8e dimanche du temps ordinaire

dimanche 27 février 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

L’arbre et ses fruits

Des arbres aux pommes d’or du jardin des Hespérides dans la mythologie grecque, jusqu’au Sylvebarbe, le gardien de la forêt de Fangorn dans Le Seigneur des Anneaux… les arbres portent un mystère que mythes, fables et légendes n’ont cessé de déployer au cours des temps.

Il faut dire qu’ils sont comme des sentinelles silencieuses, ces arbres bien enracinés dans le sol. Avec leur tronc solide, ils élèvent leurs branches vers le ciel, semblant relier les profondeurs de la terre et les hauteurs des cieux. Et même lorsqu’ils s’agitent, secoués par les vents, la Bible y voit encore un hommage rendu au Créateur : « Les arbres des forêts dansent de joie » dit le psaume 95 (v.11).

Nécessaires à la respiration de la planète, les arbres sont aussi utiles pour en nourrir les habitants. Ils produisent quantité de fleurs et de fruits qui réjouissent les insectes et les rongeurs, les hommes et les bêtes sauvages.

Ainsi, pendant 30 ans de vie ordinaire à Nazareth, on peut bien croire que Jésus l’a souvent constaté : Figuiers, amandiers, oliviers ont fait sa joie, dans le jardin qui devait entourer son atelier de charpentier. Il en a goûté les fruits, pour constater à travers ses sens ce qu’il savait déjà comme Verbe éternel, selon la première lecture de ce jour : « C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre » ; ou dans l’évangile : « Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ».

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Constat naturel pour un enseignement surnaturel, et pas seulement moral : bien sûr qu’il s’agit d’entendre que nous devons porter de bons fruits par nos actes et pas seulement par des paroles. Mais pour le Seigneur Jésus, comme pour saint Luc qui écrit son évangile après le grand événement de Pâques, évoquer un arbre et ses fruits, c’est nécessairement renvoyer au mystère la croix : cet arbre planté dans la terre de l’humanité pécheresse pour lui faire porter un fruit nouveau et éternel.

Arbre mort comme une poutre plantée dans l’œil, arbre qui à vue humaine ne pouvait plus donner de fruit, l’arbre de la croix a jailli du sol de l’injustice. Puisqu’il portait le fruit divin qu’est le Fils éternel, c’est le fruit qui a donné sa sève de vie à l’arbre, pour une fécondité qui nous sauve définitivement du Mal et de la mort. Ainsi, l’arbre de la croix n’était qu’en apparence un arbre mort, puisqu’il apportait la grande guérison pour toujours.

Alors, si, de nos jours, la sylvothérapie encourage à embrasser les arbres pour soi-disant recevoir leur énergie, il est bien plus sûr et bien plus salvateur d’embrasser l’arbre de la croix. C’est ce que nous faisons symboliquement, une fois par an, le vendredi saint… un geste pour résumer notre vocation commune : embrasser en permanent la croix, pour y goûter sans cesse le fruit de l’arbre de vie !

C’est d’ailleurs ce que nous vivons aussi à chaque messe : nous embrassons la croix et nous en mangeons le fruit eucharistique, pour participer dans le Christ à la grande œuvre qui donne la vie au monde : le salut éternel, victoire du fruit délicieux de l’Amour divin sur le fruit infecte de Satan ; victoire du fruit succulent de la Vie éternelle sur le fruit pourri de la mort.

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Tel est bien le fondement de l’appel qui nous est lancé aujourd’hui. Être des arbres qui portent de bons fruits, c’est être si bien unis à Jésus, que les fruits de sa croix deviennent notre nourriture pour une vie donnée avec Lui. À 3 jours de l’entrée en Carême, n’est-ce pas un vibrant appel à vivre les 40 jours du chemin vers Pâques comme dans une pépinière ? 40 jours de disponibilité à la croissance, pour porter davantage de fruits dans le Christ.

Je crois repérer pour cela 5 grands critères, afin de redonner vigueur aux arbres fatigués et d’élaguer les arbres trop encombrés.

