22e dimanche du temps ordinaire

dimanche 29 août 2021

Par Monseigneur Xavier Malle, évêque de Gap et Embrun

Gustave a 10 ans. Il marche avec ses parents et des oncles et tantes jusqu’à la Croix de Toulouse au dessus de Briançon, une ascension de presque 700 mètres de dénivelés, assez escarpée pour réclamer un effort, mais pas trop cependant pour décourager des adolescents habitués à la marche. Il avait suivi ses parents jusqu’au sommet. Là, il tomba en admiration devant la beauté du spectacle au point de ne pas s’apercevoir que les autres, après un temps d’arrêt, avaient continués leur marche. Eux de leur côté ne remarquèrent pas l’absence de l’enfant, ou du moins ne s’en soucièrent pas, tant on était habitué à le voir courir d’un côté et de l’autre. Pourtant comme l’absence se prolongeait, l’inquiétude s’infiltra dans les coeurs et l’on cria : Gustave, Gustave. Anxieuse, tante Valérie rebroussa chemin et quelle ne fut pas sa surprise en découvrant son neveu à l’endroit où, une demi-heure plus tôt, on avait fait halte. Il était debout près de la Croix, le visage rayonnant et comme fasciné par ce qu’il avait sous les yeux. La tante s’arrêta un instant saisie d’admiration puis, songeant à l’angoisse des parents, elle s’approcha toute émue, embrassa longuement l’enfant, et l’entraîna sans rien dire. Elle resta persuadé qu’il venait de se passer quelque chose de surnaturel, mais le neveu fut incapable d’expliquer ce qu’il avait ressenti. En faisant allusion au visage transfiguré elle lui dit : « que tu étais beau mon Gustave ».

Peu avant sa mort, Gustave devenu dom Jean-Baptiste Chautard, père abbé de la trappe de Septfond, natif de Briançon dans notre diocèse, fit la confidence de la grâce qu’il avait reçu ce jour là. Il avait tout d’abord été saisi par le spectacle grandiose qu’il avait sous les yeux. A ses pieds Briançon qu’il pouvait envelopper d’un seul regard ; devant lui la vallée de la Durance, immense, sans limite ; tout autour des sommets à perte de vue. Puis tout cela s’était estompé, pour laisser place à un sentiment de présence vivante et aimante. Dieu se rendait sensible par son immensité, par sa beauté accueillante et sa bonté sans mesure. L’enfant tressaillait d’une joie inexprimable, jusqu’alors inconnue. « Je puis dire, témoigna-t-il, que ce jour là, j’ai en quelque sorte vu Dieu. J’ai pris conscience qu’il n’était pas une idée, une image, mais une présence, une immensité, un amour. » (Bernard Martelet, Itinéraire spirituel de Dom Chautard, 1967, 15-17)

Dans notre première lecture, le livre du Deutéronome, il y a cette exclamation étonnante : « Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? » Chers amis, peut-être pensez-vous en ce moment que Dieu est loin de vous, mais je suis certain que vous avez connu des moments où Dieu s’est fait tout proche. Il y a dans notre vie spirituelle comme une alternance de proximité et de distance de Dieu, saint Ignace parle de l’alternance des consolations et des désolations spirituelles. Mais parfois est-ce aussi une distance que nous mettons entre nous et Dieu ; nous le tenons à distance. Cet épisode de la vie de don Chautard, dont nous espérons un jour la béatification, nous rappelle que même les enfants peuvent avoir une vie spirituelle étonnante. Avec quelle délicatesse les parents doivent alors l’accompagner.

Le Deutéronome dit que Dieu se fait proche en parlant du don de la loi à Moïse, pour accompagner la réalisation de la grande promesse faite à Abraham, la promesse d’un pays et d’une descendance. « Vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu …vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. »

Pourtant obéir à des commandements, depuis mai 68, cela n’est pas politiquement correct, surtout quand ils ordonnent : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, etc… » Dans son très beau livre témoignage, intitulé « en mon âme et conscience » (2020, page 233), le cardinal Philippe Barbarin, qui a présidé ici la fête du 15 août dernier, propose de parler de ces commandements non seulement comme des ordres, mais aussi comme des promesses de Dieu. « Comme la promesse d’un Père qui aime ses enfants, et qui leur assure : je te promets, tu peux me croire, laisse cette lumière venir en toi et tu verras, tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas…. Je te le promet. » C’est une parole d’amour libératrice. Ces commandements sont une marque de la présence de Dieu dans nos vies.

Dans l’évangile, Jésus fait référence non pas à ces 10 paroles, dont il dira même qu’il ne faut pas en ôter un iota, mais aux innombrables autres commandements de l’Ancien Testament. Selon une tradition juive, il y aurait 613 commandements donnés à Moïse, 365 « tu ne feras pas », égales au nombre de jours dans l’année solaire, et 248 « tu feras ». Ce que Jésus reproche aux pharisiens, ce n’est pas d’observer tous ces préceptes, dont d’ailleurs la pandémie actuelle nous a rappelé l’origine sanitaire – comme de se laver les mains avant les repas -, et dont la tradition juive a donné un sens spirituel, mais c’est de s’attacher à la lettre au lieu de l’esprit. « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites … Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Saint Jacques développera merveilleusement les préceptes de son maître : « Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse. » Oui, en vérité, que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous prenons soin des orphelins, des veuves, des malades… et de nos propres enfants ! Amen !