3e dimanche du Temps Ordinaire B

dimanche 24 janvier 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Dieu qui fait bouger !

“On ne peut respecter l'autre si on le met sur un piédestal parce que sur un piédestal, on ne peut plus bouger.” Cette citation anonyme illustre bien la mission qui nous est tous confiés : ne jamais figer les autres, ni sur un piédestal ni d’ailleurs dans leurs défauts ; mais les aider à bouger, toujours ! Et accepter soi-même d’être sans cesse en mouvement.

Dieu nous aime trop pour nous voir figés dans des postures, paralysés par notre passé ou endormis dans le confort. Alors, sans cesse, le Seigneur nous met en mouvement. Du mystère de la Trinité à celui de l’Ascension, de l’Incarnation à la Pentecôte, nous confessons un Dieu qui bouge et qui fait bouger. En mouvement d’amour éternel au sein de la Trinité, Dieu a bougé pour nous sauver et nous rendre participants de son grand mouvement de vie !

Ce dimanche de la Parole de Dieu et de l’unité des chrétiens vient alors interroger notre disponibilité à bouger avec le Seigneur. Car la Parole divine n’informe pas, elle transforme et met en marche ; elle ne renseigne pas, elle déplace. C’est pourquoi, souvent, elle dérange et déstabilise ceux qui voudraient tout maîtriser. Sans cesse, elle met en route, comme en témoignent les lectures de ce dimanche :

-          Dans le livre de Jonas : « lève-toi ! »

-          Dans le psaume : le Seigneur « montre aux pécheurs le chemin »

-          Dans la première lettre aux Corinthiens : « il passe, ce monde tel que nous le voyons ».

-          Dans l’évangile : « venez à ma suite »… « et ils le suivirent ».

Le messager de Dieu, le pécheur empêtré dans son crime, le temps qui passe et le disciple du Christ : tout le monde bouge dans les lectures de ce jour. Comme partout dans la Bible : depuis Abraham appelé à quitter son pays (cf.Gn 12,1), jusqu’au Christ qui « n’avait pas d’endroit où reposer la tête » (Mt 8,20). La Parole de Dieu rend compte d’un mouvement perpétuel ! Le Seigneur est un rocher sur lequel s’appuyer, mais un rocher qui déplace : « va » (Jn 8,11), « suis-moi » (Mt 19,21), « avance en eau profonde » (Luc 5,4), « lève-toi et marche » (Ac 3,6).

Cherchez donc une seule parole biblique où Dieu dirait : « reste tranquillement sur place, je vais te faciliter la vie et te servir dans tous tes besoins » ! Certes, le Christ révèle qu’en Lui se trouve le repos véritable, mais même ce repos met en mouvement :  « venez à moi, vous tous qui peinez » (Mt 11,28). En mouvement jusqu’au Ciel ! Et le paradis lui-même est sans doute davantage un mouvement incessant d’amour qu’une éternité figée.

Alors, si tout le monde bouge dans la Bible, l’appel est clair pour nous : est-ce que nous savons encore bouger ? Est-ce que la Parole de Dieu nous met en mouvement ? Est-ce qu’en entendant les appels à avancer pas à pas sur les traces du Christ, nous faisons comme les disciples et nous lâchons tout le reste ?

Je vous encourage à ne pas quitter cette église ou votre écran sans avoir dit un grand OUI au Seigneur qui veut que ça bouge en vous comme en moi !

*        *        *

Mais pour consentir à bouger, il faut d’abord se convaincre de ne jamais être arrivé. La deuxième lecture est alors un grand remède à l’immobilisme. Tout passe, nous dit saint Paul. Oui, nous le savons bien : les saisons, les forces de la jeunesse, les biens matériels… tout passe ! S’arrêter à ce qui passe, ce n’est pas profiter de la vie, c’est la paralyser. La Parole de Dieu ne cesse alors de nous provoquer : puisque tout passe si vite, ne cessez pas d’avancer !

D’ailleurs, si Dieu a voulu nous placer sur une Terre qui tourne, c’est sans doute pour que, même endormis, nous continuions à bouger ; et pour que, même en courant de-ci, de-là, dans la précipitation de nos activités terrestres, nous allions pourtant tous dans le même sens… Voilà un bon fondement à l’unité pour laquelle nous prions ce dimanche ! Dieu ne nous a pas seulement donné la vie, il nous donne aussi le mouvement, sur une Terre qui tourne, pour avancer tous ensemble dans le même sens : un mouvement de charité, une marche de sainteté jusqu’au Ciel !

