C’était nos lèpres qu’il portait
Entre autres leçons que l’on peut déjà tirer de la crise sanitaire actuelle, je crois repérer celle-ci : la pandémie a réveillé une peur ancestrale, la peur de la contagion. La moindre quinte de doux et l’on vous jette un regard accusateur : on ne vous voit plus comme un être humain, mais comme un virus !
Imaginez alors quand la maladie contagieuse se voit sur le visage et sur les mains ! Ainsi pour la lèpre, avec ses lésions cutanées et l’attaque des cartilages jusqu’à ronger le nez et les doigts ; une maladie particulièrement contagieuse, avec des symptômes repoussants. Face à ce danger de contamination, la loi juive était très sévère pour protéger la communauté : les lépreux devaient quitter leur famille, vivre hors de la ville et se tenir à plus de 100 mètres de toute personne non-lépreuse… une bonne distanciation sociale !
Et si jamais, par mégarde, on approchait d’un lépreux, il avait l’obligation de se manifester de vive voix. Mais il ne criait pas : « attention lépreux ! » Il devait crier : « impur, impur ». Car selon la tradition judaïque, il n’était pas tant malade que pécheur.
Guidée à l’origine par un souci de préserver la communauté d’une contamination, l’exclusion du lépreux avait pris une dimension spirituelle : la lèpre était vue comme une punition divine en conséquence d’un grave péché. Enfermé dans cette punition, le lépreux ne pouvait même pas espérer de rédemption : impossible pour lui d’entrer dans une synagogue ni d’aller en pèlerinage à Jérusalem. Définitivement enfermé dans sa condition, il vivait un véritable enfer.
Vous percevez alors combien l’événement d’aujourd’hui est loin d’être un simple récit de guérison. La révélation est bien plus décisive : ce lépreux, c’est l’humanité entière, enfermée dans sa lamentable condition pécheresse et vouée à un enfermement sans fin. Mais le Fils de Dieu ne reste pas insensiblement dans sa pureté divine : il rejoint l’humanité, la purifie par son sang versé et la réconcilie avec le Père, dans l’Esprit.
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Pour nous faire entrer dans cette révélation essentielle, le récit commence par une infraction. Ce lépreux aurait dû payer une lourde amende pour s’être détourné de la loi inscrite dans la Bible : au lieu de rester à bonne distance, il vient « auprès de Jésus » et il tombe à ses genoux. Mais le Christ ne réprimande pas ce lépreux irrespectueux de la loi ; à son approche, il répond par une proximité plus grande encore : il le touche ! Il touche l’impur, il touche le répugnant.
Rien n’est donc plus important pour le Seigneur que de ne jamais laisser personne seul et dans sa lèpre. Alors, il se laisse approcher, même par les impurs ; sinon d’ailleurs, qui donc pourrait s’approcher de lui ? C’est même la seule issue possible à tous nos enfermements et à toutes nos impuretés : faire un pas vers le Christ !
Car celui qui s’approche crie son besoin d’être lui-même approché. Le Seigneur y répond, toujours, et il s’approche lui-même au plus près, jusqu’à toucher les impuretés répugnantes : toucher pour guérir ! Je vous invite à vous demander ce que cette révélation bouleversante peut rejoindre aujourd’hui en vous, en nous tous marqués par la lèpre du péché. Le Seigneur ne se tient jamais à distance, Il ne détourne pas son regard divin. Non, il se laisse approcher, il touche et il dit : « je le veux, sois purifié ». Dieu est ému par notre condition pécheresse ; ému jusqu’à consoler au lieu de punir, jusqu’à réintégrer au lieu d’exclure !
En notre sanctuaire voulu par la Vierge Marie pour la conversion des pécheurs, accueillons donc sans conditions cette parole de salut pour nous tous : le Seigneur veut nous toucher ! Dans toutes nos situations, il vient dire sa divine volonté : « je le veux, sois purifié. »
Laissez donc au Christ Sauveur la possibilité d’exercer sur vous cette grande volonté qui est la sienne ! Par la Vierge Marie, approchez du cœur de Jésus pour Lui présenter tout ce dont vous avez le plus besoin d’être purifié, libéré, pardonné. Et recevez cette parole recréatrice : « je le veux, sois purifié. »
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Dans ce comportement divin, je pense que nous pouvons puiser aussi notre juste attitude à l’égard des autres, et surtout des plus lépreux de notre temps, même les personnes pédophiles ou des gouvernants enfermés dans des logiques de pouvoir. Nous ne sommes pas les disciples d’un Dieu qui exclut et qui tue socialement. En pèlerinage sur cette terre, nous sommes le prolongement du Christ qui cherche à comprendre, à consoler et à intégrer.
