4e dimanche de l’Avent

dimanche 19 décembre 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Bonjour et salut

 

 

 

 

Que de politesses ! Dans ce premier chapitre de l’évangile selon saint Luc, tout le monde est bien poli. Chacun s’adresse aux autres en prenant soin de les saluer. Ainsi pour l’archange Gabriel devant la Vierge Marie : « je te salue, comblée de grâce » ; et maintenant pour la jeune Marie : « elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth ». Que de politesses !

 

Il faut dire que le salut est essentiel à la vie humaine : saluer quelqu’un, ça permet d’entrer en relation avec lui ; une forme de reconnaissance de la présence de l’autre, de l’attention qu’on lui accorde. C’est une marque de respect autant qu’une expression de la joie de la rencontre. Depuis le salut militaire ou le salut scout, jusqu’au « bonjour » chaleureux entre amis, en passant par le salut du Saint-Sacrement… notre vie est ainsi faite de nombreuses salutations.

 

Celle qui fait aujourd’hui tressaillir l’enfant dans le ventre d’Élisabeth peut d’ailleurs nous interroger sur la vérité de nos salutations quotidiennes et sur le cœur que nous y mettons. Ainsi, depuis ce matin, combien de fois avez-vous dit « bonjour » à des proches ou à des inconnus ? Avec quelle implication dans ce « bonjour », quelle vérité dans ces salutations ?

 

Il faudrait toujours être bien convaincus que nos « bonjours » nous engagent : c’est hypocrite de souhaiter « bonjour » à quelqu’un sans se demander ce que l’on peut faire pour qu’il en soit ainsi. Nos « bonjours » nous appellent à faire preuve d’imagination pour que ce jour soit bon pour les autres.

 

Pour un chrétien, la salutation d’un « bonjour » est donc un acte fondamental : c’est l’un des consentements les plus concrets à vivre en cohérence avec la foi que nous proclamons. Ainsi, nous sommes rassemblés aujourd’hui dans cette église ou connecté à ce lieu pour proclamer la Gloire de Dieu ; mais il serait bien incohérent d’unir nos cœurs dans des prières,  si ce n’était pour y puiser la force de faire de nos journées des « bons-jours » pour les autres.

 

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Et surtout : pour y puiser la grâce de rendre leur vie plus joyeuse ! Car le « bonjour » évangélique porte nécessairement cette dimension d’une réjouissance. Quand on se dit bonjour, on confesse d’abord que Dieu rend nos jours bons. Dans l’Ave Maria, ce que nos bibles traduisent par « salut » ou « je te salue », c’est le grec, « kairé », qui signifie à l’origine : « réjouis-toi ». Certaines traductions du « Je vous salue Marie » font alors proclamer : « réjouis-toi, Marie, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ! »

 

Si dans l’Ancien Testament, le « bonjour » est surtout une promesse de paix – shalom – dans le Nouveau Testament, dire bonjour, c’est d’abord une promesse de joie : kairé, « réjouis-toi ! » Une joie communicative : celle que la jeune Marie reçoit de l’archange, elle la transmet à sa cousine Elisabeth ; et immédiatement, le petit Jean-Baptiste dans le ventre de sa mère trésaille d’allégresse. La joie biblique est plus contagieuse qu’un variant omicron ! Elle est contagieuse, parce qu’elle vient d’En-Haut et qu’elle se déverse avec toute sa force divine : « Réjouis-toi ! »

 

Ici au Laus, l’expérience vécue par la bergère Benoîte, c’est justement d’abord une expérience de salutation joyeuse qui se déverse et se partage. La servante du Laus perçoit le sourire de Marie et celui des anges. Elle en devient « plus souriante », disent les témoins de l’époque. La bergère avait tendance à se fâcher souvent, à s’irriter pour pas grand-chose ; mais voilà qu’elle entre dans une joyeuse dynamique de vie, comme elle en put le goûter lors de la douzième année des apparitions – Je cite les Manuscrits du Laus : « La Mère de Dieu apparaît à Benoîte avec ses anges et leur permet de lui parler de plusieurs choses. Mais, dans l’impatience où elle était d’entendre sa bonne Mère, Benoîte leur dit : "Taisez-vous, beaux anges ; laissez parler la bonne Mère !" Un ange lui dit : "Je ne parle que par son ordre". La bonne Mère se mit à rire et lui parla[1]. »

 

Devant Benoîte, la Très Sainte Vierge Marie se met à rire ! Comment la bergère pourrait-elle ensuite s’enfermer dans le pessimisme ou la mauvaise humeur ? Sa vie n’est pas facile, elle restera pour une grande part bien difficile ; mais Benoîte la vivra dans la dynamique de la joie reçue d’En-Haut. Ainsi, toute l’expérience du Laus, c’est celle d’une salutation venue d’En-Haut pour réjouir les cœurs et lâcher tout le reste, comme condition pour vivre la conversion pour laquelle la Vierge Marie dit avoir demandé ce lieu à son Fils.

