Dimanche de la Pentecôte

dimanche 05 juin 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Atterrissage dans nos profondeurs

« L’Esprit planait sur les eaux » : c’est ainsi que le livre de la Genèse présente l’Esprit Saint dans l’œuvre de la Création : planant au-dessus, comme s’il cherchait un terrain favorable où atterrir pour répandre sa puissance de vie.

Mais après des millénaires de création et d’alliance, c’est au moment du baptême du Christ que l’Esprit Saint trouve enfin, si j’ose dire, une « piste d’atterrissage » pleinement disponible à sa venue. Luc, chapitre 3, verset 22 : « L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus. » Saint Luc insiste sur la descente de l’Esprit comme une colombe : un mouvement pour venir se poser sur le Fils de Dieu fait chair, comme l’Esprit était en mouvement d’amour avec ce même Fils et avec le Père de toute éternité.

À la Pentecôte, unis à la Passion et à la Résurrection du Christ, ce sont les Apôtres qui deviennent à leur tour comme des « pistes d’atterrissage » sur lesquelles l’Esprit Saint vient se poser. C’est toujours saint Luc qui en rend compte, mais cette fois-ci dans les Actes des Apôtres, pour nous dire : « Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint » (Ac 2,3). Douze pistes d’atterrissage, qui n’en forment qu’une seule par l’unité de l’Esprit, pour que Celui qui planait aux commencements et qui avait reposé sur le Christ vienne maintenant atterrir jusqu’au plus profond de l’âme des Apôtres !

À leur suite et depuis notre confirmation, c’est désormais nous qui sommes devenus ces pistes d’atterrissage de l’Esprit Saint. Il aime tellement descendre sur nous ! Il souhaite s’y poser pour demeurer en nous.

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Mais puisque l’Esprit Saint est vrai Dieu et qu’II reçoit même adoration et même gloire que le Père et le Fils, il ne fait pas que se poser : nécessairement, l’Esprit transforme ceux sur qui il descend ! En atterrissant dans nos cœurs, il nous maintient surnaturellement vivants. Et il lave, guérit, réchauffe et assouplit nos vies, comme la Séquence de la Pentecôte nous l’a fait chanter tout-à-l’heure. Il nous unit alors tous ensemble, d’une unité tellement plus profonde que nos seules dispositions à bien nous entendre ; et nous formons alors un seul corps dans le Christ.

Pour notre part, il s’agit seulement de Le laisser atterrir dans nos profondeurs : « Viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles », dit encore la Séquence. Non pas « frôler » nos vies, mais les « remplir jusqu’à l’intime », avec tout ce que cet « intime » peut signifier dans nos corps, mais aussi dans nos pensées, dans notre volonté et jusque dans ces lieux profonds où se vivent souvent de bien difficiles combats : « Viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. »

C’est justement ce qui se passe à chaque fois que notre esprit consent à se rendre disponible à l’Esprit Saint. C’est donc ce qui se réalise de manière toute privilégiée dans les sacrements et particulièrement à chaque Eucharistie : Jésus-Christ vient en nous pour que son Esprit nous rejoigne jusqu’à l’intime. Pour notre part, il nous faut juste y être disponibles, c’est-à-dire qu’il faut vouloir que notre piste d’atterrissage intérieure accueille cette descente de l’Esprit Saint !

Nous voici donc rassemblés ce matin pour élargir encore l’espace de notre âme, afin que l’Esprit Saint y trouve une piste d’atterrissage toujours plus grande et toujours moins encombrée. Ainsi pourra-t-il y descendre et se répandre en nous jusqu’au plus intime de notre être.

Je vous encourage à ce que ça ne reste pour personne d’entre nous de l’ordre du concept, mais que ça devienne une réalité qui nous marque à vie. N’hésitez pas à l’exprimer dès maintenant, au plus profond de votre cœur ! Dites à l’Esprit Saint votre désir qu’il se pose en vous pour tout transformer : « Viens, Esprit Saint, descends sur moi et sur nous tous ! Regarde : nous nous rendons disponibles à Toi, comme de larges pistes d’atterrissage, pour que Tu te poses en nous. Descends sur nous, atterris maintenant : Viens, Esprit Saint, nous t’accueillons ! »

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Mais il ne faut pas avoir de très grandes connaissances en matière de transport aérien pour savoir qu’un atterrissage n’est possible que si la tour de contrôle en donne l’autorisation. Alors, dans nos aéroports intérieurs, est-il bien évident que l’Esprit Saint soit autorisé à atterrir ? Parfois, la peur peut nous rendre réticents à Le laisser descendre en nous : nous craignons d’y perdre quelque chose, nous redoutons ce qu’il nous demanderait de lâcher. Ou alors, nous sommes trop encombrés pour que l’Esprit Saint parvienne à se poser : il n’y a pas assez de place en nous pour Lui. La piste est déjà occupée par d’autres avions cloués au sol : avions de nos paresses, de nos manques d’audace ou de l’esprit du monde.

Ou alors, notre piste d’atterrissage intérieure est jonchée de débris : toutes ces réalités mondaines qui ne font qu’encombrer nos cœurs. Ou encore, ce sont les vents contraires qui rendent impossible tout atterrissage : les vents de la haine, de la vengeance ou du mépris, dont une bourrasque peut toujours surgir en nous quand vient une contrariété ou une déception.

