5e Semaine de Carême

mercredi 24 mars 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

La vérité vous rendra libre

« La vérité vous rendra libres ! » C’est l’une des plus grandes paroles du Christ, l’un des plus forts retentissements du mystère pascal que nous nous apprêtons à célébrer : « la vérité vous rendra libres. » La proposition est alléchante, n’est-ce pas ? La liberté, nous y aspirons tant !

 

Mais pour saisir la portée d’une telle promesse, il faut savoir que le Christ emploie ici un vocabulaire particulier : non pas celui de la liberté de faire ce que l’on veut, mais le vocabulaire attribué aux esclaves affranchis… comme pour nous interpeller sur les esclavages qui nous empêchent d’être fondamentalement libres. Ainsi pouvons-nous entendre l’appel à un affranchissement complet de nos vies par le Sauveur éternel, et non à leur simple facilitation par un sauveteur sur le moment.

 

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La tension vive de l’évangile d’aujourd’hui révèle qu’il n’est pourtant pas si facile de se laisser totalement libérer par le Seigneur. C’est un combat, une tension sans doute permanente. Car pour être libéré, il faut d’abord reconnaître qu’on est bien esclave ou prisonnier de quelque chose. Il arrive qu’on ne soit pas libre même quand on croit l’être : c’est bien le drame existentiel de notre monde qui vit sans Dieu.

 

L’objection faite au Christ est d’ailleurs significative, quand on lui dit « Nous sommes la descendance d’Abraham, et nous n’avons jamais été les esclaves de personne »… Quelle amnésie ! Les descendants d’Abraham, jamais esclaves ? Et l’esclavage en Égypte, l’ont-ils donc oublié alors qu’il est au cœur de l’expérience spirituelle du peuple hébreu ? Et l’Exil à Babylone, est-il sorti de leur mémoire alors qu’il est une blessure si grande dans l’expérience d’Israël des siècles passés ?

 

Cette amnésie est très révélatrice : en oubliant qu’on était esclave et qu’on en a été libéré par le Seigneur, on risque bien de retomber dans de nouveaux esclavages, même en croyant être libre. C’est bien ce qui se passe dès que nous péchons : notre liberté, nous l’employons à l’encontre de ce pour quoi le Seigneur nous a libérés.

 

La Parole de Dieu d’aujourd’hui veut donc nous préparer aux Jours Saints en nous prévenant : pour être vraiment libres, il faut d’abord reconnaître que quelqu’un nous a libérés. Nous étions tous esclaves du péché et de la mort, il ne faut jamais l’oublier. Nous étions esclaves ; et le Christ nous a totalement affranchis.

 

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Je vous encourage alors à prendre le temps aujourd’hui de faire retour sur votre histoire personnelle pour redécouvrir combien le Seigneur vous a libéré de quantité d’esclavages au cours de votre vie. Que de grâces reçues, que de patience du Père miséricordieux pour nous libérer chaque jour davantage !

 

Mais ne manquez pas non plus de voir toutes ces libérations - réalisées ou en cours - comme des prolongements de la grande libération baptismale, par laquelle nous avons été affranchis du péché originel, du Mal et de la mort.

 

 Nous approchons des Jours Saints qui vont nous faire célébrer cette libération définitive acquise par l’offrande du Christ. Avec les catéchumènes qui vont être baptisés à travers le monde, nous allons tous faire mémoire de la grande libération éternelle qu’est notre baptême. En faire mémoire pour raviver le grand désir d’une vie toujours plus libre dans le Christ. Comme l’enseigne saint Paul dans la lettre aux Galates : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. Alors tenez bon et ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage » (Gal 5,1).

 

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Tenez bon ! Non pas en serrant les dents, mais en choisissant de qui vous voulez dépendre dans votre vie de tous les jours.

 

L’être humain est nécessairement un être de dépendance. Mais il peut choisir de qui dépendre. Certains vont penser qu’ils sont libres en dépendant de leurs désirs du moment. On peut aussi choisir de dépendre du regard des autres ou de la pensée à la mode. On peut être prisonnier d’une dépendance à l’égard de son histoire passée, choisie ou subie. On peut encore dépendre de péchés d’habitude ou d’un orgueil démesuré. Certains ont même presque perdu leur liberté véritable en dépendant de produits addictifs comme l’alcool ou les écrans numériques, ou la télévision, ou la nourriture.

 

De quoi dépendez-vous, frères et sœurs ? Et de qui voulez-vous dépendre pour être vraiment vivant ?

 

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« La vérité vous rendra libres » : un effort de vérité sur nos dépendances actuelles est nécessaire pour avancer en terre de liberté. Les privations du Carême nous aident d’ailleurs à mesurer certaines de nos dépendances pour nous en désolidariser. Ainsi, sans dispenser des combats contre ces dépendances qui nous collent parfois à la peau, notre marche vers Pâques nous fait avancer pas à pas vers une autre dépendance, tellement plus fondamentale : dépendre du Seigneur. Ne voir qu’en Lui la finalité de notre vie et ne rien vouloir faire en dehors de Lui : telle est la vraie liberté.

 

Il est donc temps maintenant de choisir de quoi ou de qui nous voulons fondamentalement dépendre. En entendant l’appel qui nous est lancé aujourd’hui : « la vérité vous rendra libres », nous saisissons que plus nous voulons dépendre du Christ qui est la vérité, plus nous sommes authentiquement libres.

 

Ces derniers jours de Carême sont donc faits pour crier :  « Seigneur Jésus, règne en moi ! Prends possession de moi, car là est ma vraie liberté, celle d’être en profondeur ce que je dois être, enfant du Père, poussé par l’Esprit, en communion avec les autres ! »

 

Oui, frères et sœurs, soyons vrais devant Dieu et il pourra vous guérir, il pourra nous sauver. Soyons vrai pour être libres ; soyons libres pour être vrais !

Amen.