2e dimanche de Pâques - dimanche de la Divine Miséricorde

dimanche 24 avril 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Toucher les blessures

 

C’est une lésion dans la chair, un traumatisme des tissus vivants qui fait saigner et souffrir : la blessure. Aujourd’hui, il est question des blessures de Jésus ; des plaies à contempler et même à toucher. « Si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! », dit Thomas.

Quelle drôle d’idée ! L’apôtre aurait pu souhaiter simplement toucher Jésus en chair et en os. Mais non, il veut mettre ses doigts dans les plaies du Sauveur. Et quand le Ressuscité lui apparaît, c’est pour répondre exactement à sa demande : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté. »

Regarder une plaie ou la toucher n’est pourtant pas très enviable ! Une spiritualité de contemplation des plaies de Jésus peut laisser craindre une forme de complaisance avec la souffrance, une glorification de la douleur qui pourrait interroger sur l’équilibre mental de ceux que ça attire…

Pourtant, nous voyons ici le cierge pascal, allumé au cours de la nuit de la Vigile. Il porte 5 points, qui ont été fixés au cierge avec ces paroles : « Par ses saintes plaies, ses plaies glorieuses, que le Christ Seigneur nous garde et nous protège ». Il y aurait donc bien quelque d’important à savoir accueillir par la contemplation des plaies du Ressuscité. Par-delà l’appréhension naturelle à regarder et à palper des blessures, quel est donc ce mystère que l’on peut rejoindre seulement en touchant les plaies de Jésus ressuscité ?

*          *          *

Pour essayer de le saisir, remarquez d’abord qu’aucun d’entre nous n’est privé de blessures dans la vie. Il y a bien sûr d’abord eu tous les petits bobos causés par l’insouciance des jeux d’enfants, mais ça n’est jamais bien grave : une maman qui souffle dessus, un pansement, un bisou ; et hop, l’enfant retourne à ses jeux.

Mais il y a dans la vie des blessures bien plus douloureuses : des accidents de toute sorte, qui handicapent et laissent des cicatrices. Et aussi toutes les blessures intérieures, qui font saigner le cœur et qui peuvent marquer à vie.

Nous sommes tous blessés de quelque chose. Des événements nous blessent et les autres nous blessent ; avec ces fameuses 5 blessures de l’âme que l’on identifie ordinairement : le rejet, l’humiliation, l’abandon, la trahison et l’injustice. 5 blessures… remarquez que ce sont aussi 5 plaies que Jésus ressuscité conserve aux deux mains, aux deux pieds et au côté. Blessures physiques sur son corps maltraité, mais aussi 5 blessures du cœur, qu’il a toutes vécues en sa Passion : le rejet, l’humiliation, l’abandon, la trahison et l’injustice. Aujourd’hui, ces 5 blessures n’ont pas simplement été effacées : elles sont portées par le Ressuscité !

En touchant les plaies du Christ, c’est donc d’abord comme si l’on confessait que Dieu n’est étranger à aucune de nos blessures. Au jour du vendredi saint, la lettre de saint Pierre est venue confirmer l’oracle d’Isaïe : « ce sont nos blessures qu’il portait, nos souffrances dont il était chargé ». Même les blessures intérieures, le Sauveur les a toutes rejointes et portées en sa Passion.

Comprenez-vous alors ce que Thomas fait aujourd’hui ? Puisque Jésus a porté toutes nos blessures, en touchant les blessures de son Seigneur, l’apôtre touche en fait ses propres blessures, portées par le Christ sur la croix et prises dans la lumière de la résurrection.

Voilà une première grande orientation spirituelle, qui ne remplace pas nécessairement l’accompagnement psychologique permettant d’identifier une blessure, mais qui appelle à se garder de focaliser sur la recherche de coupables : en touchant le Christ qui a porté toutes les blessures, nous sommes orientés vers Lui et non vers celui ou celle qui a pu causer la blessure : un père trop absent, une mère trop présente, une comparaison avec des frères et sœurs, ou que sais-je.

