« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».
L’auteur de l’épître aux Hébreux nous propose la définition suivante de la foi : elle « est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (He 11, 1). Elle nous révèle que la foi est située en tension entre ce que nous vivons, ce que nous espérons, et les réalités qu’on ne voit pas. C’est précisément le manque de cette foi que le Seigneur reproche aujourd’hui à ses disciples que nous sommes. « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».
Il est vrai que nous vivons, en ces jours, des situations très difficiles, nos pays et nos sociétés traversent des moments troubles qui nous inquiètent. Et il nait même le sentiment que l’Église, qui est notre soutien et est aussi prise par cette tempête, ne mènera pas à bien la mission que le Seigneur lui a confiée. Certains analystes chrétiens et non-chrétiens prédisent même la fin de l’Église en évoquant les scandales, le nombre de fidèles et aussi le fait qu’elle est moins écoutée que par le passé surtout concernant les questions d’ordre moral. Et nous, chrétiens, avons peur ; peur de voir couler notre Église et notre monde avec ses valeurs dans la foulée. Seulement, cette peur est toujours l’expression d’un manque de foi. « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
Je voudrais partager avec vous la réponse pleine de foi qu’un Cardinal a faite à Napoléon qui lui dit qu’il va détruire l’Église. Le Cardinal Ercole Consalvi lui répond ceci : « Majesté, nous n’avons pas réussi nous, prêtres, évêques, cardinaux, papes à faire couler l’Église au fil des siècles. Alors, tranquillisez-vous, car vous non plus ne réussirez à la détruire ». Cette déclaration est portée par l’Évangile de ce jour qui est non seulement une véritable parabole de la difficulté qu’éprouvent les chrétiens à porter le Christ où il n’est pas connu ou reconnu, mais aussi un enseignement pour comprendre et affronter les bourrasques de nos vies respectives : l’épreuve de la maladie, les problèmes économiques, les drames de l’incompréhension et de la séparation etc.
« Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque ». Jésus ordonne à ses disciples de le porter où son Évangile n’est pas encore arrivé, alors que le soir est tombé. Dans la Bible, les ténèbres ont toujours une connotation négative, et le soir est un moment dramatique qui appelle l’intervention salvifique de Dieu, comme nous suggère l’ouvrage du Cardinal Sara dont le titre est tiré de l’Evangile de Luc (Lc 24, 22) : « Reste avec nous Seigneur, car le soir approche et déjà le jour baisse ».
Frères et Sœurs bien-aimés, le porter sur l’autre rive est la mission que Jésus a confiée à la barque de ses disciples, à notre Église, à nos Églises, à chaque chrétien où qu’il soit. Porter Jésus sur l’autre rive est précisément le porter en terre païenne où l’argent, le pouvoir, l’orgueil, la jalousie, la haine font la loi. Et ce voyage n’est pas facile, la mer, siège des forces du chaos, y est opposée ; l’auteur du mal n’y est pas favorable. Voilà ce qui arrive à tout disciple quand il obéit à l’ordre du Seigneur qui l’invite à le porter là où les hommes ne sont pas humains : il surgit des forces déshumanisantes qui s’opposent au voyage de la Parole, à la transmission de l’Évangile, à la circulation de la Bonne Nouvelle.
Si nous répondons à l’appel du Seigneur dans le baptême, le mariage, la vie consacrée ou l’ordre en perdant de vue qu’il y aura des tempêtes à braver, alors les moments d’épreuves qui doivent nous permettre de nous rendre compte que le Christ est avec nous, nous plongeront dans la désespérance. Oui, nous devons intégrer qu’il y aura dans nos vies, dans nos projets, dans notre parcours avec le Seigneur des heures sombres, des moments de combat et de grandes souffrances. Lorsqu’il nous appelle à passer à l’autre rive avec Lui, à laisser tomber les sécurités et les assurances et à nous engager vers l’alternative qu’Il nous présente, préparons-nous aux tempêtes. Et dans la tourmente, crier vers Lui comme le font les disciples dans la barque demeure la solution.
« Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? ». C’est parfois notre prière quand nous faisons l’expérience d’un « Dieu qui dort », quand nous pensons qu’Il est tellement fatigué de nous qu’Il n’accorde plus aucun intérêt aux problèmes que nous traversons. Lorsque nous sommes malmenés par les tempêtes de la vie, il nous est peut-être arrivé de croire que Dieu ne s’intéresse plus à nous, parce que nous voulons l’avoir à notre disposition pour qu’Il intervienne à notre commandement. Nous sont alors familières les lamentations du psalmiste au Psaume 43 : « Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? Lève-toi ! (…) Pourquoi détourner ta face, oublier notre malheur, notre misère ? Oui, nous mordons la poussière, notre ventre colle à la terre. Debout ! Viens à notre aide ! Rachète-nous, au nom de ton amour » (Ps 43, 24-27).
« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Voilà la réponse du Seigneur lorsque la peur de périr nous paralyse alors qu’Il est avec nous dans la barque. Chercher à Le réveiller, à le sortir de son « sommeil » est une belle démarche. Cependant, le vrai geste de salut quand nous avons peur et que notre foi vacille est de Le réveiller en nous ou plutôt de nous éveiller à Lui. Car Lui seul peut faire taire en nous les vagues de doutes qui nous agitent comme nous lisons au Psaume 88 : « C'est toi qui maîtrises l'orgueil de la mer ; quand ses flots se soulèvent, c'est toi qui les apaises » (Ps 88, 10). Dans la première lecture de ce jour, le Seigneur le rappelle à Job du milieu de la tempête : « Qui donc a retenu la mer avec des portes […] ? Et je dis :“Tu viendras jusqu’ici ! tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! ».
Alors, aujourd’hui éveillons-nous à la présence de Dieu dans nos vies, dans nos barques, à travers deux attitudes : Introniser la Croix dans nos maisons à un endroit où nous pourrons la voir tous les jours, et prier avec la Vierge comme nous le recommande Saint Bernard : « Ô toi qui te vois ballotté au milieu des tempêtes, ne détourne pas les yeux de l’éclat de cet astre si tu ne veux pas sombrer. Si les vents de la tentation s’élèvent, si tu rencontres les récifs des tribulations, regarde l’étoile, invoque Marie ».
Loué soit Jésus-Christ !