Dimanche de la Parole de Dieu

dimanche 23 janvier 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

La Parole solide qui unifie

Je suis certain que vous aimez les belles histoires… tout le monde aime les belles histoires, n’est-ce pas ? Alors, permettez-moi de vous en raconter une, vraiment très belle. En fait, pas simplement une histoire, mais notre histoire : l’histoire biblique, histoire d’Alliance de Dieu avec l’humanité ; histoire sainte, par laquelle nous discernons la véritable valeur des choses et le vrai sens de l’histoire humaine.

 

S’intéresser à l’histoire biblique, c’est donc toujours une vive interpellation : Comment inscrivons-nous la vie de notre époque dans cette histoire qui nous a précédés et constitués ? Et comment cette histoire résonne-t-elle aussi dans mon histoire personnelle ? Je vous propose alors un petit aperçu d’histoire biblique, qui soit en même temps un grand voyage intérieur.

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Cette histoire s’origine dans l’acte premier de la Création, puis elle prend véritablement le sens d’une alliance avec Abraham, notre père dans la foi. Vient ensuite l’événement décisif de la sortie d’Égypte et l’accomplissement de la promesse divine : le don d’une terre, justement appelée la Terre Promise.

 

Promise, mais pas obtenue ni maintenue sans difficultés. Si la stabilité et l’unité du peuple se trouvent établis vers l’an mille avant Jésus-Christ avec le roi David et son fils Salomon, par la suite, des divisions entraînent une séparation en deux royaumes : Israël au Nord avec sa capitale Samarie ; Juda au Sud, autour de Jérusalem.

 

Mais en 722 avant Jésus-Christ, le royaume du Nord est envahi par les Assyriens. Grand traumatisme et profonde interrogation : le Seigneur a-t-il abandonné son peuple trop infidèle ? Subsiste cependant le royaume du Sud, avec la grande capitale de David, Jérusalem. La promesse divine peut donc continuer à s’accomplir : la Terre promise est toujours aux mains du peuple de l’alliance.

 

Imaginez alors la catastrophe quand, un siècle et demi plus tard, Jérusalem est prise à son tour. Le Temple est pillé et les Hébreux déportés à Babylone. Nous sommes en 586 avant Jésus-Christ. Le peuple est exilé pour un douloureux éloignement de la Terre Promise, qui va durer 47 ans.

 

Ensuite, après la prise de Babylone par les Perses, les Hébreux sont autorisés à revenir au pays. Deux Juifs, fonctionnaires du roi de Babylone, sont chargés d’organiser ce retour. Ils s’appellent Esdras et Néhémie. Leur mission est complexe : rendre au peuple son identité et refonder son unité.

 

Nous en arrivons à la première lecture de ce dimanche. Néhémie est chargé de restaurer la capitale et de remettre en place l’économie : il reconstruit les murailles de Jérusalem, remet les dettes et allège les impôts. À Esdras est confiée la mission d’organiser le retour de ceux qui veulent revenir à Jérusalem ou dans les environs.

 

Mais ça n’est pas simple : après 47 ans à Babylone, certains Hébreux se sont bien adaptés à la vie là-bas ; ils y ont adopté les coutumes et parfois mêmes les dieux. Le défi d’Esdras et de Néhémie est donc de taille : faire l’unité d’un peuple profondément dispersé.

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Dans toute cette histoire, remplacez le mot « peuple » par le mot « âme » et vous percevrez le grand voyage intérieur que le Seigneur nous invite à vivre dans sa miséricorde et l’appel à la conversion qui nous est toujours lancé.

 

Car au plus profond de nos cœurs comme dans les relations avec les autres, le grand défi, c’est d’abord celui de l’unité. En soi-même, en couple, en famille, en société, l’unité est toujours fragile. Et si le mot « religion » veut dire « relier » - réunir à Dieu et aux autres-, dans les faits, l’unité est aussi à vouloir construire sans cesse entre ceux qui confessent le même Seigneur et Sauveur.

 

Au cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, notre Église nous appelle alors à ne jamais nous résigner aux divisions, ni intérieures ni relationnelles, car le projet divin est toujours un projet d’unité : Dieu veut régner sans partage sur nos cœurs et il veut constituer un peuple qui aille jusqu’à refléter ce qu’Il est en Lui-même : Dieu d’unité trinitaire. Le Seigneur nous appelle alors à raviver en tout temps notre désir d’unité, pour préparer aussi ce que nous serons au Ciel : un seul peuple en Lui, un seul corps avec Lui, préfiguré par le seul Corps que nous formons dans le mystère eucharistique.

 

Oui, au Ciel, ça sera évident, puisqu’il n’y aura plus ni mésentente, ni égoïsme, ni orgueil, ni rien d’autre pour faire obstacle à l’unité. Mais tant que nous sommes sur cette Terre, le défi paraît énorme, et le vœux peut-être un peu trop pieux… L’unité, personne n’est contre, n’est-ce pas ? Mais comment y travailler concrètement ? L’unité est un grand défi, de nos jours comme du temps d’Esdras et de Néhémie. Alors, aujourd’hui comme à leur époque, un fondement à cette unité est nécessaire ; une solidité, qui ne fasse pas seulement reposer l’unité sur quelques beaux sentiments du moment.

