19e dimanche du temps ordinaire

dimanche 08 août 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Clôture du Rassemblement Fraternité Pentecôte

Quelle est donc la plus grande preuve d’amour que l’on puisse offrir aux autres ? Spontanément, on dirait sans doute : donner sa vie pour eux. Et le Christ révèle en sa Passion que son amour pour nous va bien jusque-là. Mais cette plus grande preuve d’amour a aussi un autre versant : quand on aime quelqu’un, on souhaite profondément qu’il ait le goût de vivre.

Si le Seigneur nous aime au point de verser son sang pour nous sauver, il nous aime aussi au point de raviver sans cesse en nous le goût de la vie… et c’est sans doute bien nécessaire. Car si l’on peut trouver que la vie est belle, on peut aussi penser parfois qu’elle est trop lourde à porter. Même de grands personnages bibliques sont passés par des découragements tels, que la perspective de la mort leur paraissait plus enviable que la vie.

Pensez à Moïse, au chapitre 11 du livre des Nombres. Le Patriarche se tourne vers le Seigneur et Le supplie : « Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi. Si c’est ainsi que tu me traites, tue-moi donc ; oui, tue-moi, si j’ai trouvé grâce à tes yeux » (Nb 11,15).

Pensez aussi à Job, au cœur de ses souffrances ; le voilà qui s’exclame : « J’en arrive à souhaiter qu’on m’étrangle : la mort plutôt que mes douleurs ! » (Job 7,15).

Aujourd’hui, c’est le prophète Elie qui ne va pas bien. Il prie en criant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop : Reprends ma vie ! » (1 R 19,4). Il arrête sa marche, s’étend au sol et ne veut plus ni boire ni manger.

À ces personnages bibliques, permettez que j’ajoute notre chère Benoîte, la bergère du Laus, qui fut tellement attaquée par le démon qu’elle se mit un jour à prier en disant : « Mon Dieu, Faites-moi mourir, s’il vous plait ! »

Moïse, Job, Elie, Benoîte et tant d’autres ont prié pour en finir avec une vie trop lourde à porter ! Ça vous est peut-être déjà arrivé, à vous aussi ; ou c’est ce que vous pensez actuellement devant les épreuves de votre vie ; ou vous connaissez quelqu’un qui a perdu le goût de vivre, et vous ne savez pas quoi faire pour l’aider.

Je vous propose alors d’unir nos cœurs, dans une prière forte et confiante, pour tous ceux qui ont perdu le goût de vivre ; qu’ils ne fassent jamais le choix de la mort !

Ô Seigneur, nous Te prions pour tous ceux qui, à cet instant, n’en peuvent plus de vivre.

Par l’intercession de la Vierge du Laus,

nous Te demandons de les rejoindre avec toute ta force et ta douceur

 pour leur redonner le goût de la vie !

 

*        *        *

Frères et sœurs, regardons comment notre Seigneur bon et miséricordieux agit envers ceux qui, comme Moïse, Job, Elie, Benoîte et tant d’autres, prient pour qu’Il leur ôte la vie. D’abord, la bonté de Dieu est si grande qu’il n’exauce pas de telles prières. Oui, le Seigneur manifeste aussi sa bonté dans le non-exaucement, car Dieu sait mieux que nous ce qui est bon pour nous.

 

Le Seigneur ne fait jamais le choix de la mort ! Il est toujours du côté de la vie, toujours !... au point d’ailleurs d’offrir la sienne pour faire taire la mort à jamais. C’est la promesse inouïe que le Christ vient de nous faire : « Le pain qui descend du Ciel est tel, que celui qui en mange ne mourra pas ! » « Ne mourra pas » : vous connaissez promesse plus forte, plus belle, plus essentielle, plus désirable ? Une promesse qui rejoint aussi bien ceux qui veulent croquer la vie à pleines dents que ceux qui préfèreraient en finir avec elle… Car celui qui n’en peut plus de la vie ne veut pas la mort, mais une vie belle ! Et cela, Jésus le promet, il l’apporte, il le fait même goûter : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ! » Vivre dès maintenant et vivre éternellement ! Voilà ce que le Christ promet, voilà ce qu’il donne à la mesure de son amour pour nous, c’est-à-dire sans mesure !

