2e dimanche du temps ordinaire

dimanche 16 janvier 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Faire la joie de Dieu

Avec nos plus beaux élans du coeur, la foi nous fait croire que Dieu veut seulement notre bien. Nous sommes convaincus que le Seigneur nous console et nous protège. Nous espérons un Dieu toujours disposé à remplir nos jarres quand nous n’avons plus de vin. Autrement dit : nous regardons spontanément du côté de ce que Dieu peut nous apporter. C’est source pour nous d’une continuelle action de grâces, mais reconnaissez que c’est une vision assez limitée de la relation au Tout-Puissant. Comme si le Seigneur était juste là pour nous écouter : un Dieu utile, que l’on invite chez soi au cas où le vin viendrait à manquer.

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Oui, nous espérons beaucoup de grâces divines… Mais vous arrive-t-il de penser la foi dans l’autre sens ? Non pas seulement : qu’est-ce que Dieu peut m’apporter ; mais qu’est-ce que je peux Lui apporter ? Oh, bien sûr, Dieu est Dieu ; il n’a besoin de rien, en un sens. Mais Dieu n’est pas de marbre ; il choisit d’avoir besoin de nous, non pas pour compléter ce qu’Il est, mais pour « être avec Lui ».

 

Toute la révélation biblique rend ainsi compte d’un Dieu qui veut vivre avec nous quelque chose de plus fort, de plus profond qu’un simple exaucement de nos prières dès que nous les Lui formulons. Le Seigneur n’est pas notre valet, prié de s’exécuter au moindre de nos ordres ; il n’est pas une sorte de roue sortie du coffre en cas de besoin. Il n’est pas un magicien : abracadrabra, et hop, l’eau est changée en vin ! Bravo ! On applaudit et on redemande !

 

Non, le Seigneur est le Dieu tout-puissant, Créateur de l’univers et Maître des temps. Même s’il est bien sûr légitime et nécessaire de crier vers Lui dans nos détresses, reconnaissons qu’il est Dieu ; et nous, simples créatures. Il est Dieu, devant lequel toute la Création s’incline ; Dieu que les anges et les saints adorent dans une profonde prosternation ; Dieu qui nous a créés sans aucune nécessité de sa part, mais Dieu qui veut s’unir à nous pour toujours. Le Seigneur se propose alors de célébrer avec nous des noces sans fin, où le vin excellent de son amour pourra couler à flots. Oui, Dieu nous invite à des noces : un mariage, où chacun est appelé à faire la joie de l’autre.

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Alors, si nous attendons souvent de Dieu qu’il contribue à notre joie, écoutons bien la première 1ère lecture  de ce dimanche. Elle nous révèle cette vocation essentielle qui est la nôtre : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu ». Dans les noces auxquelles Il nous invite, Dieu transforme pour nous l’eau en vin, mais il espère aussi que nous soyons nous-mêmes un bon vin qui Le réjouisse ! Il me semble alors très important de se poser régulièrement la question : comment est-ce que suis du bon vin capable de réjouir le Seigneur ? Comment est-ce que je fais la joie de mon Dieu ?

 

Comme moi, vous avez sans doute prié cette semaine pour obtenir telle ou telle grâce. Mais avez-vous passé au moins autant de temps à vous demander : « Comment puis-je faire ta joie, Seigneur ? » Si nous n’allons pas jusque-là dans notre foi, nous réduisons le miracle de Cana un simple prodige, réalisé pour répondre aux besoins du moment. Mais Cana est bien plus qu’un joli coup accompli par le Christ.

 

Cana, c’est l’image du mariage par lequel le Seigneur éternel vient s’unir à l’humanité, d’une Alliance si intime que lorsque Dieu choisit de faire une seule chair avec nous, c’est nous qui sommes changés en Lui ! L’eau de notre humanité ne dilue pas le vin de sa Divinité ; c’est l’eau qui est changée en vin, l’humanité qui est divinisée dans le Christ, au point de nous rendre participants de sa Vie éternelle !

 

L’évangéliste prend soin de nous le faire comprendre, par plusieurs détails qui ne sont pas insignifiants. Ainsi, il précise d’abord que les jarres sont remplies d’eau « jusqu’au bord » ; jusqu’au bord, car le Fils éternel ne prend pas qu’une partie de notre humanité : il se fait pleinement homme, homme « jusqu’à raz-bord », si l’on peut dire. Et ce débordement divin, qui remplit toute notre humanité, nous change en Lui : l’eau de notre humanité devient vin de Sa Divinité.

