Mercredi dans l'Octave de Pâques

mercredi 07 avril 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Quand le soir devient matin

Depuis dimanche, l’octave pascale nous plaçait jusqu’ici au matin de Pâques. Aujourd’hui, nous voici au soir de ce même jour. L’ambiance d’un soir et l’ambiance d’un matin, ça n’est pas la même chose. Quand le soleil se lève au petit matin, le jour porte toutes ses promesses. Quand il se couche le soir, la fatigue nous gagne souvent, le poids du jour aussi.

 

Pourtant, l’évangile d’aujourd’hui veut que nous regardions la bonne nouvelle pascale non seulement à la lumière du matin, mais aussi dans l’ambiance du soleil couchant. Accueillir le mystère pascal non seulement au matin de tous nos élans nouveaux, mais aussi dans les soirs de notre vie.

 

Ces soirs dont il est question, ça peut être notre manière de vivre chaque fin de journée ; mais ça peut être aussi le soir de la vie, comme on appelle la vieillesse ou l’approche de la mort ; ça peut être encore le soir de n’importe quelle étape de l’existence quand quelque chose se termine. La vie humaine est ainsi rythmée de matins avec leurs nouveaux commencements et de soir qui marquent des fins, des disparitions.

 

*         *         *

 

C’est en tous cas le regard que l’on peut poser sur l’existence. Un regard sans foi. Car la foi nous invite à voir les choses autrement. Rappelez-vous d’abord la première lecture de la vigile pascale. Elle nous a parlé de matin et de soir, mais dans l’autre sens, avec un refrain pour chaque journée : « il y eut un soir, il y eut un matin ». Le refrain qui rythme l’œuvre de la création n’est pas : « il y eut un matin, puis un soir », mais « il y eut un soir puis un matin ». La révélation biblique semble vouloir nous faire comprendre que l’œuvre de création est comme l’émergence d’un matin. Tout ce que Dieu crée est passage d’un soir à un matin, et non d’un matin à un soir.

 

Ainsi, dès l’œuvre de la création, nous sommes appelés à voir les choses à l’envers de notre conception habituelle : la vie n’est pas faite de matins prometteurs et de soirs décevants. Elle n’est pas rythmée par des matins de nouveautés et des soirs où il faut quitter. C’est l’inverse : la vie est un passage permanent du soir au matin ; la création est toute rythmée par l’élan d’un soir vers un matin.

 

Comme croyants, nous avons d’abord à témoigner de cela. Devant tous les disciples d’Emmaüs qui baissent les bras quand vient le soir, nous devons dire l’œuvre créatrice de Dieu dont la puissance de vie est toujours passage d’un soir à un matin. Ce qui se termine annonce donc un autre commencement. Ce qui s’achève porte toujours du nouveau. C’est là notre grand optimisme chrétien, qui éclaire et renverse le regard sur les difficultés de la vie. Cette foi en l’acte créateur de Dieu balaye les nostalgies et évite de prendre les changements pour de seules disparitions.

 

*         *         *

 

Mais s’il n’était fondé que sur le rythme de la création, ce regard optimiste viendrait toujours butter sur un mur infranchissable : la mort. On a beau voir les choses comme des commencements toujours nouveaux, la perspective de la mort reste comme un soir sur lequel ne lève aucun matin.

 

Mais Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Par sa sortie du tombeau dans la nuit de Pâques, il fait passer toute la réalité, toute la création, toutes nos vies, d’un soir inéluctable vers un matin éternel. Le Christ n’est pas un soleil couchant sur lequel la mort l’emporte ; il est le Soleil levant qui l’emporte sur la nuit !

 

C’est bien l’expérience des disciples d’Emmaüs. « Le soir approche et déjà le jour baisse ». Ce qu’ils constatent est indubitable. Mais puisqu’ils ont perdu toute espérance, ils ne voient plus que cela : la nuit qui tombe. Pourtant, quelques jours auparavant, ils avaient cru en une lumière venant du Christ : « et nous qui espérions que c’est lui qui allait libérer Israël ». Ils ont peut-être encore en mains les rameaux par lesquels ils avaient acclamé Jésus lors son entrée à Jérusalem. Mais ces rameaux sont déjà fanés, comme leur espérance : terminée, placée aux archives. Tombée de rideau sur un avenir meilleur. Nuit noire.

 

Mais au moment où le jour baisse, la Parole du Seigneur vient éclairer leurs cœurs ; puis il rompt le pain et sa lumineuse Présence éclate au grand jour ! Le Ressuscité éclaire la nuit ; ce n’est même plus une nuit, mais un nouveau jour. Le premier signe en est la fatigue des disciples d’Emmaüs qui se transforme en élan nouveau : « à l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem ».

 

Frères et sœur, voilà ce qu’est une vie chrétienne : non pas seulement un regard positif sur l’existence pour déceler les signes de vie à travers tout ce qui décline. Mais un regard transfiguré sur les soirs et les désespoirs, pour reconnaître que le Ressuscité traverse la nuit par sa Puissance de vie ! Nuit de la mort, nuit du péché, nuit des divisions, nuit des forces du Mal… jamais plus elles ne l’emporteront, puisque le Christ, Soleil levant, a surgi du tombeau ! Alléluia !

 

*         *         *

 

Célébrer les fêtes pascales, c’est donc reconnaître que le Ressuscité traverse toutes les nuits. C’est accepter qu’il traverse les nuits qui vous préoccupent aujourd’hui et toutes les nuits de notre monde. Ce n’est pas rester bras ballants comme les disciples d’Emmaüs déçus et désabusés. C’est rencontrer le Ressuscité quand il nous parle et quand il rompt le pain, pour que cette Parole et cette Présence traversent toutes les obscurités.

 

Soyons donc des chrétiens vraiment lumineux ! Pas de ces chrétiens, comme dit le pape François, qui ont « des têtes de Carême sans Pâques ». Même quand la vie est lourde, et justement parce qu’elle est lourde, nous devons porter la lumière du Ressuscité !

 

Ainsi, chaque déception qui tombe comme un soir devient matin d’une réalité nouvelle à vivre. Chaque drame qui déploie son voile de deuil devient matin d’une vie qui se déploie éternellement. Voilà ce que nous croyons, frères et sœur ! Confessons le Christ comme le matin toujours nouveau, comme le Soleil à son zénith ! Avec Lui, plus de ténèbres ; même la nuit devient lumière, avec des incidences sur toutes les obscurités, même sur le regard qu’on porte sur soi, comme l’annonçait déjà le psaume 138  (11,14) :

 

J'avais dit : « Les ténèbres m'écrasent ! » mais la nuit devient lumière autour de moi.

Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière !

C'est toi qui as créé mes reins, qui m'as tissé dans le sein de ma mère.

Je reconnais devant toi le prodige, l'être étonnant que je suis :

étonnantes sont tes œuvres, toute mon âme le sait.

 

Oui, toute mon âme le sait : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Alléluia !