Souvent, la blessure conduit à ériger des murs pour se protéger des autres. Et voilà qu’aujourd’hui, le Christ nous fait comprendre que, s’il a renversé la lourde de pierre du tombeau, il renverse aussi nos lourdes murailles intérieures. C’est donc bien également de nous-mêmes que le Ressuscité vient nous libérer ! Comme s’il nous disait : « je me suis laissé toucher par tes blessures ; touche donc les miennes et tu te relèveras ! »

*          *          *

Nous assistons donc aujourd’hui à un échange merveilleux : Thomas entre dans le mystère de la Résurrection par les blessures de Jésus, afin que Jésus ressuscité puisse entrer en Thomas par ses blessures. C’est même seulement par-là qu’il peut entrer : nos blessures sont comme des brèches dans nos cuirasses intérieures. Le Seigneur s’y engouffre, non pas en profiteur, mais en Sauveur ! Dans la 2e lecture, le Seigneur a révélé à saint Jean : « Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts ». Il aurait pu dire aussi : « je détiens les clés de ton cœur, de ta psychologie, de toute ton histoire personnelle, et j’y entre en Sauveur ! »

La miséricorde divine que nous célébrons ce dimanche, c’est précisément cela : la puissance de résurrection du Christ qui entre dans nos blessures ! Résurrection qui n’est donc pas qu’une information sur ce qui est arrivé à Jésus et qui nous arrivera un jour ; non, la résurrection est une transformation de tout notre être dès maintenant !

C’est donc une grande question à se poser dans la foi : la résurrection du Christ est-elle pour moi une information ou une transformation ? « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté » dit Jésus à Thomas pour qu’il soit transformé ! Et que les blessures qui l’ont enfermé sur lui-même deviennent finalement des ouvertures, qui lui permettent d’aimer vraiment les autres avec miséricorde ! Transformation !

 

*          *          *

 

Et s’il fallait que l’apôtre soit absent la première fois, c’était sans doute pour nous aider à comprendre que Dieu ne force pas les choses et qu’il ne fait pas en notre absence : pour nous transformer par sa résurrection, le Sauveur demande humblement, courtoisement, notre consentement. Celui qui a fait tomber les portes de la mort n’entend donc pas défoncer celles de nos cœurs : il veut notre autorisation pour rejoindre nos blessures les plus profondes.

 

Alors, avez-vous vraiment autorisé le Christ à le faire en vous ? Ce dimanche de la divine Miséricorde est peut-être le jour favorable pour donner enfin au Sauveur la permission d’entrer dans vos profondeurs, là où vous-mêmes ne savez peut-être pas bien identifier tout ce qui y bouillonne et tout ce qui vous fait souffrir.

 

Et attention à vous, si vous faites un peu les gros durs : « moi, blessé, jamais ! » Ou : « j’arrive à gérer tout seul ! » Ou encore : « Tous ces discours psychologisants à la mode, ça ne me parle pas »… laissez donc la lumière de la Résurrection éclairer vos résistances !

 

Ayez au moins l’honnêteté de vous demander ce qui se cache derrière vos refus de vous accepter blessé, ou votre souci maladif d’être reconnu, ou de vouloir tout faire à la perfection. Qu’est-ce qu’il y a derrière votre désir de briller pour exister aux yeux des autres, ou au contraire de tellement vous effacer que vous souhaiteriez parfois ne plus être du tout ? Pourquoi vouloir impressionner par votre belle voiture ou par la propreté impeccable de votre maison ? Pourquoi cette peur du conflit ou au contraire ce besoin d’être sans cesse dans la confrontation ? Laissez donc le Christ ressuscité toucher tout cela, même si vous avez peur de ce que ça peut mettre en lumière !

 

Le Sauveur veut passer par cette blessure, pour dire et déposer au plus profond de notre être cette première parole qu’il adressa à ses disciples : « la paix soit avec vous ! » En nos profondeurs, le Ressuscité vient rejoindre tout ce qui est tordu, abîmé, angoissé… et il dit à chacun de nous : « la paix soit avec toi ! Je suis ta paix et ton libérateur ! Laisse-moi remplir ta blessure par ma Miséricorde ! »

 

*          *          *

 

Voilà donc ces 3 grands désirs que l’évangile d’aujourd’hui me semble vouloir creuser en nous :

- d’abord orienter nos cœurs vers le Ressuscité qui a porté toutes nos blessures, plus que vers ceux qui les ont peut-être causées ;

- ensuite, laisser la résurrection nous transformer et pas seulement nous informer, pour que la puissance de vie du Christ fasse de nos blessures des disponibilités à aimer ;

- et pour cela, enfin : donner la permission au Sauveur d’entrer dans nos blessures, afin qu’il puisse y dire, comme à ses apôtres : « la paix soit avec vous ! » Et que cette promesse de paix devienne la réalité la plus profonde, qui nous inonde pour nous guérir !

 

Voyez combien tout blessé peut alors entendre cette parole qui change tout, surtout face à l’immensité des blessures qui semblent parfois inguérissables : « cesse d’être incrédule, sois croyant » ! Alléluia.