3e lundi de Carême B

lundi 08 mars 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

"Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin"

Elle est formidable, cette parole, vous ne trouvez pas ? « Passant au milieu d’eux », quelle force ! « il allait son chemin », quelle liberté !

 

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Nous sommes ici au début du ministère public de Jésus. Dans la synagogue de Nazareth, il vient de lire le prophète Isaïe « l’Esprit du Seigneur est sur moi », avant de commenter : « cette parole de l’Écriture, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Le Messie promis à Israël serait donc là, devant eux ?

 

Mais le voilà qui parle d’une veuve sidonienne et d’un général syrien, pour un salut universel ! D’où la vive opposition de ceux qui voient le salut comme un droit, non comme un don.

 

En ce début de ministère public, la Passion du Christ est encore loin, mais elle est déjà là : de l’escarpement où l’on veut le précipiter aujourd’hui, jusqu’à l’escarpement du Golgotha, il n’y a qu’un pas.

 

« Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ». Il ne sera pas poussé du haut d’une falaise, malheureuse victime de la foule en furie. Non, c’est librement qu’il donnera sa vie, quand il le décidera. Il ira son chemin : ce sera celui de la croix. Un chemin où il souffrira chaque seconde dans la vive conscience qu’il porte le péché du monde. Chaque pas, chaque respiration haletante sur ce chemin d’offrande, ce sera pour vous, pour moi, pour chacune de nos infidélités, afin de nous sauver totalement !

 

Le Christ ne va pas malencontreusement chuter d’une falaise parce qu’on l’en aura bousculé : il va prendre le temps de tout offrir, en tombant non d’une falaise, mais une fois, une deuxième fois, une troisième fois sur son chemin de croix, pour se relever encore et encore, afin de porter toutes nos chutes et de nous conduire au relèvement éternel !

 

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Oui, le chemin qu’il prendra sera un chemin d’amour allant jusqu’au bout. Et cet amour va tout traverser : « … lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin » : Jésus traverse aujourd’hui la foule en furie comme bientôt il traversera la mort. Il ira son chemin : chemin de retour vers le Père pour nous y préparer une place. Ce début du ministère de Jésus annonce donc aussi déjà sa résurrection. Refus et haine ne l’emporteront pas : le Sauveur passera au travers du tombeau !

 

Pour l’humanité entière, pour chacun d’entre nous, ce passage-là était impossible à faire : la lourde pierre du tombeau bloquait notre chemin. Mais le Christ s’est donné jusqu’au bout pour passer au travers. Désormais, il est tracé, ce chemin : il vise droit vers le Ciel ! On reste bien sûr libre de rester sur le bord à regarder Jésus passer, ou l’on peut se laisser saisir par l’Esprit Saint pour passer avec le Christ : passer au milieu de la mort pour aller au chemin de Vie ! Le Carême vient justement interroger et motiver nos désirs de tout passer avec le Christ.

 

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« Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin » : de ce comportement du Seigneur, il y a donc plus à entendre qu’un appel à négliger parfois les insultes. Il est vrai qu’un chrétien doit savoir aller son chemin sans se préoccuper de ceux qui le méprisent. Un chrétien doit aussi savoir « passer », en disant courageusement ce qu’il a à dire, en accomplissant humblement ce qu’il a à faire. Et ensuite, aller son chemin.

 

Mais plus encore, un chrétien doit savoir « passer au milieu » :  passer au milieu des réalités mondaines, passer au travers des tentations de s’approprier ce qui ne fait que passer sur Terre. Un disciple du Christ doit donc passer au milieu des succès ou des échecs, passer au milieu des soucis, passer au milieu des modes… et aller son chemin.

 

Aller son chemin, unis au Christ, ne formant qu’un avec Lui, passant là où il est passé : « Il est la Tête du corps qui est l’Église », dit la lettre aux Colossiens (1,18). Pour que l’enfantement se fasse, il faut que la Tête passe d’abord, mais le corps doit suivre. Alors, là où le Christ Tête est passé, nous passons sans cesse, de la mort à la vie, grande traversée d’enfantement que rien ne doit freiner ! Nous devons donc passer : passer notre temps à vouloir mieux aimer, passer auprès plus petits, passer sans jamais s’approprier quoi que ce soit ou qui que ce soit, passer également de longues minutes à prier. Ainsi, le corps du Christ dont nous sommes les membres continue à passer par un enfantement qui dure encore.

 

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Alors, passons ! Acceptons de seulement passer sur cette Terre, et allons notre chemin. Si nous ne consentons pas à passer, nous resterons sur le bord de la route, à regarder le Christ fort et libre, qui avance droit !

 

Le Carême nous appelle à ne pas être des spectateurs observant le Christ qui passe. Le Carême nous crie : passe avec Lui ! Apprends de Lui la force et la liberté pour passer, sans te soucier du monde ! Passe avec Lui, de ce qui ne fait que passer, à ce qui demeure éternellement ! Passe dès aujourd’hui de la mort à la vie !

 

Frères et sœurs, je vous invite alors à vous demander comment vous pouvez concrètement « passer » aujourd’hui encore avec le Christ. Essayez d’identifier quel immobilisme il faut lâcher pour passer. Mais plus encore, vivez cette Eucharistie comme un mouvement qui nous saisit tous. Par l’Eucharistie, le Christ ne cesse de passer parmi nous, il passe même en nous : il passe pour rester, mais aussi pour nous saisir dans un mouvement d’offrande, dans un élan vers le Ciel ! Chaque messe nous fait alors larguer les amarres pour pouvoir avancer et passer avec le Christ.

 

Et si aujourd’hui, ou ces prochains jours, une contrariété vient à vous gagner, une déception ou même un succès, veillez bien à « passer au milieu ». Nous recevons dans l’Eucharistie la force et la liberté du Christ pour passer à travers les réalités du monde, non par indifférence ou par mépris, mais par élan : ce grand élan de vie par lequel le Christ passe la mort ; cet élan nous est donné ! Ne restons pas au bord du chemin à le regarder ; entrons dans son mouvement pour passer avec Celui… qui ne passera jamais ! Amen.

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