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Alors, qu’est-ce qui peut donc faire notre unité malgré – ou plutôt : à travers - les aléas de l’histoire et les différences de chacun ? Pour le découvrir, revenons à l’histoire biblique là où nous l’avions laissée. La première lecture nous a fait comprendre que l’unité des Hébreux revenus d’exil ne reposerait pas sur un chef charismatique ou autoritaire, ni sur un projet politique recevant l’assentiment de tous. C’est autour de la Parole de Dieu que le peuple va se retrouver et s’unifier.

 

Nous avons alors assisté à une grande liturgie : solennellement, Esdras a ouvert le livre. Il s’est tenu sur une tribune, c’est-à-dire au-dessus du peuple, non pas pour signifier une quelconque supériorité de sa part, mais pour manifester l’autorité de cette Parole, qui n’est comparable à aucune autre parole de cette Terre.

 

À sa lecture, Néhémie rapporte alors : « tout le peuple, levant les mains, répondit : ‘Amen, amen’ ». « Amen » : de l’hébreu ‘aman’, le rocher, la solidité. Le peuple fragilisé par des années d’exil reconnaît et proclame une unité retrouvée et une solidité nouvelle. Alors, d’une seule voix, comme pour sceller cette unité puisée dans la Parole de Dieu, le peuple s’écrie : « Amen, Amen ». « Solidité, solidité ! »

 

Les Hébreux comprennent qu’ils ont là leur principe d’unification et de force, comme nous sommes appelés à le saisir nous aussi aujourd’hui : la solidité de notre unité intérieure et la solidité de l’unité entre nous, c’est sur la Parole de Dieu qu’elle est fondée ; c’est dans la réception de la Parole de Dieu qu’il faut donc la puiser, avant de laisser la grâce la sceller dans le sacrifice eucharistique où nous devenons un seul Corps, le Corps du Christ.

 

Voyez alors le lien évident entre ce dimanche de la Parole de Dieu et la semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui a commencé mardi. À chaque fois que nous proclamons la Parole biblique, d’elle-même, parce qu’elle Parole vivante, parce qu’elle est Dieu à l’œuvre, cette Parole réalise notre unité et fait notre solidité. Qu’elle touche ou non notre intelligence sur le moment, qu’elle rejoigne ou non nos préoccupation de ce jour, elle est toujours « Amen », toujours solidité qui fait l’unité !

 

Saint Luc ne dit d’ailleurs pas autre chose, au début de son évangile : il y explique à Théophile – celui qui aime Dieu, c’est donc chacun d’entre nous, espérons-le – il explique à ce chercheur de Dieu pourquoi il a voulu rédiger son évangile : « afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus ». La solidité, c’est l’Amen aux enseignements reçus de la part des témoins oculaires : « Amen » à Jésus-Christ, Parole éternelle du Père !

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Mais ce qui surprend quand même, par la suite, dans le livre de Néhémie, c’est que la proclamation de cette parole suscite la désolation du peuple : « Ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi ». Non pas des pleurs d’émotion, mais de tristesse : en recevant la Parole de Dieu, le peuple saisit qu’il y a été infidèle et que l’exil à Babylone fut certainement une conséquence de cette infidélité. Oui, la Parole de Dieu dénonce nos infidélités ; c’est pourquoi elle nous est parfois difficile à entendre ; et c’est pourquoi aussi il est tentant de vouloir en atténuer la force.

 

Mais c’est pour nous libérer que cette Parole dénonce. Alors, dès les premières larmes du peuple, Esdras exhorte : « Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ce ne sont pas seulement les murailles de Jérusalem qui sont en train de se relever, c’est l’unité du peuple et l’orientation des cœurs vers Dieu qui retrouvent leurs fondations. Voilà donc Esdras qui proclame : « La joie du Seigneur est votre rempart ». Plus encore que les remparts de la ville, ce qui va permettre désormais au peuple d’être unifié et protégé, c’est la joie d’entendre la Parole de Dieu, la joie d’y goûter combien le Seigneur manifeste toujours son amour, offre toujours sa miséricorde et ne reviendra jamais sur son alliance.

 

Ainsi pour nous encore aujourd’hui, la Parole de Dieu nous reconstruit à chaque fois : elle reconstruit intérieurement nos cœurs inconstants et elle reconstruit extérieurement la communion entre nous. Elle est donc toujours un rempart de joie pour nous garder de la tentation de baisser les bras ; et elle est une forteresse contre tous les dangers de division.

 

Ce dimanche interroge alors tous les lieux où soigner notre unité par la Parole de Dieu. En couple, comment la Parole biblique fait-elle votre solidité ? En famille, quelle place a la Parole de Dieu pour cimenter votre unité ? En communauté chrétienne, quelle obéissance communautaire à la Parole qui unifie ? Avec des chrétiens d’autres confessions, quelles rencontres autour de la Parole de Dieu pouvons-nous chercher à promouvoir ?

 

Oui, promenons-nous souvent sur ce rempart de joie qu’est la Parole biblique : rempart solide, forteresse imprenable, force permanente  au cœur de nos vies fragiles. Solidité, aman, Amen !