Messe d’au-revoir du p. Ludovic Frère comme recteur du sanctuaire

dimanche 21 août 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Consentir à toujours commencer

« Des premiers seront derniers » : Parole du Seigneur qui se vérifiera dans toute sa splendeur au Paradis : nous verrons combien de nombreux derniers sur Terre seront premiers au Ciel ! Vive interpellation pour nous tous, afin de revisiter sans tarder nos priorités ; mais aussi, vif encouragement pour accueillir la vie présente dans tous ses moments, qu’ils soient premiers ou qu’ils soient derniers.

Ainsi aujourd’hui : beaucoup d’entre nous sont au premier jour entier du festival marial ; certains, sans doute, aux premiers instants de leur découverte du Laus ; quand d’autres, dont je suis, en sont à leur dernier jour ici. Dans notre assemblée, nous goûtons la diversité de temps premiers et de temps derniers… Juste un reflet de la vie, en fait, car sans cesse, des gens naissent et d’autres meurent ; certains se lancent dans de nouveaux projets quand d’autres arrivent au terme d’une construction.

Parmi ceux qui vivent des temps derniers pour commencer des temps premiers, je pense chaleureusement aujourd’hui à mon successeur, le père Michel Desplanches, qui arrivera ici dans quelques jours : il vit ses derniers temps dans sa mission de Vicaire général d’Aix-en-Provence ; je demande de tout cœur à la Vierge et à Benoîte de bien le guider dans ces temps prochains, qui vont être premiers pour lui à Notre-Dame du Laus.

Ainsi va la vie, de temps premiers en temps derniers. C’est une réalité incontournable de l’existence ; mais c’est aussi un appel à accueillir chaque instant « dernier » de quelque chose, comme un moment « premier » d’autre chose.

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On entend parfois dire qu’il faudrait vivre tout instant de sa vie comme si c’était le dernier. Sans doute, cela aide-il à bien goûter chaque moment, même les choses les plus simples : vivre un temps en famille, entre amis, comme si c’était le dernier ! Vivre cette messe comme si c’était la dernière à laquelle il nous soit possible de participer de toute notre vie… Voilà de quoi donner à chaque instant une densité formidable ! Mais ça risque aussi d’entretenir une forme de fébrilité, car en vivant tout instant comme « dernier », on risque de regretter déjà le moment où il ne sera plus.

Alors, pourquoi ne pas penser notre vie sur Terre dans l’autre sens ? Non pas en vivant chaque instant comme si c’était le dernier de notre vie, mais comme si c’était le premier à vivre ? Un prêtre célébrant la messe comme si c’était la première de sa vie ne risque pas d’en banaliser le mystère. Des amoureux qui se disent « je t’aime » comme si c’était la première fois sont assurés d’entretenir la flamme brûlante de leur amour. Et ainsi pour tout ce que nous faisons : accueillir et vivre chaque instant dans toute l’intensité d’un commencement ! Plus de risque alors de se désoler de ce qui va s’achever, plus de temps perdu à déplorer que ce ne soit plus comme avant ; juste un accueil de ce qui commence.

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« Consentir à toujours commencer ».  C’est ce que nous fait chanter l’hymne pour la fête de saint Benoît, le saint Patron de nos Sœurs Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre : « Consentir à toujours commencer ! » Non pas seulement faire son deuil de ce qui n’est plus, mais faire sa joie de ce qui commence, en y consentant à chaque fois, avec toute la force que l’on peut mettre dans un consentement…

« Consentir à toujours commencer » : c’est personnellement ce qui éclaire mon départ de ce lieu, comme ça pourrait éclairer ce qui s’achève peut-être actuellement dans vos vies personnelles : tout ce qui s’est terminé pour vous ces derniers temps ou qui risque d’arriver à son terme d’ici peu. Non pas nous accrocher à ce qui a été jusqu’alors, mais consentir à toujours commencer ; non pas nous désoler de ce qui est « dernier », mais nous rendre disponibles à ce qui est « premier », à ce qui est nouveau.

« Consentir à toujours commencer », car le Seigneur nous appelle sans cesse à de nouveaux commencements. « Au commencement »… ce sont les premières paroles de la Bible. « Au commencement », ce sont aussi les premiers mots de l’évangile de saint Jean pour introduire au monde nouveau par l’avènement du Sauveur. Ainsi, en Lui, toute vie est un commencement ininterrompu, comme une préparation au Paradis… car ce qui nous attend Là-Haut, ce n’est pas le terme de notre vie ; c’est plutôt un commencement permanent, source d’un émerveillement toujours nouveau !