Mais alors, comment faire pour que notre tour de contrôle intérieure parvienne à laisser le champ libre à l’Esprit Saint ? Une seule solution : que l’Esprit Saint Lui-même tienne notre tour de contrôle. Ainsi est-il ce « défenseur » promis par le Christ dans l’évangile : en dirigeant la tour de contrôle de nos vies, l’Esprit Saint peut mener notre existence pour une grande descente de Lui en nous et un grand envol de nous vers Lui ! Dirigeant la tour de contrôle de nos humeurs, de nos désirs, de nos pulsions, il intime d’abord à notre esprit de lâcher en nous tout ce qui n’est que du vent. L’Esprit Saint souffle alors dans le sens opposé aux vents de la futilité ; et les voilà qui se calment instantanément.

Quant aux pistes encombrées, l’Esprit Saint donne les moyens du désencombrement, les seuls moyens efficaces : il ouvre nos intelligences et nos cœurs à la Parole de Dieu. Elle s’impose alors à nous comme étant évidemment le seul chemin de Vie et de libération. Nous la choisissons donc avec joie, sans regret et sans regarder en arrière. « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ! » En entendant ces paroles et en cherchant à les mettre en pratique, nos pistes intérieures se libèrent et l’Esprit Saint donne l’autorisation de décollage à nos vies. Non pas pour qu’elles planent hors du réel, mais pour qu’elles nous fassent prendre de la hauteur : « Recherchez les réalités d’en haut, dit saint Paul, c’est là qu’est le Christ » (Col 3,3). Par l’Esprit Saint, nous décollons alors pour découvrir des paysages merveilleux, sans rester cloués au sol d’une vie qui oublie qu’elle est faite pour l’Éternité !

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Depuis la tour de contrôle de notre aéroport intérieur, l’Esprit Saint agit encore d’une autre manière. C’est pour interdire absolument le décollage d’un avion en particulier : le canadair. Ce bombardier d’eau est certainement le grand ennemi de la vie dans l’Esprit. Car saint Paul nous prévient clairement dans la 1e lettre aux Thessaloniciens : « N’éteignez pas l’Esprit ! » (1 Th 56,17). Et il précise : « Restez toujours joyeux. Priez sans cesse. En toute circonstance, soyez dans l’action de grâce. C’est la volonté de Dieu sur vous, dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5,16-17).

Car l’Esprit Saint veut embraser nos cœurs et se répandre sur notre assemblée plus vite et plus fort qu’un un feu de forêt ! Mais nos canadairs intérieurs risquent de vouloir décoller pour éteindre ce feu. Vous les connaissez sans doute, vos canadairs personnels : les regards négatifs sur vous-mêmes ou sur le monde ; les jalousies et comparaisons au lieu de se réjouir de la joie des autres ; et tout ce défaitisme sur la vie de l’Église que l’on présente parfois comme de la lucidité. Attention à tous ces canadairs chargés d’une eau qui peut tomber comme une douche froide sur les chrétiens les plus ardents ! Attention aux canadairs !… Peut-être vous trouvez-vous aujourd’hui au Laus pour identifier plus clairement vos propres canadairs et leur signifier sans négociation une ferme interdiction de décoller. Voilà ce qu’il nous faut lancer à ces canadairs qui peuvent éteindre le feu de l’Esprit : « décollage interdit », car nous refusons d’éteindre en nous le feu de l’Espérance !

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Frères et sœurs, ce jour de la Pentecôte est bien un jour favorable pour faire le point sur l’aéroport intérieur qu’est notre âme. Je vous en ai proposé 4 grands principes :

  • Vouloir une piste d’atterrissage bien large, toute disponible à l’Esprit Saint ;
  • Avec une tour de contrôle commandée par Lui seul, pour maîtriser les vents contraires, désencombrer la piste des avions cloués au sol et la libérer des débris qui empêchent l’Esprit de se poser en nous ;
  • Puis entretenir un vrai désir à voir décoller nos vies pour qu’elles prennent de la hauteur en visant toujours le salut éternel.
  • Enfin, avoir une vigilance pour empêcher les canadairs de s’envoler éteindre le feu de l’Esprit.

4 grands principes, à garder en tête tout au long de notre vie sur terre !

Mais ne voyez-vous pas aussi, à l’entrée de cet aéroport intérieur, une hôtesse d’accueil qui nous sourit ? C’est la Vierge Marie, bien entendu ! Magnifique hôtesse qui nous indique la direction de l’Esprit Saint, car elle n’a jamais choisi d’en prendre aucune autre. Alors, avec un grand sourire, comme Benoîte en a été témoin, la Vierge Marie nous encourage à laisser l’Esprit Saint prendre le contrôle de nos vies, pour qu’Il puisse atterrir au plus profond de nous comme il a atterri dans son cœur immaculé. Et désormais, Marie nous précède au Ciel par son Assomption, où elle nous montre jusqu’où conduit une vie quand l’Esprit Saint en a été le seul inspirateur, le seul Maître, le seul principe de vie. Ô Viens, Esprit Saint ! Descend sur nous et fais-nous monter au Ciel ! Amen.