La puissance du "je t'aime"
« Je t’aime », voilà chers frères et sœurs bien-aimés, des paroles qui portent la joie. Des auteurs de tous bords ont écrit pour révéler la puissance du « je t’aime » ; en référence à cela, l’un d’eux affirment que ceux qui disent « je t’aime » « se portent bien mieux que la plupart des gens, qu’ils (…) mènent une vie sociale bien plus enrichissante et épanouie. Leur vie de couple dure plus longtemps, et de manière générale ils se disent très heureux dans la vie, bref tout semble leur sourire ».
Seulement, s’il y a une expression qui aujourd’hui est la plus utilisée et la plus galvaudée c’est bien « je t’aime ». A une époque, il y avait une certaine pudeur à le dire, mais aujourd’hui il a quelque peu perdu sa signification profonde. Car, on s’en sert aussi pour exprimer la luxure et l’adultère ; certains homicides qui sont de véritables tragédies de vice sont appelés délits d’amour ; on dit je t’aime à une personne pour la flatter, pourtant l’on médit à son sujet sur son dos.
Alors que veut-on dire par je t’aime et quelle est sa réelle puissance ? En général, on identifie l’amour dans le domaine sentimental à cette attractivité qui nait de la beauté physique de l’autre ou de la sympathie qu’il suscite de par ses qualités. On l’aime parce que l’on se dit que si je réussis à avoir cette personne pour moi, je serai heureux (se) ; ce qui donne lieu à des déclarations d’amour du type : « je t’aime tellement, je ne peux pas vivre sans toi, j’ai besoin de toi, tu dois être à moi sinon je ne serai jamais heureux ». C’est ce que les grecs ont appelé l’amour-Eros, un amour possessif qui recherche l’autre pour ce qu’il peut donner, un amour qui peut nous enfermer dans l’égoïsme et nous porter à des comportements dégradants. Il est alors difficile de bâtir des liens durables, fidèles, définitifs sur la base de cet amour qui provient de notre nature biologique, car il faut peu pour les détruire.
Cependant, cet aspect n’épuise pas la réalité de l’amour. Il y a un amour qui ne dérive pas de notre nature biologique, mais de la nouvelle nature, celle de fils de Dieu, un amour que le Christ révèle à ses disciples durant la dernière Cène dans son discours. Dans ma culture, les dernières paroles d’un homme avant sa mort ne sont pas à prendre à la légère, elles sont sacrées. Et l’Évangéliste Saint Jean l’a tellement bien perçu qu’il consacre 05 chapitres sur 21 à ce discours-testament au cours duquel Jésus insiste sur l’amour en le répétant.
Il donne un commandement nouveau qui dépasse celui ancien tel qu’il est écrit dans le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Il nous dit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34). Cet amour nouveau sur lequel Jésus insiste, Saint Jean le présente avec un nom nouveau : Agapè, et non pas Eros qui n’apparaît pas dans le NT. « Demeurez dans mon Agapè » (Jn 15, 9) nous dit Jésus, « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon Agapè, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son Agapè » (Jn 15, 10). Et il précise en disant que : « Il n’y a pas de plus grand Agapè que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13).
Bien-aimés du Seigneur, cet Agapè, cet amour vient de la vie même de Dieu présente en nous. C’est un amour gratuit qui nous pousse à vouloir de façon inconditionnelle le bien de l’autre. Il nous pousse à faire vivre l’autre même s’il refuse d’en profiter. Alors dans la bouche de Jésus, « Je t’aime » prend toute sa puissance. Il a fait et fait encore aujourd’hui cette déclaration d’amour à chacun de nous : « Je t’aime tellement que je suis prêt à tout pour te voir heureux (se). Le but de ma vie est ta joie, et je donnerai ma vie pour te voir heureux (se), même si l’on me met sur une croix, même si tu me mets sur une croix ; je ne peux rien faire d’autre que de t’aimer et te voir heureux et heureuse ». Voilà la réelle puissance du Je t’aime qui ne s’oppose pas à l’Eros mais le parfait dans le don de soi pour la joie de l’autre. Voilà la puissance de l’amour dont nous sommes aimés par Dieu en Jésus-Christ. C’est un amour qui s’apprend à l’école de la Croix.
Cependant, le Seigneur ne nous demande pas de lui restituer cet amour. Sa logique n’est pas « ce que j’ai fait pour toi, fais le aussi pour moi ». Nous ne pouvons d’ailleurs rien lui donner en retour, si ce n’est notre louange et notre sourire qui disent notre reconnaissance. L’amour qu’il a pour nous, nous devons le passer aux autres. Il ne s’agit plus d’aimer comme on s’aime soi-même, parce que nous sommes malheureusement capables de désirer le vice pour soi-même. Il s’agit d’aimer comme Dieu nous aime. La déclaration d’amour que Jésus nous a faite, nous devons la faire les uns pour les autres, conjoints, parents et enfants, frères et sœurs, confrères et consœurs, amis, collègues, partenaires et adversaires. La vie que nous avons reçue de Lui, nous ne devons pas la refuser à d’autres, mais nous devons la transmettre. Voilà le projet de Dieu pour le monde : que nous ne nous arrêtions pas à « tu m’aimes, je t’aime », parce que l’horizon est « Je t’aime inconditionnellement ».
Ce projet d’amour, il l’a révélé aux disciples que nous sommes. Et Jésus ne peut plus nous appeler ses serviteurs, mais ses amis parce que nous partageons le même projet et avons le profond désir de le voir réaliser. Dieu nous appelle aujourd’hui ses amis. Il déclare son amour et son amitié à chacun. Arrêtons alors d’entretenir une fausse image de Dieu qui nous fait peur, arrêtons d’associer son nom à la vengeance et la justice implacable, parce qu’Il est l’Ami fidèle qui ouvre les bras à l’enfant prodigue, qui accueille Marie-Madeleine, qui s’invite chez Zachée, ouvre le dialogue avec la Samaritaine, promet le paradis au bon larron, relève le serviteur du Centurion romain etc. Ben Sirac le Sage dit : « Un ami fidèle est un puissant soutien qui l'a trouvé a trouvé un trésor » (Si 6, 14). En Dieu, notre ami fidèle, nous avons trouvé un trésor.
Demandons au cours de cette eucharistie la grâce d’être aussi pour Lui et pour les autres des amis fidèles, et donc des trésors. Demandons aussi la grâce de réaliser que nos actions, nos omissions, nos pensées et nos prières peuvent être de véritables actes d’amour, et malheureusement aussi de véritables péchés contre la charité.
Loué soit Jésus-Christ !