4e dimanche du temps ordinaire B

dimanche 31 janvier 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

L’autorité du Christ

Capharnaüm : une petite ville située au Nord d’Israël, où a lieu l’événement rapporté aujourd’hui. Mais « capharnaüm » est devenu aussi un nom commun pour signifier un lieu de désordre. Quand Jésus entre à Capharnaüm, on pourrait donc dire qu’il entre dans un certain bazar, comme une image de son entrée dans le grand bazar de la vie humaine, lorsqu’il a pris chair pour habiter parmi nous.

Nous sommes au début de l’évangile de saint Marc. C’est le premier événement du ministère public de Jésus : il entre dans cette ville devenue le symbole du désordre ; et c’est là qu’il manifeste toute son autorité. Autorité qui étouffe les prétentions démoniaques et éveille dans le cœur des habitants un cri enthousiaste : « Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! »

De l’autorité dans le bazar : c’est ce que Jésus vient apporter ! Mais de quelle autorité s’agit-il ? En fait, l’ensemble de l’évangile de saint Marc va le développer par la suite, pour arriver à l’exclamation du centurion au pied de la croix : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Mc 15,39). Son autorité, le Christ la tient de Lui-même comme Fils de Dieu, dans la communion du Père et du Saint-Esprit. Son autorité resplendit sur la croix. Elle sauve de l’éternel désordre infernal.

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Le premier acte de la vie publique du Christ, c’est donc d’enseigner avec autorité. Ça ne veut pas dire qu’il parle plus fort que les autres, mais que sa parole allume un feu dans les cœurs. Elle est un baume pour apaiser les blessures intérieures. C’est cette autorité-là qui marque les foules : des paroles qui font grandir, selon la définition-même de l’autorité : avoir de l’autorité, c’est « faire croitre. »

Si l’autoritarisme étouffe la vie, l’autorité la fait grandir ! Il y a là, en fait, deux conceptions différentes du pouvoir et de la puissance. Même s’ils habitent dans un certain bazar, les habitants de Capharnaüm n’ont pas besoin d’autoritarisme pour remettre de l’ordre en étouffant la vie ; ils ont besoin d’une autorité pour leur donner envie de grandir et de vivre ensemble. De même, dans tous les capharnaüms de nos vies et de nos cœurs, le Christ ne révèle pas un Dieu autoritariste étouffant ce que nous sommes et ce à quoi nous aspirons ; mais un Dieu d’amour infini relevant ceux qui tombent et révélant les beautés présentes en nous.

L’autorité du Christ n’est donc pas un pouvoir écrasant dont il faudrait avoir peur. Contrairement à certains êtres humains, Dieu n’a pas besoin de se rassurer sur son importance en exerçant un pouvoir autoritaire sur les autres. C’est sans doute d’ailleurs cela qui étonne la foule : le Christ enseigne, dit saint Marc, « en homme qui a autorité et non pas comme les scribes ». Leur autorité, les scribes devaient être tentés de l’exercer parfois par la domination et par la peur. Le Christ, Lui, a une véritable autorité : il ne cherche pas à soumettre, mais à élever.

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Après 2000 ans de christianisme, nous n’avons sans doute pas fini de convertir notre regard sur l’autorité divine et d’en tirer toutes les conséquences pour l’exercice de l’autorité humaine. Il reste peut-être toujours en nous une certaine peur de la toute-puissance de Dieu. Il peut aussi se glisser en nos cœurs la tentation d’exercer sur les autres une autorité comme un pouvoir écrasant : autoritarisme ecclésiastique, parental, professionnel ou même dans un couple peut-être, pour obtenir la soumission de l’autre.

Cette mainmise sur la liberté des autres, Dieu la refuse. Il entraîne tous ceux qui veulent Lui être fidèle à exercer pareillement leur autorité comme un service de croissance. Saint Pierre l’exprime ainsi dans sa première lettre : « sans commander en maître à ceux dont vous avez reçu la charge » (1 Pi 5,3). Dans ces conditions, saint Paul dit aux Romains : « Que chacun se soumette aux autorités » (Rm 13,1).

Ce dimanche est donc un appel à laisser le Christ exercer sur nous toute son autorité de Sauveur. Jamais écrasante, jamais humiliante, cette autorité fait seulement grandir. Elle se décline alors en deux réalités, comme les deux faces indissociables d’une même feuille de papier.

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Au recto de l’autorité divine, la confiance : pour que le Christ puisse exercer son autorité de Sauveur sur nos corps, nos psychologies et nos esprits, il faut Lui faire confiance. Être convaincu qu’en Le suivant, on ne se fait jamais piéger : le Seigneur sait ce qui est vraiment bon pour nous et le veut infiniment plus que nous !

