3e dimanche de l’Avent - Avec bénédiction des figurines de l’enfant Jésus et inauguration du parcours des crèches

dimanche 12 décembre 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Que devons-nous faire ?

Rappelez-vous dimanche dernier. Jean-Baptiste parcourait toute la région du Jourdain. En bon VPR de Dieu, il allait rejoindre les gens là où ils étaient, pour les appeler à préparer les chemins du Seigneur. Une communication efficace, dont nous entendons aujourd’hui les fruits : foule, publicains, soldats…tout monde vient à lui !

 

Mais qu’est-ce qui les attire vraiment ? Sans doute pas son apparence, car avec un manteau en poil de chameau et des restes de sauterelles entre les dents, Jean-Baptiste n’est certainement pas l’homme le plus attirant du monde. Quant à ses paroles, elles sont loin de caresser dans le sens du poil ! Le Baptiste parle sans détours… Mais c’est peut-être cela qui attire. Il n’est pas un séducteur, il sonne juste. Et les gens qui sonnent juste donnent envie de sonner juste nous aussi.

 

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D’où la demande de ceux qui s’approchent du Baptiste : « Que devons-nous faire ? » L’expression revient par 3 fois dans cet évangile. Les foules, les publicains, les soldats : tous cherchent à être justes comme Jean-Baptiste est juste. Alors, ils demandent « Que devons-nous faire ? »

 

Il faut bien le reconnaître : souvent, nous n’aimons pas qu’on nous dise ce que nous devons faire. Nous préférons le décider par nous-mêmes, vous ne trouvez pas ? Depuis que nous sommes « majeurs et vaccinés » – oh pardon, l’expression prête désormais à confusion ! – depuis que nous sommes « adultes », nous préférons décider par nous-mêmes, plutôt qu’un autre nous dise : « fais ceci, ne fais pas cela ».

 

Et pourtant, irrésistiblement, les foules demandent à Jean-Baptiste : « Que devons-nous faire ? » Il faut dire que les collecteurs d’impôts ne sont plus à leurs guichets : ils sont maintenant dans le Jourdain, avec de l’eau jusqu’à la taille. Quant aux soldats, ils ne sont pas au combat ; ils ont laissé leurs armures et les voilà eux aussi, à moitié nus dans l’eau.

 

Or, c’est précisément dans cette forme de vulnérabilité que jaillit en eux la question : « Que devons-nous faire ? » Comme pour nous aider à le saisir nous aussi : c’est quand on se dépouille des rôles sociaux, des fonctions et des personnages que l’on joue dans le monde, que cette question jaillit du cœur : Que faire pour être vrai ? Que faire pour correspondre à ce que l’on est vraiment ?

 

Comme si, pour faire de ce dimanche un vrai « dimanche de la joie », il fallait d’abord se demander comment faire pour être authentique et donc pour faire ce que le Seigneur attend de nous.  Alors, quels dépouillements sont nécessaires en vous, afin que cette question puisse faire votre joie ? Quels vêtements quitter, quels rôles abandonner pour entrer encore dans les eaux du Jourdain, sans rien revêtir d’autre que le Christ, c’est-à-dire la vérité de notre humanité ?

 

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 « Que devons-nous faire ? » Il est intéressant que la question porte sur le « faire », alors que l’on dit souvent que « l’être » est plus important que le « faire ». C’est une évidence : à s’épuiser ou à fuir dans le « faire », on risque d’oublier la nécessité « d’être ».

 

Mais gardons-nous cependant des concepts éthérés : l’être humain est bien appelé à « faire ». Nous venons de vivre cette semaine la clôture de l’année saint Joseph. L’époux de Marie est évidemment bien ancré dans son être, mais regardez tout ce qu’il fait : il prend Marie chez elle, la conduit à Bethléem, prépare la crèche, accueille les bergers puis les mages, emmène la sainte famille en exil, la ramène à Nazareth... On dit que Joseph est l’homme du silence, mais il n’est pas l’homme de l’inaction !

 

Vous pourriez y penser en installant votre crèche, si ce n’est déjà fait. Pensez à Joseph qui a nettoyé les lieux, remis en place une ou deux planches peut-être, installé la mangeoire, préparé un lit de paille pour Marie… Joseph a fait tout cela avec amour, avec tendresse et même comme un acte d’adoration pour l’Enfant-Dieu.

 

La vie chrétienne est donc une vie dans la profondeur de « l’être », mais elle n’est pas une fuite dans des concepts, de la parlote ou des postures figées de prière. Non : « Que devons-nous faire ? » La vie chrétienne tient sa vérité de la disponibilité à bien faire. « Montre-moi donc ta foi qui n’agit pas, dit saint Jacques ; moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi » (Jc 2,18).