 

En cette semaine préparatoire à Noël, faites-en donc l’expérience, concrètement, simplement : laissez la joie d’En-Haut descendre sur vous, sans rien bloquer, comme la première étape d’une conversion sincère, pour vivre ces fêtes avec une bonne humeur qui soit d’abord le reflet de votre foi profonde dans le mystère de l’Incarnation ; car, c’est promis et assuré : en Jésus-Christ, la joie vient nous visiter !

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Oui, la salutation dont nous sommes à la fois témoins et bénéficiaires va éclairer profondément ce que nous vivrons dans une semaine. Le prophète Zacharie en était le porte-parole, quand il transmettait cette promesse divine : « Chante et réjouis-toi, fille de Sion ; voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi » (Za 2,14).

 

C’est d’abord dans le corps de la Vierge Marie que cette parole devient très concrète : « j’habiterai au milieu de toi » ; de fait, « au milieu » de Marie, dans son ventre maternel, Dieu vient habiter, il prend chair. « Ne crains pas, Marie », dit l’archange à la Vierge. Ne crains pas ; réjouis-toi seulement !

 

La semaine qui nous sépare de Noël est donc faite pour lâcher toute crainte, afin de nous laisser totalement rejoindre par cette salutation en forme d’appel à nous réjouir : « Chante et réjouis-toi : voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi. » Le Christ promet qu’il va venir pour habiter au milieu de nous, au milieu de nos crèches, de nos fêtes, de nos sapins et de nos tables. « Chante et réjouis-toi », dit le prophète ! Chante et réjouis-toi d’une telle présence qui peut tout rendre joyeux !

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Mais peut-être ne nous croyons-nous pas tous capables de telles réjouissances. L’approche des fêtes suscite parfois de l’appréhension dans des familles où il y a des tensions. On redoute alors de se rassembler autour d’une même table, on craint d’aborder certains sujets de discussion, on a l’angoisse que des incompréhensions ou des blessures du passé soient remises sur le tapis. Alors, c’est l’inquiétude qui domine et non la joie.

 

L’approche des fêtes suscite aussi de la nostalgie chez ceux qui regrettent de beaux Noëls du passé, quand les enfants étaient encore à la maison, ou quand un proche était toujours vivant. Les fêtes rendent les séparations plus douloureuses encore. Dans de telles circonstances, comment entendre l’appel à se réjouir ?

 

Comment l’entendre, sinon justement par cette prophétie de Zacharie : « Voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi. » Celui qui vient habiter au milieu du corps de Marie, Celui qui viendra bientôt se coucher au milieu de la crèche, il veut aussi venir au milieu d’une famille en tension et au milieu des deuils qui obscurcissent les cœurs.

 

Nous confessons un Messie qui vient « au milieu » ; pas au-dessus, comme un rêve ; mais au milieu pour sauver. Et ainsi, la salutation devient invitation à accueillir le Sauveur. Ou, si vous préférer : à passer du « salut » au « salut ». Du salut qu’on échange pour se dire « bonjour » au « salut » comme confession de l’agir du Sauveur. Car le Seigneur ne vient pas seulement pour nous saluer, il vient pour notre salut. Notre salut éternel, déjà à l’œuvre au présent. Il vient apporter son salut à toutes les situations douloureuses ou désespérées.

 

C’est peut-être cela que le Seigneur attend surtout de nous, ses disciples : que tous nos « bonjours » deviennent des annonces de « salut » ! Que tous nos bonjours apportent du soutien aux autres, mais surtout les ouvrent à l’espérance : le Christ ne vient pas seulement nous saluer, il vient nous sauver !

 

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Ainsi, au cours de cette semaine préparatoire à Noël, pourquoi ne pas soigner particulièrement tous nos saluts, tous nos bonjours. Pour ne jamais les offrir sans les penser vraiment, mais aussi pour en faire à chaque fois des annonces du salut : chaque personne, chaque situation, chaque douleur, le Seigneur la rejoint et la sauve par sa Puissance divine.

 

Je vous propose alors de remettre déjà au Seigneur chacun des « bonjours » et des vœux que nous allons formuler cette semaine et pendant les fêtes. Qu’ils soient tous des témoignages d’attention et d’affection, mais plus encore : des annonces du Sauveur à l’oeuvre, car nous le croyons, nous le confessons joyeusement : le Seigneur vient absolument TOUT sauver ! Maranatha, viens Seigneur Jésus !  

 


[1] Manuscrits du Laus, CA G. p. 92 VI [138] – année 1676