5e dimanche de Carême

dimanche 03 avril 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Voici que je fais toute chose nouvelle !

« Une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. » Ce qu’elle a commis est désolant, son mari en est sans doute profondément blessé. Mais la scène qui se présente à nous est quand même pathétique. C’est tellement humiliant pour cette femme, de se retrouver là, sans doute à peine rhabillée ! On lui crie dessus. On crache sur elle. On se délecte à l’idée d’une mise à mort toute proche. Déjà retentit le cri terrible qui nous glacera le sang dès dimanche prochain et le vendredi suivant : « à mort, à mort… » Comme bientôt devant le Christ innocent, la violence se déverse déjà aujourd’hui sur cette femme coupable.

La violence, mais certainement aussi le vice : car en la regardant peu vêtue et gisant au sol, les hommes doivent s’imaginer ce qu’elle était en train de faire quelques minutes auparavant. Ils jouent les indignés, mais leurs pensées sont sans doute bien moins pures. S’ils sont si violents à condamner, c’est peut-être parce qu’ils luttent en eux-mêmes avec leurs pensées et leurs désirs.

Alors, quand Jésus vient à leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre », beaucoup n’ont certainement pas à aller chercher bien loin : ils sont pécheurs, ils le savent, ils viennent d’y être confronté à l’instant-même. Peut-être Jésus pensera-t-il à eux, quand il préviendra plus loin : « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Mt 5,28).

S’ils accusent cette femme, n’est-ce pas pour mieux se dédouaner eux-mêmes ? On se voudrait parfait, impeccable ; et l’on se découvre toujours pécheurs. Cette désolante réalité peut nous faire glisser de l’insatisfaction personnelle à la dénonciation des autres : c’est tellement plus facile d’accuser les autres que de se remettre soi-même en question !

Je crois l’avoir constaté bien des fois dans ma vie de prêtre : les chrétiens les plus intransigeants sont souvent ceux qui ne s’acceptent pas pécheurs. Ils sont durs envers les autres parce que durs envers eux-mêmes. Ils refusent de consentir humblement à être faibles, alors ils dénoncent les faiblesses des autres.

C’est douloureux de le constater, mais l’on n’est jamais étranger à l’humanité pécheresse, qui pourtant nous écœure par l’immensité de son péché ! Chacun pourrait alors s’attribuer à lui-même ces mots que le Prieur de Tibhirine, Christian de Chergé, écrivit dans son Testament spirituel, alors qu’il se savait en danger de mort : « J'ai suffisamment vécu, dit-il, pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde… et même de celui qui me frapperait aveuglément. »

Oui, complices du mal, nous le sommes tous ! Les Russes le sont tous, les Ukrainiens le sont tous, je le suis, vous l’êtes ; c’est un fait incontestable… Mais faut-il donc en rester là, à nous désoler du mal qui ronge le monde et dont nous sommes bien tous les complices ?

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Non, l’histoire ne s’arrête pas là. Jésus-Christ paraît. Il revient du Mont des Olivier, précise l’évangéliste. Il semble avoir passé la nuit dans ce jardin qui ne nous est pas étranger, n’est-ce pas ? Dans 11 jours, nous allons accompagner le Christ au même endroit ; Ou plutôt, nous l’y laisserons seul, alors que le Maître souffrira sous le poids du péché du monde. Il va pleurer sur toutes les infidélités humaines. Il va transpirer des gouttes de sang, prélude au sang qui se videra de son corps tout au long de sa Passion pour nous racheter du mal !

Oh, bien sûr, dans l’évangile d’aujourd’hui, on est encore loin de cette agonie du Jeudi Saint. On en est loin, mais un autre détail invite au rapprochement : « dès l’aurore, il retourna au temple ». L’aurore, nous la retrouverons bientôt aussi : ce sera au matin de Pâques, aux premières heures de la Résurrection.

Voyez donc le cadre dans lequel est présenté le relèvement de cette femme adultère : Jardin des Oliviers qui annonce déjà la Passion ; Aurore du jour nouveau qui préfigure la Résurrection. Ce n’est donc pas qu’une femme isolée, qui est là, terrassée, mise à terre par son infidélité et rejointe par son Sauveur. Non, ce n’est pas une femme isolée, c’est l’humanité tout entière !