Alors, faites confiance à Jésus, et faites-Lui totalement confiance. Laisser le Christ exercer son autorité, c’est Le laisser avoir accès à tout notre être, sinon rien. On ne peut pas faire confiance à moitié. Pour le dire autrement : impossible d’être chrétien le dimanche et sans religion le reste de la semaine. On ne peut pas appliquer l’évangile envers ses proches mais pas envers l’étranger, ou dans les idées mais pas dans le portefeuille. Autorité du Christ sur tout, pour que tout soit en croissance vers son royaume !

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Cette confiance ne vise donc pas à nous empêcher de vivre, bien au contraire. C’est pourquoi, au verso de l’autorité divine, il y a notre libre originalité. Être à l’écoute de ce qui est original en nous, c’est laisser le Christ exercer toute son autorité sur notre vie unique, incomparable à aucune autre et inestimable comme toutes les autres. Alors, posez-vous, s’il vous plaît, la question de savoir ce qui vous rend différent des autres et ce que vous apportez d’unique à notre monde. Le Seigneur a déposé et dépose quotidiennement en chacun de nous des potentialités formidables, à n’importe quel âge, dans n’importe quel état de santé.

Le problème, c’est que nous perdons souvent beaucoup d’énergie à nous comparer aux autres, plutôt qu’à cultiver ce que nous avons d’original. Notre originalité est alors paralysée par l’impression qu’il faut se conformer à des modèles : la femme parfaite, la famille exemplaire, les grands-parents toujours disponibles, le prêtre qui a tous les charismes. Dans ce cas, c’est le modèle conventionnel qui fait autorité sur nous, et non plus le Christ. Nous baissons alors les bras de ne pas être à la hauteur de ce qu’il « faudrait », jusqu’à renoncer peut-être à notre chemin de sainteté : « je n’y arriverai jamais ! »

Évidemment, moi je n’arriverai jamais à être Padre Pio, parce que le Seigneur n’attend pas que je devienne Padre Pio ; il me demande d’être père Ludovic et de l’être vraiment. L’autorité du Christ vient faire croître en moi Ludovic, non pas Pio. Je peux bien sûr m’inspirer de Padre Pio, mais pas le mimer. Ainsi pour chacun d’entre nous : ne confondons jamais les personnes qui peuvent nous inspirer, notamment les saints, et la personne unique que nous sommes et qu’il faut toujours davantage devenir.

Laisser le Christ exercer sur nous son autorité, c’est donc laisser sa grâce nous faire devenir ce que nous sommes, chacun dans son chemin unique et original, en communion les uns avec les autres. L’autorité du Christ se déploie alors en courage, inventivité, fantaisie, génie propre à chacun et utile à tous.

Il me semble que c’est bien ce que perçoivent les auditeurs du Christ dans la synagogue de Capharnaüm. Quand ils s’exclament : « voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité », ils ne se réjouissent pas d’un pouvoir écrasant venant enfin les oppresser de manière efficace. Le Seigneur Jésus est venu pour tout autre chose, selon ses paroles-même : « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance » (Jn 10,10). Pas l’abondance dans la vie, car cette abondance-là risque d’étouffer ; mais la vie en abondance, comme un élan formidable de confiance et de créativité : l’abondance de l’autorité du Christ sur nous !

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Alors, surtout si vous trouvez que votre vie est actuellement comme un capharnaüm ; si vous estimez que notre monde en pandémie est un grand bazar générant des tentations politiques d’autoritarisme, invoquez le Christ ! Suppliez son autorité, en Lui faisant confiance et en Le laissant déployer ce qui est original en vous ! Tout bazar s’ordonne alors selon le projet divin. Tout désordre fait place à la paix de s’en remettre totalement à la miséricorde du Seigneur.

Ne cessons alors jamais de crier ou de chanter au fond de nos cœurs :

« Ô Christ, viens et règne entièrement sur moi !

Exerce en moi toute ton autorité :

sur mon péché pour l’anéantir, sur les suggestions du Malin pour les faire taire,

sur mes désirs pour les orienter vers le Père, sur mes projets pour les remettre à l’Esprit Saint.

Ta suprême autorité, qu’elle vienne, Seigneur, tout recouvrir en moi ! »

Frères et sœurs, je vous invite dès maintenant à exprimer cela intérieurement, au plus profond de votre âme : « Viens et règne, Christ Sauveur ! Exerce totalement sur moi ta divine et bienfaisante AUTORITE ! » Amen.