Époux présent et enlevé
Cette page d’évangile est d’abord un écho saisissant à celle de mercredi. Le Seigneur nous appelait à jeûner sans faire sonner de la trompette, et voilà les disciples de Jean habités sans doute par un petit sentiment de supériorité, quand ils disent : « nous et les Pharisiens, nous jeûnons ».
Mais comme toujours quand il est interrogé sur une question de pratique religieuse, le Christ déplace la problématique, pour que cette pratique ne soit jamais séparée de sa source, sans quoi elle n’aurait plus aucune raison d’être.
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Pour cela, le Seigneur part aujourd’hui d’une évidence : quand on est invité à un mariage, ce n’est pas pour jeûner. On profite des festivités des noces et l’on se réjouit avec les mariés. Or, ses disciples sont bien à la noce, puisqu’ils assistent au formidable mariage de Dieu et de l’humanité en la personne de Jésus-Christ. L’alliance nouvelle commence à être scellée sous leurs yeux. Alors, comment pourraient-ils jeûner ? Voilà ce que le Christ veut éveiller dans le cœur des disciples de Jean-Baptiste : un mariage éternel est en train d’être célébré ; ne restez pas à côté, partagez la joie des noces !
Cette image des noces, le Seigneur l’offre justement aux disciples de Jean Baptiste. Or, Jean Baptiste s’était présenté lui-même comme « l’ami de l’époux ». Au chapitre 3 de saint Jean, il dit être cet ami qui entend la voix de l’époux. « Telle est ma joie, dit le Baptiste, et elle est parfaite ». Jean-Baptiste était à bien la noce en connaissant l’époux !
Le vocabulaire des noces n’était donc pas étranger aux disciples de Jean. Mais ils ont encore une étape supplémentaire à franchir : disciples de l’ami de l’époux, ils doivent devenir maintenant disciples de l’époux lui-même ; c’est-à-dire qu’ils doivent à leur tour entrer dans la joie des noces, sans rester des spectateurs extérieurs et un peu rabat-joie.
Pour le dire autrement, les disciples du Baptiste ne peuvent en rester à la première alliance. Jean est justement le pivot entre l’alliance ancienne et la nouvelle. En révélant que les invités aux noces ne peuvent pas jeûner, Jésus les invite à reconnaître qu’il est bien l’époux annoncé par le Baptiste. « Entrez donc dans la nouvelle Alliance ! », leur fait-il comprendre.
En nous offrant cet évangile en ces premiers jours du Carême, l’Église nous invite donc à faire de cette image des noces une image importante pour comprendre ce que nous sommes appelés à vivre durant ces 40 jours : un appel à entrer plus en profondeur dans l’Alliance ! Si ce Carême ne nous fait pas plonger davantage dans cette formidable Alliance de Dieu et de l’humanité, il ne servira à rien. Le Carême est donc un temps particulier de disponibilité intérieure, afin de saisir toute occasion de célébrer l’alliance nouvelle, de la goûter, de la soigner et de nous en réjouir ! Le Carême est aussi un temps de préparation à savourer la vraie joie, la joie pascale comme l’alliance nouvelle et éternelle scellée dans le sang du Christ !
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Mais justement, parce qu’elle est scellée dans son sang, cette Alliance porte aussi le drame de Celui qui a été jusqu’à tout donner pour nos ouvrir aux noces éternelles. Le Carême vient donc conjuguer la préparation à la joie des noces et la tristesse que l’époux ait dû passer par la mort pour nous y ouvrir. La joie de Pâques passe par le drame de la Passion. Si nous oublions l’un ou l’autre, nous manquons les fruits du mystère pascal : jamais la Passion sans aller jusqu’à Pâques ; et jamais Pâques sans passer par la Passion.
Par conséquent, dans les premiers jours de cette marche vers Pâques, les paroles de l’époux nous invitent à accepter que ce Carême nous fasse expérimenter la tristesse de l’époux enlevé, pour goûter pleinement à son terme la joie des noces éternelles. Car cette joie sera d’autant plus forte et contagieuse, que nous aurons contemplé par où l’époux est passé pour nous en combler, et que nous aurons pris nous-mêmes ce chemin avec Lui.
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Aux portes du Carême, nous sommes donc appelés à ne pas hâter les choses : les noces pascales viendront en leur temps. Pour l’instant, c’est la pénitence et la sobriété qui nous y préparent. La joie pascale n’en sera que plus grande.
Alors, ces jours-ci, en célébrant la tristesse de l’époux qui nous sera enlevé, fixons toujours la croix pour y contempler son amour pur, qui transforme le drame d’un rejet en occasion d’amour plus fort encore, plus fort que la mort. Le signe de mort devient alors signe de noces ! Et nous comprenons que seule une mort à nous-mêmes toujours plus volontaire conduit à participer plus pleinement à la joie des noces. Allons-y : mourons à nous-mêmes et nous vivrons, pour célébrer la merveille de l’Alliance nouvelle ! Amen.