Voilà pourquoi, sans doute, saint Jean ne parle pas de l’homme avec lequel elle a commis l’adultère, ni du mari qui a été trompé. Parce que cette femme représente toute l’humanité ; et l’époux trompé, c’est Dieu auquel elle a été infidèle, alors qu’il lui avait tout donné !

Infidélité qui condamnait l’humanité à la mort éternelle, parce qu’elle avait choisi de tourner le dos à son Créateur. Mais le Christ est venu au jardin des Oliviers ; et à l’aurore du 3e jour, il est sorti vivant du tombeau. Dans son corps, il a porté toute l’humanité adultère et l’a relevée alors qu’elle était condamnée. Voilà ce que nous dit cet évangile : il annonce le mystère vers lequel nous avançons en ce temps de Carême : notre relèvement par pure grâce !

À cette « femme-humanité », le Sauveur du monde lance alors un magnifique : « je ne condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » Dieu n’a pas condamné l’humanité ; il l’a relevée pour la mettre en route vers son salut éternel !

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Le Sauveur a donc accompli pour nous tous la magnifique promesse que nous avons entendue dans la première lecture : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? »

« Ne la voyez-vous pas ? » Une question en forme d’interpellation ; une question à laquelle saint Jean semble vouloir répondre en témoignant de ce qu’il a vu de ses yeux, lui qui était là quand le Christ a relevé cette femme abattue. L’événement l’a sans doute profondément marqué ; et quand, plus tard, il recevra la révélation de l’Apocalypse, l’Apôtre se souviendra sans doute de cette femme adultère, en entendant le Ressuscité siégeant sur son trône déclarer : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5).

C’est donc entendu : dès que nous ployons sur le poids de nos péchés, tendons l’oreille vers l’Agneau de Dieu qui nous veut nous relever, en nous disant : « voici que je fais toute choses nouvelles ». Quand nous nous désolons des drames de l’humanité, écoutons le Sauveur qui nous dit, même à travers les pluies de bombes : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » Quand la mort semble inéluctable, comme pour cette femme déjà condamnée, quand nos péchés nous désolent et nous font désespérer de nous-mêmes, n’oublions pas cette parole du Seigneur : « voici que je fais toutes choses nouvelles. » Quand survient la maladie, quand la vie politique nous déconcerte, toujours, toujours, nous répéter cette même promesse : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

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À une semaine du dimanche des Rameaux et de la Passion, c’est la Parole qui doit résonner en nous à chaque instant. Ainsi, nous découvrons que le Sauveur, qui vient du jardin des Oliviers pour jaillir à l’aurore du jour nouveau, assume en lui tous nos égarements en faisant pour nous toutes choses nouvelles !

C’est donc un appel à aller de l’avant, non plus tout seul comme on l’est quand on s’égare, mais portés par le Christ, saisis par Lui, selon l’expérience faite par saint Paul dans la 2e lecture : « j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. » Cette confession fait ensuite dire à l’Apôtre : « Une seule chose compte ». Quelle est donc cette seule chose qui doit compter dans nos vies ? Saint Paul poursuit : «Oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » Voilà ce que nous sommes devenus par l’œuvre de la grâce : lancés vers l’avant, oubliant ce qui est en arrière, nous courons vers le but !

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Courir vers le but, comme Pierre et Jean courrons dans 15 jours jusqu’au tombeau vide. Il y constateront la Victoire du Crucifié ! Courrons donc nous aussi vers notre salut ! À 7 jours seulement de la Semaine Sainte, ce n’est plus une marche au désert qu’il nous faut vivre ; c’est une course, un élan, une dynamique puissante qui doit tout saisir, afin que nous courrions  vers notre relèvement, en courant aussi vers les autres pour mieux les aimer.

À vos marques, prêts, partez ! La grande course vers notre salut est commencée ! Tout au long de cette semaine, qu’elle nous fasse courir vers Dieu pour le retrouver dans la prière ! Qu’elle nous fasse courir vers les autres par un débordement de charité ! « Va, va et désormais ne pèche plus ! »

Et dans cette course enthousiaste, entendre à chaque pas, à chaque bond, le Christ proclamer sans cesse au plus profond de nos âmes : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » ! Amen.