1er critère : l’enracinement dans le sol. Un arbre doit avoir de bonnes racines. Les racines, c’est le réel de nos vies, de nos corps, de notre histoire personnelle, de nos relations avec les autres. Le Carême qui approche pourrait alors être un temps favorable pour soigner nos racines, les accepter, ne pas en chercher d’autres que celles que la Providence nous a donnés, et en rendre grâce au Seigneur.

2e critère pour être un bon arbre : avoir un tronc bien solide. Tous les arbres n’ont pas le tronc parfaitement lisse ni absolument droit, mais peu importe ; ce que l’on attend d’un tronc, ce n’est pas qu’il soit parfait, c’est qu’il soit fort. Ayons donc un tronc bien solide, grâce à l’intelligence du cœur et du cerveau, grâce à la bonne curiosité pour connaître toujours davantage les mystères de Dieu, grâce à la vigilance aussi à ce que nous écoutons et regardons dans le monde. Ainsi se construisent les troncs solides, qui ne rompent pas quand souffle un vent violent.

3e critère : laisser nos branches s’élever vers le Ciel. C’est la prière, les sacrements, la méditation de la Parole de Dieu… tout ce qui permet à nos branches d’aller chercher plus haut la lumière et de nous faire toujours grandir ! Nous avons certainement besoin de vivre plus profondément encore des sacrements, de lire plus souvent la Bible, d’avoir plus de ferveur dans la prière. Non pas pour « ressentir » des choses : un arbre ne ressent sans doute rien quand ses branches sont en train de grandir ; mais c’est ainsi qu’il s’élève vers le ciel.

4e critère : laisser s’opérer la photosynthèse, qui absorbe le CO2 et rejette de l’oxygène dans l’atmosphère. Nous le faisons à chaque fois que nous répondons à l’appel du Christ qui nous dit : « bénissez ceux qui vous maudissent. » En répondant au mal par le bien, nous permettons à la grâce de transformer les gaz toxiques en bon oxygène qui permet à l’humanité de mieux respirer.

5e critère : offrir nos fruits aux autres. Si un arbre porte des fruits, ce n’est pas pour les manger lui-même. On n’a jamais vu d’arbre se nourrir de ses propres fruits. Ce qu’il produit de bon, il laisse les autres venir le cueillir sur ses branches. C’est la générosité, l’altruisme, le désir d’apporter aux autres de bonnes choses pour les réjouir et les nourrir.

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Voilà donc 5 critères pour être de bons arbres en soignant nos racines, notre tronc, nos branches, notre photosynthèse et nos fruits. 5 critères que nous pouvons aujourd’hui déposer au pied de la Vierge du Laus.

Car il se trouve que la statue de Notre-Dame du Laus, ici, dans la chapelle des apparitions, tient justement  un fruit dans sa main droite. Cette statue a été offerte en 1716, c’est-à-dire deux ans avant la mort de Benoîte, qui a donc prié devant cette œuvre. Le sculpteur avait voulu la donner au Laus, en action de grâce pour les bonnes odeurs surnaturelles qu’il avait senties la première fois qu’il était entré dans cette église.

Mais l’artiste n’avait pas pour objectif de rendre compte des apparitions vécues par la bergère. Jamais Benoîte ne dit avoir vu la Belle Dame avec un fruit à la main. La représentation était cependant courante à l’époque pour exprimer que la Vierge, nouvelle Ève, tient à la main le fruit nouveau du salut, en opposition au fruit du péché tenu par la première Ève.

Ainsi, ce que Marie tient dans la main droite et celui qu’elle porte de sa main gauche, c’est en fait le même Christ, son Fils, notre Sauveur : il est en personne le bon fruit donné pour sauver et réjouir l’humanité entière. Il est en personne le fruit mûr tombé de la croix pour nourrir notre vie éternellement.

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Alors, par la Vierge du Laus, demandons la grâce de préparer nos cœurs au Carême qui approche, pour être des arbres qui ne portent d’autres fruits que Jésus Lui-même.

Arbres humains, déployez-vous ! Bientôt viendra le printemps ! Que votre sève prépare dès maintenant ce qui permettra en vous l’éclosion du fruit de justice et de paix, Jésus, le Sauveur, fruit tellement beau à contempler, tellement bon à manger, qu’en le voyant pousser sur nos branches, tous puissent entendre son grand appel : « prenez et mangez » ! Amen.