ni dans votre cœur, ni dans vos finances, ni dans votre temps. Si vous aimez votre moto plus que Dieu, vous n’êtes pas libres. Si vous consacrez à votre moto plus d’argent qu’à soutenir ceux qui sont dans le besoin, vous n’êtes pas libres. Si vous prenez du temps pour votre moto plus que pour vos proches, vous n’êtes pas libres.

 

Elle est là, la vraie liberté. Non pas celle qui consiste à faire tout et n’importe quoi : cette parodie de liberté ne rend pas heureux. La liberté, c’est de correspondre à ce pourquoi nous sommes faits. Et nous sommes tous faits pour aimer et pour être aimés. Autrement dit : nous sommes tous faits pour Dieu. Il est Lui-même notre liberté, car ce n’est pas l’homme qui prend Dieu, c’est Dieu qui prend l’homme. Amen.