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« Consentir à toujours commencer » : Je me demande alors si ce n’est pas un peu cela, la « porte » dont Jésus nous parle aujourd’hui. « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », dit le Seigneur. Quand on a accumulé des choses dans la vie, on est bien chargé ; le passage par la porte étroite risque d’être difficile ! Mais quand on commence, on a les mains vides. Sans sac sur les épaules, on peut plus facilement passer par la porte étroite.

Ainsi, pour répondre au Seigneur avec un cœur léger, il faut consentir à toujours commencer, afin de ne pas se charger de ce que l’on a accumulé ou de ce que l’on pense avoir réussi. Sans rien capitaliser, on est vraiment disponible à ce que la grâce de Dieu commence, encore et encore, son œuvre en nous : commencement permanent jusqu’à l’éternel commencement qui fera notre joie au Ciel ! « Consentir à toujours commencer », quelles que soient les portes que l’on passe dans la vie.

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Tiens d’ailleurs, rien qu’aujourd’hui, nous risquons tous, comme chaque jour, de passer par de nombreuses portes. Il pourrait être bon, à chaque fois, de penser à cette parole : « Consentir à toujours commencer ». Et ainsi, être bien disponibles à ce qui nous attend derrière chaque porte.

Passer les portes pour de nouveaux commencements, en pensant aussi à la Vierge Marie. Dans la grande hymne de l’Alma Redemptoris Mater, la Mère de Dieu est reconnue comme « la porte du Ciel toujours ouverte. » Marie porte du Ciel, Mère qui accompagne tout ce qu’il faut sans cesse traverser pour de nouveaux commencements.

C’est ce que la Belle Dame n’a cessé de montrer ici à la bergère Benoîte pendant 54 années ; c’est aussi ce qu’elle m’a fait comprendre très clairement pendant mes 12 ans au service de ce beau sanctuaire ; c’est également ce qu’elle peut encore éveiller dans le cœur de chacun d’entre vous : la porte du Ciel toujours ouverte accompagne les enfantements à des réalités nouvelles ! Qu’elle soit donc la sage-femme qui vous aide aujourd’hui à vivre un passage, quel qu’il soit, vers du nouveau, vers du « premier ». Vierge Marie, Sage-femme de l’enfantement à ce qui commence toujours, priez pour nous !

Ainsi, en pensant à Marie, porte du Ciel, nous pouvons concrètement passer chaque porte dans la disponibilité à l’inattendu, sans risque de regarder en arrière ni de vouloir nous nourrir de ce qui a été. Par ailleurs, on n’a alors plus de crainte de ce qui peut nous tomber dessus, car la peur est toujours liée à quelque chose de « dernier » ; alors qu’en accueillant tout comme « premier », on peut bien sûr être un peu triste de ce qui n’est plus, mais jamais abattu de ne plus l’avoir… car un nouveau commencement est déjà là !

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Ainsi s’accomplit sans cesse dans nos vies la promesse du Seigneur au livre d’Isaïe : « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19). Dans le Christ, il y a toujours quelque chose qui est en train de germer. « Ne le voyez-vous pas ? » Oh, pour le voir, ce n’est pas sur la récolte que l’on doit se focaliser, mais sur ce qu’il faut semer encore pour que ça germe davantage. En regardant la récolte, on risque de s’attribuer quelques lauriers ; alors qu’en semant toujours et encore, on ne possède rien mais on sait que tout va pouvoir grandir avec la grâce de Dieu ! Et c’est là que l’on trouve la vraie joie, celle qui vient de la fécondité du Seigneur dans nos vies !

Alors, vous comme moi, si vous le voulez bien, décidons-nous aujourd’hui à vouloir être semeurs plus que récolteurs ; à regarder ce qui germe plutôt que ce qui arrive à son terme. Ensemble, consentons à toujours commencer... Le Seigneur se chargera de tout le reste : aussi bien de la croissance que de la moisson. Nous verrons alors s’accomplir la promesse portée par le festival marial qui commence : « d’un amour éternel je t’ai aimée ;  aussi t’ai-je maintenu ma faveur. De nouveau, je te bâtirai et tu seras rebâtie » (Jer 31,3-4). « De nouveau, je te bâtirai, et tu seras rebâtie ». Je vous souhaite donc à tous de très beaux commencements pour être rebâtis. Amen.

Vivre à Dieu seul et se tenir en sa présence. Tout quitter pour atteindre la paix. Choisir le silence pour saisir la Parole, pour être ce disciple aux aguets, d'un mot, d'un ordre. Voir l'univers à sa mesure véritable ; Consentir à toujours commencer. Traduire en patience le désir du Royaume ; Savoir que toute chose est en Dieu, précieuse et pure.