Dimanche des Rameaux et de la Passion

dimanche 10 avril 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

La grande répétition générale !

Pardon de vous le dire ainsi, mais ce que nous avons fait tout-à-l’heure n’était sans doute pas pleinement satisfaisant, vous ne trouvez pas ? Pour tout vous dire, je le pense chaque année en vivant cette liturgie des rameaux. Elle a été très bien préparée par nos sœurs, très bien conduite par notre cérémoniaire et nos servants. Merci beaucoup à tous ! Nous avons ainsi pu mettre nos pas dans des siècles d’expérience liturgique, marchant avec toute l’Église à travers le temps et avec nos frères et sœurs de par le monde, qui ont processionné comme nous ! C’est la grande force de la liturgie…
 

Mais quand même… Avec quel élan avons-nous acclamé le Christ ? Nous avons levé les bras de quelques centimètres, pour une exultation très mesurée, alors que l’événement mériterait une grande explosion de joie !

Attention : ce n’est pas là un jugement sur ce qui habite votre cœur et le mien ; c’est plutôt une interrogation sur ce qui parvient à les soulever. Qu’est-ce qui remue vos cœurs, frères et sœurs ? Qu’est-ce qui vous fait exulter, par-delà toutes les épreuves de la vie ?... En tous cas, il me semble qu’une liturgie des rameaux ne le fait visiblement pas tant que cela !

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Alors, bien sûr, ce que nous avons vécu est un acte liturgique, qui a ses codes et son ambiance propres. Le sens et l’efficacité d’une liturgie dépassent de loin ses seules manifestations extérieures. Mais je rêve quand même d’une liturgie des rameaux à faire pâlir les supporters de l’OM, parce qu’ils verraient ici une ferveur tellement plus grande que celle de leur stade de foot !

Ou encore : je rêve d’une procession des rameaux qui donnerait envie aux militants des partis politiques. Eux, ils brandissent bien haut leurs pancartes lors des meetings. Ils scandent le nom de leur candidat jusqu’à en perdre la voix dans l’espoir d’en gagner quelques-unes. Justement, ce soir, nous pourrons constater l’exultation de ceux qui verront qualifié celui ou celle en qui ils mettent leur espoir. Et nous pourrons comparer leur enthousiasme avec celui qui était le nôtre tout à l’heure.

Évidemment, la liturgie de l’Église n’est ni un match, ni un meeting. Mais justement, on y remporte bien plus qu’une simple coupe remise en jeu l’année suivante ! On y acclame bien davantage qu’un vainqueur l’emportant pour 5 années seulement ! Et c’est là où notre joyeuse ferveur me semble interrogée : est-ce que la venue du Christ pour changer notre vie et pour recréer l’humanité entière nous remue totalement, ou est-ce que c’est devenu une sorte d’habitude dans notre paysage spirituel ?

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Alors, pour raviver si besoin la flamme de notre joyeuse espérance, je vous propose d’imaginer un peu mieux l’ambiance qu’il y avait à Jérusalem ce jour-là. Jésus entre dans la ville au milieu des cris de joie. Les gens étendent leurs manteaux sur son passage – qui d’entre nous aurait osé le faire tout à l’heure ? – ça chante, ça crie, tout le monde exulte ! On est heureux parce que Jésus est là ! Dans les cœurs, il y a l’espérance d’un Sauveur… Alors, les « hosanna » jaillissent avec puissance. Les bras se lèvent, les branches virevoltent dans tous les sens…

C’est bien l’ambiance qu’il y avait lors de l’entrée du Christ à Jérusalem : les foules en souffrance ont vu en lui ce roi qui allait changer leur vie ; dans l’espoir qu’elle change en mieux, qu’elle soit plus belle, plus douce, moins douloureuse.

Alors, nous aujourd’hui, qui savons que Jésus est vrai Dieu et qu’il est l’unique Sauveur du monde, ne devrions-nous pas exulter avec plus de joie encore, en voyant qu’il entre pour nous sauver définitivement du Mal et de la mort ? Oui, c’est bien ce que nous reconnaissons dès ce dimanche et qui va nous bouleverser au long de la Semaine Sainte : toutes les souffrances du monde - depuis les horribles guerres jusqu’aux douloureux cancers, depuis les séparations de couples jusqu’aux accidents de voitures, aux famines et aux épidémies… - toutes les souffrances, le Christ les a portées sur sa croix et enfouies au tombeau pour les traverser d’une lumière nouvelle, la lumière du salut éternel !