 

À trois semaines de la fin de l’année civile, il pourrait être bon de repenser à tout ce que nous avons fait au cours de cette année, pour nous décider peut-être à faire davantage encore pour les autres, pour le bien, pour les plus pauvres, pour la planète et surtout pour le Christ.

 

Nous pouvons sans doute tous faire davantage. À l’image de saint Vincent de Paul, contemporain de la bergère du Laus. Dans l’oeuvre de Jean Anouillh, Monsieur Vincent, on trouve ce dialogue entre le saint homme et la Reine d’Autriche, qui lui dit : « "Vous faites trop, monsieur de Paul !" Vincent de répondre : "J’ai fait si peu. (…) J’ai dormi, j’ai affreusement dormi, Madame" (…). La reine : "Que faut-il faire alors dans une vie, pour faire quelque chose ? " Et Vincent lui répond : "Davantage, madame, davantage !" » À la question : « que devons-nous faire ? », ayons, nous aussi, le courage d’entendre l’appel à faire « davantage » et faisons davantage !

 

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Notez cependant qu’à la question qui lui est posée : « que devons-nous faire ? », Jean-Baptiste ne répond pas en imposant une longue série de choses à réaliser. Ce qu’il demande est d’une simplicité désarmante : les foules doivent partager, les collecteurs d’impôt doivent le faire de manière juste, les soldats doivent se contenter de leur solde.

 

Ça n’est donc pas pour eux du « plus » à réaliser ; c’est leur ordinaire qu’il s’agit de vivre honnêtement. Oh, ça n’est sans doute plus trop à la mode d’inviter à être d’honnêtes gens, et pourtant, c’est si nécessaire. Dans l’histoire du Laus, on lit que Benoîte aime les gens ordinaires, simples et honnêtes. Elle se sent en affinité avec eux. Cherchons, nous aussi, à être d’honnêtes gens, à l’être davantage et à fréquenter d’honnêtes gens.

 

En ne demandant rien de plus que faire honnêtement ce qu’ils ont le devoir de faire, Jean Baptiste ancre ainsi ses interlocuteurs dans le réel de leur vie. Il ne s’agit pas de fuir dans de grands élans irréalistes, mais de vivre honnêtement l’ordinaire de l’existence. Ça peut être, par exemple : parler plus gentiment à son conjoint ou à ses parents, arrêter de râler sur un voisin pénible, gérer plus chrétiennement son argent, ne pas s’impatienter pour la moindre chose… c’est là qu’il faut « faire » et vouloir mieux faire. Tout simplement. Si tout le monde accomplissait ces simples choses, notre monde serait tellement plus joyeux, vous ne trouvez pas ? Tellement plus doux aussi : faire ce que l’on doit faire, honnêtement.

 

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D’ailleurs, en s’appliquant à faire ce que l’on doit faire, on se garde de se prendre pour ce que l’on n’est pas. Ainsi, Jean-Baptiste pourrait être pris pour le Messie. Mais il est clair : « il vient, celui qui est plus fort que moi. »

 

« Plus fort » dans ce qu’il est, puisque Jésus est Dieu ayant pris chair ; plus fort aussi dans ce qu’il dit, car le Christ n’appellera plus seulement à faire ce que l’on doit faire, mais à le transcender. Par exemple, il appelle à pardonner 70 fois 7 fois, à aimer ses ennemis, à avoir une main qui ignore ce que donne l’autre main…

 

Tout cela n’est plus un « faire » raisonnable ; mais c’est ce dont nous devenons capables quand nous laissons le Christ Lui-même « faire » en nous : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi », confesse saint Paul. Et quand le Christ vit, il fait. Il fait bien, il fait beaucoup, il fait tellement mieux que lorsque nous faisons par nos seules forces.

 

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Cette deuxième moitié de l’Avent n’est donc pas seulement faite pour installer soigneusement nos crèches dans nos maisons ; elle est faite pour nous décider vraiment à devenir nous-mêmes des crèches : que le Christ vienne en nous pour y faire sa demeure ; qu’il y ait la place centrale, même s’il faut pousser tout le reste sur les côtés et faire le ménage afin que tout soit beau en nous pour Lui. Ainsi, le Christ peut venir en nous, se coucher sur tout ce qui n’est que paille en nous, pour donner consistance et pérennité à tout ce que nous faisons. Alors seulement, notre vie devient vraiment solide.

 

Laissons donc le Christ faire davantage en nous, laissons-nous faire par la Lui… et nous trouvons la vraie joie ! Maranatha, viens Seigneur Jésus !