Ce sont ici trois verbes que le pape François présentait comme essentiels dans son exhortation sur la joie de l’amour, en 2016. Au regard de toutes les situations matrimoniales et autres souffrances humaines si douloureuses et si complexes, le pape François appelait à comprendre, à consoler et à intégrer.
Il se trouve que, dans un mois, nous entrerons dans une année de la famille, décidée par le saint Père comme un élargissement de l’année saint Joseph : ainsi, entre le 19 mars de cette année et le 26 juin de l’année prochaine, nous allons célébrer la famille ! Ce sera donc sans doute une année privilégiée pour mettre davantage en œuvre, dans la vie familiale, ces trois verbes de miséricorde : comprendre, consoler, intégrer.
Et en ce jour de la saint Valentin, c’est peut-être plus particulièrement dans la vie de couple que ces trois verbes sont appelés à se conjuguer. Frères et sœurs mariés, est-ce que vous veillez toujours à appliquer ces verbes dans votre comportement à l’égard de votre conjoint ? Comprendre, consoler, intégrer : si jamais d’autres considérations moins miséricordieuses vous habitent parfois, laissez donc le Christ rejoindre toute la lèpre des amours imparfaits, pour que sa puissance de Sauveur puisse dire à votre couple : « je le veux, sois purifié ».
Puisez en Lui la grâce de toujours vouloir comprendre, consoler et intégrer ; recevez de Jésus la force de ne jamais enfermer, blesser, diviser. Je vous propose qu’au cours de cette semaine qui va nous faire entrer dans le temps du Carême, nous nous aidions les uns les autres par la prière à conjuguer ces trois verbes en toutes circonstances, auprès de toutes les personnes, sans exception, que nous allons rencontrer ces prochains jours : comprendre, consoler, intégrer.
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Par le Christ, cette libération de nos vies personnelles et de nos relations est vraiment totale, parce que le Sauveur va bien plus loin qu’une simple imposition des mains libérant les lépreux de leurs maux. Avez-vous remarqué que cette guérison a une conséquence surprenante ? Le lépreux guéri ne peut retenir sa langue : il en parle autour de lui. Résultat, écrit saint Marc : « Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais il restait à l’écart. » Or qui donc ne pouvait jusqu’ici entrer dans la ville et devait par conséquent rester à l’écart ? C’était le lépreux. Jésus l’a libéré en prenant sa place : le voilà donc à l’écart comme l’était auparavant le lépreux.
Saint Marc ne parle donc pas simplement ici d’un succès de Jésus le conduisant à devoir éviter les sollicitations trop nombreuses ; il révèle plutôt la manière dont Dieu nous sauve : en prenant notre place de condamnés. Cet évangile prépare donc en fait la Passion, quand le Christ s’identifiera à l’humanité pécheresse, s’offrant en sacrifice d’amour pour éradiquer la lèpre du péché. Dans la rencontre avec le lépreux, Jésus porte donc déjà sa croix : il porte sur lui la condition d’égarement de l’homme, pour l’en libérer définitivement.
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Alors en nous offrant aujourd’hui cette page d’évangile, le Seigneur veut certainement nous faire comprendre qu’il a déjà tout porté. Devant nos péchés, il ne détourne pas la face avec dégoût ; Il ne se tient pas à distance pour se garder de contaminer sa sainteté immaculée. Non, il descend, il rejoint, il touche.
Alors, même si vous avez l’impression qu’une lèpre vous ronge actuellement, entendez bien que le Sauveur descend, rejoint et touche. Et si vous constatez une lèpre chez l’un de vos proches ou dans notre monde, ne condamnez pas, n’excluez pas : avec le Christ, descendez, rejoignez et touchez. Autrement dit : comprenez, consolez, intégrez.
Frères et sœurs, ce lépreux, c’est aussi bien vous, que moi, que votre conjoint, que votre famille ; c’est l’humanité entière. La pandémie actuelle peut alors nous rappeler combien nous sommes tous des malades : tous malades d’être complices du Mal. Mais nous avons plus qu’un vaccin pour nous protéger : nous avons le Sauveur, disponible pour tous et sans aucun autre effet secondaire que d’ouvrir nos cœurs à un amour toujours plus large !
De cette contagion-là, il n’y a pas à avoir peur. Il faut plutôt la vouloir toujours davantage et la demander sans cesse au Seigneur. Nous voici justement rassemblés pour l’Eucharistie, afin de nous laisser totalement contaminer par l’amour sauveur ! Et de puiser dans cet amour l’attention et la force de mettre en œuvre cette semaine les trois verbes de miséricorde : comprendre, consoler et intégrer. Amen.