dimanche 17 avril 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Enquête sur les linges du tombeau vide

Si vous aviez à rendre compte de l’événement le plus décisif de toute l’histoire de l’humanité, quels mots choisiriez-vous, sur quoi insisteriez-vous ? Ne pensez-vous pas que vous chercheriez à aller à l’essentiel ?

 

Et voilà que l’apôtre Jean annonce la résurrection du Christ en s’attardant sur des choses que l’on pourrait penser accessoires. Simon-Pierre entre dans le tombeau : « Il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Une revue de détail, comme on la ferait dans un dressing ou dans une buanderie... C’est étonnant, vous ne trouvez pas ?

 

Que les linges soient posés à plat, que le suaire soit roulé à part et non avec les linges, en quoi cela peut-il éclairer notre accueil de l’événement qui change le monde et qui ouvre nos existences à l’éternité ? Ces précisions peuvent nous sembler tellement secondaires… mais quand Jean lui-même entre dans le tombeau, il voit et il croit. Il voit les linges pliés et rangés, et l’évidence s’impose à lui : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, Alléluia !… On n’est donc pas dans une simple histoire de chiffons.

 

Alors, en ce saint Jour de Pâques, pour que nous soyons éclairés comme saint Jean par l’événement grandiose qui nous rassemble, je vous invite à ce que nous menions une grande enquête sur les linges du tombeau vide !

 

 

La première raison de cette évocation serait purement factuelle : Si le corps avait été enlevé, on ne se serait certainement pas donné la peine de le dépouiller de ses linges, car cela aurait été peu pratique pour le transporter et ça aurait pris trop de temps pour un vol rapide.

 

Cet argument n’est pourtant pas suffisant pour rendre compte de l’acte de foi posé par Jean dès qu’il voit le tombeau vide et les linges bien rangés. Il y a sans doute autre chose, de plus profond, à savoir entendre.

 

Notre enquête nous conduit alors à regarder comment l’on enterrait les morts à l’époque : en les enveloppant dans des linges. Et même si, pour Jésus, on n’avait pas eu le temps d’accomplir tout le rite traditionnel d’embaumement, il avait bien été enserré dans un suaire pour le corps et un autre pour la tête.

 

Or, désormais, nous dit saint Jean, les linges sont là, « à plat ». Ils n’ont donc pas été retirées : ils sont à plat, comme si le corps de Jésus était passé au travers sans les défaire. Oui, le Christ a traversé la mort dans la fulgurance d’un relèvement qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer !

 

Voilà certainement ce que l’Apôtre comprend en voyant ces linges à plat, comme vidés de celui qui en était prisonnier : la mort a été traversée par le Prince de la Vie ! Désormais, nous pouvons en être certains : nous aussi, par Lui et en Lui, nous traverserons les couvercles de nos cercueils et les dalles de nos pierres tombales ! Parce que l’Auteur de la Vie a traversé la mort, nous pourrons traverser la mort avec Lui. Voilà de quoi faire jaillir de nos cœurs inquiets un très joyeux Alléluia !

 

 

Mais notre enquête pascale ne peut pas s’arrêter à ce premier Alléluia. Il y a encore autre chose à comprendre en constatant que les linges ne sont pas en désordre. Ils ont été posés à plat, tandis que le suaire se trouve roulé à part à sa place. Saint Jean prend le temps de rapporter tout cela, comme pour nous dire que le Ressuscité a pris le temps lui aussi de tout ranger avant de sortir du tombeau. Il a refait son lit avant de quitter ce lieu, comme nous ce matin avant de quitter nos chambres ! N’est-ce pas pour nous dire que la mort n’est désormais plus qu’un sommeil, pareil à celui dont nous nous sommes levés au seuil de ce jour ?

 

D’ailleurs, en refusant d’enterrer leurs morts dans des nécropoles – traduisez : les villes des morts – pour préférer les mettre dans des cimetières – traduisez : les lieux du sommeil – les premiers chrétiens ont tout de suite témoigné de cette conviction profonde : nous ne mourrons pas pour le néant, mais nous nous endormons dans le sommeil de la mort pour nous en réveiller bientôt.

 

Dans la première lettre aux Corinthiens, saint Paul proclame : « C’est un mystère que je vous annonce : (…) tous nous serons transformés, et cela en un instant, en un clin d’œil, quand, à la fin, la trompette retentira. Car elle retentira, et les morts ressusciteront, impérissables, et nous, nous serons transformés » (1 Co 16,51-52). Un sacré réveil pour ceux qui s’endorment dans la mort ! Rendez-vous compte : nous ne sommes pas destinés au néant, mais au réveil pour la Vie éternelle. Voilà la splendide espérance, qui nous fait proclamer encore un immense Alléluia !

 

 

Mais notre enquête pascale sur les linges mortuaires ne s’arrête pas encore à ce 2e alléluia. À travers ces linges bien en place, c’est comme si le Seigneur voulait nous faire saisir qu’un ordre nouveau des choses est advenu ce matin : le désordre généré par Satan, le désordre du péché, le désordre qui entraîne tant de souffrances, tant de guerres, tant de blessures dans l’ensemble de la Création se trouve aujourd’hui remis en ordre par le Christ re-Créateur du monde !