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Il y a là vraiment de quoi faire de toute notre vie un grand Hosanna ininterrompu ! Ainsi, quand nous souffrons, accueillons Jésus qui entre dans cette souffrance comme il est entré à Jérusalem. Il y entre pour la vivre avec nous et donner sa vie pour nous en sauver ! Comme aux portes de Jérusalem, il s’agit donc d’accueillir notre Roi : « Hosanna ! » On n’est plus seul, on n’est plus perdu : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »

Ce cri de joie vient donc exprimer notre profonde confiance dans le Christ, en même temps qu’il est un appel à l’aimer davantage. Car si nous voulons ouvrir les portes au Sauveur qui approche, si nous voulons brandir bien haut les rameaux de l’espérance, même dans la maladie, la guerre, les épidémies et les deuils, il n’y a qu’une seule condition, un seul moyen : avoir une relation plus vivante avec Jésus, plus amoureuse, plus absolue. Aimer sa présence, vouloir qu’il vienne en nous, le laisser entrer dans nos vies comme il est entré à Jérusalem !

C’est pourquoi la vitalité de notre procession des rameaux me semble si importante : elle interroge en fait notre amour du Christ, notre joie de le voir entrer pour nous sauver ! Elle est comme un baromètre de notre espérance, une prise de température du feu de l’Esprit qui nous habite : est-ce que la venue du Sauveur bouleverse radicalement notre vie, oui ou non ?

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Je n’en resterai cependant pas à l’insatisfaction d’une procession des rameaux qui aurait pu être un peu plus joyeuse. Car bien sûr, son cadre liturgique nous a conduits à ne pas trop en faire, par rapport à la foi sincère sans laquelle nous ne serions pas là aujourd’hui.

Mais le plus beau, le plus enthousiasmant, c’est de savoir que cette liturgie des rameaux était surtout une répétition. Oui, une grande répétition générale pour nous préparer à 3 événements décisifs. Le premier aura lieu dans quelques instants ; le deuxième dans moins d’une semaine ; pour le troisième, nul ne sait ni le jour ni l’heure.

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Première grande exultation qu’a préparée notre procession des rameaux, ce sera dans quelques minutes. Avant la grande prière consécratoire, nous allons chanter le Sanctus, avec les mêmes paroles que les foules acclamant Jésus à Jérusalem : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Et de fait, il va venir. Nous entrerons avec Lui, non plus à Jérusalem mais dans le mystère eucharistique, mystère de son sacrifice qui nous donne la vie. Réellement présent dans les espèces consacrées, le Roi de l’univers sera là pour nous ! Alors, quand nous chanterons tout à l’heure ces paroles, soyons vraiment disposés à l’accueillir : « Béni soit celui qui vient ! »

La deuxième grande exultation pour laquelle nous nous préparons par ce dimanche, c’est celle de la nuit pascale. Nous entrerons alors de nouveau dans l’église, non plus avec des rameaux, mais avec des bougies allumées au cierge pascal : Lumière du Christ ! Et là, il ne faudra vraiment pas chanter l’exultet du bout des lèvres ! Il ne conviendra pas de retrouver l’Alléluia pour l’acclamer seulement à mi-voix ! Nous allons nous laisser embraser par le mystère de la Vie nouvelle jaillissant pour toujours ! Voilà donc le deuxième événement auquel nous venons de nous préparer par la procession des rameaux : non plus Jésus qui entre, mais Jésus qui sort. Il va sortir de la  mort pour nous en faire sortir !

D’où le troisième événement que la liturgie des rameaux nous a préparés à célébrer : c’est quand le Roi de l’univers reviendra pour juger les vivants et les morts, afin de nous faire entrer dans la Jérusalem éternel. Oui, nous avons vécu tout-à-l’heure une grande répétition de ce que nous sommes appelés à vivre pour entrer au Paradis ! Saint Jean en est témoin, selon le livre de l’Apocalypse : « J’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main » (Ap 7,9). Vous voyez : nos rameaux vont bientôt nous resservir !

Je me dis alors qu’il n’est pas étonnant que la procession des rameaux me laisse toujours sur un goût d’inachevé.  Car c’est l’insatisfaction de ne pas être encore dans la joie du Ciel. Une insatisfaction qui n’est bien sûr pas du mépris pour la vie sur Terre. Au contraire, ce goût d’inachevé peut ouvrir notre quotidien à l’espérance des biens à venir pour qu’ils se déversent dans les biens présents.

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Ce qui nous attend au Paradis, nous ne pouvons en concevoir ni l’intensité ni la beauté. Mais nous pouvons déjà laisser la joie du Ciel nous gagner dès maintenant. Que tout devienne un grand « Hosanna » au Fils de Dieu qui vient pour nous sauver ! Que tout nous prépare au grand « Alléluia » de la victoire du Crucifié !

Voici donc ce qui nous attend : une semaine d’un Hosanna plein d’espérance, pour nous entraîner à l’Alléluia qui viendra percer la nuit pascale avant de retentir dans l’éternité bienheureuse !

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

Amen.