Ne restons donc pas dans les eaux stagnantes d’une vie isolée ! Les eaux stagnantes sentent mauvais, alors que le Seigneur veut faire jaillir de nous une eau en mouvement : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive », dit le Christ. « De son cœur couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7,37-38). La Parole de Dieu ne cesse de changer nos eaux stagnantes en eau vive ! Alors, abreuvons-nous sans cesse à l’eau pure de la Bible, pour être source plutôt que flaque !

*        *        *

Oui, source d’eau en mouvement plutôt que flaque d’eau stagnante : je vous invite à garder cette image à l’esprit, pendant toute la semaine. Et à chaque fois qu’une occasion se présentera, qu’un événement vous dérangera, qu’une personne aura besoin de vous, demandez-vous : source ou flaque ? Qu’est-ce que je veux être ? Source dont l’eau rafraîchit ou flaque dont l’eau croupit ? 

L’image est simple ; mais la mise en œuvre peut paraître bien plus compliquée. Car nous avons souvent peur de bouger ; ou nous pensons que ce n’est pas à nous de bouger. Nous restons alors dans les eaux stagnantes de nos relations tendues avec les autres. Nous avons peut-être même coupé les vannes de la charité ou de l’attention à l’égard de ceux qui nous dérangent, qui vivent différemment de nous ou qui nous ont blessés.

C’est bien pourquoi l’Église nous offre de célébrer ce dimanche au cœur d’une semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Les divisions entre croyants confessant le même Christ Sauveur du monde sont désolantes. Mais, comme dans les divisions en famille ou en communauté paroissiale, nous peinons à faire coïncider le désir théorique d’unité avec la réalité concrète du quotidien.

Vouloir être source plutôt que flaque, c’est croire à la fécondité du mouvement d’unité plutôt qu’à celle de la stagnation ; c’est accepter l’inconfort de ne pas être arrivé à la situation idéale, sans pour autant renoncer à cet idéal. Dans les conflits familiaux comme dans les divisions entre chrétiens, la situation présente n’est pas parfaite. Mais si nous sommes en mouvement de désir, de prière et de charité, les choses peuvent avancer, même à petits pas. Elles avancent, même si nous ne le voyons pas.

*        *        *

Allez, en route, en avant ! Nous sommes ici en un sanctuaire qui est né d’un mouvement : du Vallon des fours à Pindreau, de Pindreau à Bon Rencontre, la bergère Benoîte a été disponible aux déplacements qui lui ont permis d’aller de rencontre en rencontre, de grâce en grâce, et même de combat en combat ; mais toujours en mouvement !

Parler de mouvement en temps de couvre-feu, alors que menace un troisième confinement ou que vous êtes peut-être connecté au Laus depuis des pays encore confinés, c’est presqu’une provocation… Oui, une provocation, au sens premier du terme : pro-vocare, c’est appeler en avant. La pro-vocation est donc bien une vocation : un appel à aller de l’avant que le Seigneur ne cesse de nous lancer par sa Parole vivante : provocation à bouger et à faire l’unité.

Puisque les circonstances sanitaires rendent les déplacements physiques plus compliqués, on a peut-être davantage à se demander actuellement comment bouger autrement : par la prière, par de fermes résolutions, par une charité plus grande. Profitez donc de cette période de distanciations pour interroger votre désir de vous rapprocher des autres et de tous les autres.

Je vous invite alors, pendant l’offertoire, à prendre l’engagement de bouger quelque chose dans votre vie au cours de la semaine qui vient et à faire concrètement un pas dans le sens de l’unité. Si nous déposons ces deux désirs sur l’Autel de l’Eucharistie, le Christ pourra les saisir dans son offrande pour les présenter au Père, dans l’Esprit.

Alors, c’est certain, les fleuves d’eau vive jaillissant de sa croix vont tout faire bouger, bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Car bouger, c’est toujours un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour Dieu. Quand nos petits désirs et nos petits courages sont pris dans le mouvement de l’offrande du Christ, ils prennent une force et portent une fécondité que nous ne saisirons sans doute qu’au Ciel ! Alors, lâchons les freins ; c’est l’heure du mouvement : « venez à ma suite », dit Jésus. « Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. »