 

Voilà ce que nous fêtons en ce jour le plus important de toute l’année : un nouvel ordre ! Non pas le nouvel ordre mondial guidé par des intérêts financiers ou idéologiques. Mais le nouvel ordre du Salut, où tout est ramené au Père par le Fils dans l’Esprit. Un nouvel ordre de réconciliation, qui apporte la paix profonde de nous savoir chez nous auprès de Dieu !

 

Et ce nouvel ordre rejoint tous nos désordres intérieurs, tout ce qui est tordu en nous, tout ce qui fait la guerre entre nous ! Un nouvel ordre qui ne nous enferme plus dans nos erreurs du passé ! Un nouvel ordre qui restaure tout ce que le péché avait abîmé, à commencer par l’union de l’homme et de la femme. Blessée par le péché, cette union retrouve par l’offrande amoureuse du Christ son unité première : « tous deux ne feront plus qu’un »… le sacrement du mariage jaillit donc bien lui aussi de la victoire du Ressuscité !

 

C’est tout cela que les linges « bien rangés » viennent signifier. Et les deux apôtres entrant dans le sépulcre le comprennent sans doute à l’instant-même, car ils ont vécu les jours précédents l’horreur du désordre. Ils savent que ce n’est pas Dieu qui le cause ; car ils ont vu de leurs yeux que c’est Dieu qui le porte.

 

Mais le désordre profond de la Passion est maintenant terminé ; dans le calme de ce jour naissant, tout est remis en ordre par le Christ vivant, tout est dans un ordre nouveau,  un ordre de marche vers le Paradis ! Fin du grand désordre et nouvel ordre de paix éternelle : voilà de quoi nous faire chanter un troisième grand Alléluia !

 

 

Notre enquête sur les linges serait pourtant encore incomplète, si elle ne nous conduisait à voir dans le Ressuscité Celui qui accomplit toutes les annonces de l’Ancien Testament. En bons connaisseurs de la Parole biblique, Pierre et Jean comprennent, en voyant les linges pliés, ce que le Christ vient d’accomplir. Comme une évidence, ils se rappellent le livre du Lévitique, qui révèle la mission d’Aaron, frère aîné de Moïse, et de ses successeurs les grands prêtres, appelés aussi « grands sacrificateurs ».

 

Selon le chapitre 16 du Lévitique, pour entrer dans le sanctuaire sacré, le grand prêtre devait retirer ses vêtements liturgiques pour ne vêtir qu’une tunique de lin et se coiffer d’un turban. Ça ne vous évoque rien ? Tunique pour le corps et suaire pour la tête, comme Jésus, pareillement habillé dans la mort. Ainsi revêtu, le grand prêtre réalisait le sacrifice d’un bouc immolé sur l’autel et d’un autre bouc envoyé dans le désert chargé des péchés du peuple, le fameux « bouc émissaire ». Le Lévitique donne alors l’instruction suivante : « Quand le bouc aura été emmené au désert, Aaron rentrera dans la tente de la Rencontre, retirera les vêtements de lin qu’il avait mis pour entrer au sanctuaire et les déposera là. »

 

« Les déposera-là » : Vous comprenez pourquoi saint Jean croit, quand il voit les linges posés « là », à plat ? Il comprend comme une évidence que Jésus est bien le grand prêtre par excellence, selon l’expression de la lettre aux Hébreux (cf. He 4,14). Le Christ est à la fois l’Agneau immolé par qui nous est donnée la Vie, le bouc émissaire qui a porté les péchés du monde, et le grand prêtre qui a réalisé l’offrande parfaite. Prêtre d’un Sacerdoce nouveau, Prêtre pour l’éternité. Ayant accompli son œuvre définitive, il a rangé les vêtements qu’il avait revêtus pour le sacrifice ; rangés pour toujours, car désormais tout est accompli. Nous sommes donc libérés de l’esclavage de Satan ! Le Fils de Dieu a porté sur Lui tous les péchés du monde. C’est réalisé une fois pour toutes ; nous sommes sauvés ! Ce Jour de Pâques nous fait donc célébrer notre grande et définitive libération du Mal ! Voilà bien de quoi chanter encore, plein de soulagement et de reconnaissance,  un immense Alléluia!

 

 

4 grands Alléluia ! Les linges sont à plat parce que le Vivant a traversé la mort, Alléluia ! Les linges sont rangés comme on fait son lit après le temps du sommeil, parce que le Christ est venu réveiller les morts pour toujours, Alléluia ! Les linges sont pliés en ordre, car le Sauveur inaugure un ordre nouveau de l’humanité, où tout s’ordonne à la vie divine, Alléluia ! Les linges sont laissés de côté, car le grand prêtre a réalisé le sacrifice unique et définitif qui nous libère du Mal, Alléluia ! 4 grands Alléluia, 4 causes d’une joie qui doit exulter dans nos cœurs tout au long de ce jour, et à chaque instant de notre vie sur Terre, jusqu’à ce que nous ne chantions plus qu’un Alléluia ininterrompu dans la joie du Ciel. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Alléluia !