 

Remarquez d’ailleurs que le maître du repas ne « savait d’où ce vin venait » ; de fait, il ne pouvait pas le savoir, car le Sauveur vient d’un lieu inaccessible, il est « Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière ». Personne ne pouvait donc connaître l’origine de ce vin excellent ; personne ne pouvait le saisir, en tous cas tant que le Christ n’avait pas révélé son identité divine et tant qu’il n’était pas allé jusqu’au bout de ce « raz-bord » par lequel il prend toute l’humanité sur Lui. Ce « jusqu’au bout », ce sera la croix. C’est pourquoi Jésus précise que son heure n’est pas encore venue ; car l’heure à laquelle il changera l’eau trop fade de la vie humaine limitée en vin délicieux de la vie divine immortelle, ça sera au moment de sa Passion.

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Et c’est justement là, sur la croix, que notre rapport à Dieu dépasse celui d’un seul « exauceur » de prières. Le mystère de l’Alliance, les Noces à vivre avec Lui, le Christ les précisera bientôt ainsi : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à Lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Voyez qu’on n’en reste pas à un Dieu prêt à emploi, qu’il s’agirait d’appeler pour être exaucé à la minute. Non, le vin savoureux de Cana est un vin qui nous associe à l’agir puissant et dramatique de Dieu qui sauve le monde.

 

Tel est le vin que le Seigneur Jésus-Christ veut nous faire goûter en abondance : « ma coupe, vous y boirez », dira le Seigneur à ses disciples. Car la joie de Dieu, c’est que tous soient sauvés pour l’éternité. Alors, il nous appelle à participer à son œuvre de salut et à le faire avec joie : porter notre croix, pour qu’en ce mystère d’un amour qui porte les souffrances et rachète les péchés, le vinaigre acide d’une vie sans but laisse place au vin excellent du don de soi avec le Christ.

 

Nous ne pouvons donc pas simplement attendre du Seigneur qu’il fasse des choses pour nous. Nous sommes appelés à tout Lui offrir : les souffrances de nos corps, les difficultés dans nos familles, les fragilités de nos psychologies ou les soucis avec nos finances… tout offrir, pour que l’eau de ce que nous présentons au Seigneur soit transformé en vin délicieux de sa présence qui sauve.

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Faire la joie de Dieu en portant nos croix, c’est donc notre mission de chrétiens. Cette mission est déconcertante, tant elle n’entre pas dans les mentalités actuelles du bien-être et de la préservation de soi. Mais il y a un choix à faire, un choix qui ne souffre aucun compromis et qu’il nous faut peut-être reposer aujourd’hui, ou oser enfin poser.

 

Ce choix, c’est celui de Cana par la croix, et non de Cana sans la croix. Rien ni personne d’autre que le Christ, aucune foi, aucune autre religion ne proposera jamais de vin aussi savoureux : faire la joie de Dieu en portant avec Lui les souffrances et les péchés du monde, pour le salut éternel de tous !

 

Bien sûr, il est tentant d’aller voir seulement du côté des marchands de vin qui promettent une vie facile. Il y a ceux qui prétendent vous offrir du bon vin, souvent payé bien cher, portant des promesses de libération instantanée de vos douleurs. Il y a des marchands de vin qui ne proposent que de l’eau, mais dans une belle bouteille, avec une étiquette trompeuse. Il y a des marchands de vin qui annoncent un vin excellent, mais qui fait juste mal à la tête… ou mal à l’âme.

 

Ces marchands de vin portent des noms différents. On les appelle magnétiseurs, professeurs de Reiki, kinésiologues et autres … tous vous promettent le bon vin du bien-être. Peu importe les forces invoquées pour cela, du moment qu’il y a promesse de se sentir mieux. Mais attention, si c’est l’esprit du Mal qui est alors sollicité, même sans le savoir, le vin se change en eau, une eau trouble et imbuvable.

 

Le grand critère pour se garder des mauvais vins, c’est donc de ne jamais quitter la croix des yeux. C’est ce que la Vierge Marie demande aux serviteurs et servantes de la joie de son Fils. « Tout ce qu’il vous dira, faites-le », dit la Vierge pour que les noces ne soient pas gâchées. Faites tout ce qu’il vous dira et ne faites pas ce qui Lui est contraire, sinon vous aller vous égarer à boire des boissons frelatées et destructrices.

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Ne buvons donc pas n’importe quoi ! Buvons seulement le vin nouveau jailli du cœur ouvert du Christ en croix ; un vin qui fait la joie de Dieu quand on le boit avec Lui : vin de son offrande qui sauve le monde, vin de l’Alliance pour des noces éternelles.

 

Vin qui arrive en fin de repas, comme au terme de la vie, pour nous assurer que le meilleur est encore à venir : un Cana éternel, des Noces incessantes, un échange permanent de joie entre Dieu et nous ! Voyez quelle magnifique espérance nous portons dans l’eau ordinaire de cette vie sur Terre !

 

Alors, préparons-nous avec Marie à résider éternellement à Cana, dans la joie promise à ceux qui consentent à ce mariage, où toutes les soifs seront pleinement assouvies et où nous serons pour toujours la joie de Dieu ! Amen.