Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes. Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. – Parole du Seigneur.
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Dans la première lecture : « leurs yeux s’ouvrirent ». Dans l’évangile : « ses oreilles s’ouvrirent ». Deux ouverture des sens : l’une qui ferme à Dieu jusqu’à se cacher de Lui ; l’autre qui ouvre à Dieu pour tout recevoir de Lui.
Ces deux récits de la Genèse et de saint Marc nous sont providentiellement donnés aujourd’hui ensemble, comme les deux versants d’une même réalité : la survenue d’un drame qui ferme à la vie et l’avènement d’un Sauveur qui ouvre à la Vie !
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Dans le récit de la Genèse, après la chute, les yeux d’Adam et Ève « s’ouvrirent ». Il ne s’agit bien sûr pas d’une ouverture positive à la présence de Dieu ; ça, ils l’avaient déjà. Ce n’est pas non plus une ouverture de leurs yeux à la création environnante ; ils la contemplaient déjà. C’est donc une autre forme d’ouverture : après avoir transgressé la volonté divine, leurs yeux s’ouvrent sur l’existence du Mal.
Jusqu’alors, la grâce de Dieu les avaient préservés de ce Mal mystérieux. Par amour, Dieu avait créé l’être humain sans connaissance du mal, c’est-à-dire sans attrait vers ce mal qui peut si mystérieusement exercer une puissance d’attraction. Mal obscur et déconcertant, qui répugne tant et qui attire parfois. Dieu voulait nous préserver du mal. Mais nous n’avons pas cru qu’il était bon qu’il en soit ainsi.
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Adam et Eve pensaient alors pouvoir jouir d’un « meilleur » que ce que Dieu leur avait donné. C’est bien toute le stratagème de l’esprit démoniaque. D’abord, un mensonge énorme : « Dieu vous a vraiment dit : ‘vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin ?’ » Par cette question, le démon instille le doute dans le cœur de l’être humain : Non, ce n’est pas « aucun arbre », mais c’est « tous les arbres sauf un ». Ah, « sauf un »… Dieu ne vous aime donc pas jusqu’à tout vous donner !
Et voilà où le mal fait son lit : puisque Dieu ne vous aime visiblement pas jusqu’à tout vous donner, servez-vous vous-mêmes et vous aurez quelque chose de meilleur. Le mal vient donc se loger dans la conviction qu’il peut exister un « meilleur » que ce qui est donné par Dieu.
Sans doute est-ce d’ailleurs la plus juste définition du péché : croire qu’il existe un « meilleur » en dehors de Dieu. Terrible illusion, mais dans laquelle nous tombons à chaque fois que nous péchons. Par exemple, Dieu est vérité ; donc aucune vie ne peut être meilleure dans le mensonge, même quand on pense illusoirement qu’un petit mensonge deci-delà peut améliorer les choses ou éviter des conflits. Non, il n’est jamais possible qu’un « meilleur » dépasse celui de Dieu. Une vie avec du mensonge n’est jamais meilleure qu’une vie dans la vérité.
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Penser savoir mieux que Dieu ce qui est bon pour nous, c’est à la fois faire preuve d’un terrible orgueil, mais c’est aussi douter de l’amour infini du Seigneur. Or, jamais Dieu ne nous prive du meilleur ! Puisque tout péché se résume à un refus de croire qu’en Dieu seul est le meilleur, tout péché est alors en fait un déni de l’amour absolu de Dieu pour nous.
« Ephata, ouvre-toi ! » Ainsi, les oreilles entendent le Verbe fait chair, le Sauveur du monde : cette ouverture réalisée par le Christ en l’homme sourd rend disponible à l’amour infini de Dieu. L’ouverture du premier homme au mal est renversée en ouverture de l’homme à son Sauveur.
Désormais, par la grâce surabondante qui sort de la bouche de Jésus et qui bientôt sortira de son côté ouvert sur la croix, l’être humain est rouvert à sa vocation réelle : non pas écouter le mal, mais écouter son Dieu ; non pas faire confiance au mal, mais croire que Dieu offre toujours le « meilleur », dès maintenant et pour l’éternité.
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Les yeux levés sur la croix où le Christ porte le mal du monde entier pour le clouer et l’anéantir, je vous invite alors à une grande action de grâce :
Merci, Seigneur, de nous donner toujours le meilleur !
Il n’y a rien de meilleur que ton amour,
rien de meilleur que ta bonté,
rien de meilleur que ta vérité,
rien de meilleur que ta miséricorde !
Alors, tout ce qui n’est pas de Toi et qui s’appelle péché,
je n’en veux pas, Seigneur !
Je refuse d’y ouvrir mes sens et mon intelligence :
je ne veux pas du Mal, Seigneur, je ne veux que de Toi,
je ne veux n’être qu’à Toi !
Amen.