*        *        *

Cette promesse extraordinaire n’est pas une théorie à laquelle adhérer, c’est une réalité à goûter, à manger ! En se donnant en nourriture, le Christ vient habiter nos corps parfois si fatigués, nos âmes parfois bien las, et Il le fait en passant  par nos palais, par nos papilles, comme s’il fallait que ce soit d’abord le sens du goût qui soit le premier sollicité dans nos accueil corporel de Jésus Eucharistie : le sens du goût pour redonner le goût de vivre !

Oui, « goûtez et voyez comme est bon le Seigneur », chante le psaume 33, qui semble vouloir nous faire saliver : goûtez Dieu comme on goûte du bon pain… Un appel symbolique dans la bouche du psalmiste, ou plutôt un appel prophétique. Car le psaume 33 annonçait le mystère de l’Eucharistie, avec ces paroles que Jésus vient de nous offrir : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du Ciel » !

Ô, comme Tu es bon, Jésus ! Pour nous faire goûter ta bonté, Tu te donnes en nourriture.

Nous découvrons alors comme tu as bon goût et combien tu donnes bon goût à tout !

Tu vas même jusqu’à donner bon goût à ce que nous sommes,

afin de nous rendre davantage comestibles pour les autres en faisant de nous ton corps !

Alors oui, le goût de vivre, nous l’avons là : dans la Communion à Jésus, Pain de vie éternelle. Et quand on goûte combien Jésus est bon, tout le reste paraît bien fade ! Ou plutôt, les joies humaines prennent leur goût véritable de la présence de Jésus qui donne bon goût à tout.

Nous en avons fait la magnifique expérience, ces jours-ci au Laus ! En vivant un rassemblement pour le Seigneur, nous avons été nourris par Lui et nous n’avons eu besoin de rien d’autre. Si les bons repas de l’hôtellerie ont été appréciables, le goût de la vie, c’est ailleurs que nous l’avons perçu.

Dans la puissance de l’Esprit, sous le manteau de Marie, en compagnie de Benoîte, l’évidence s’est imposée à nous : rien n’est meilleur que le Seigneur ! D’ailleurs, rappelez-vous, frères et sœurs de la Frat-Pentecôte : notre rassemblement, nous l’avons commencé avec un évangile parlant de miettes de pain. Nous le terminons sur un évangile où Jésus se révèle comme le Pain de la Vie !

Nous avons ainsi fait tout un voyage spirituelo-culinaire, depuis des miettes dont on pouvait douter qu’elles puissent vraiment nous rassasier, jusqu’au Fils de Dieu qui se fait nourriture de vie éternelle ! Nous en sommes désormais profondément convaincus : en Jésus, nous avons tout ! Après avoir communié, c’est ce que la bergère Benoîte dit un jour : « j’ai maintenant tout ce qu’il me faut ! »

Le Seigneur nous comble en nous marquant d’un goût de vivre que ni les épreuves, ni la perspective de la mort, ni des conditions sanitaires contraignantes… rien ne pourra jamais l’emporter sur ce goût que Dieu donne à notre vie ! Le Seigneur nous comble, mais c’est toujours en laissant nos plus grands désirs dans une dynamique de quête, d’aspiration vers les biens éternels.

*        *        *

Alors, à vous qui repartez aujourd’hui de ces journées vécues ensemble au Laus, comme à vous qui êtes montés ici pour participer à cette messe dominicale, je me permets d’adresser un grand encouragement : croyez bien que ce que vous avez goûté ces jours-ci et ce que vous goûtez aujourd’hui n’est pas appelé à se diluer dans un quotidien moins savoureux.

Au contraire, le miracle permanent du Seigneur présent dans l’Eucharistie, c’est qu’Il déploie sans cesse nos papilles spirituelles, pour que nous n’ayons jamais fini de goûter comme Il est bon !

La vie apparaît alors clairement comme un festin permanent, même dans les périodes de jeûne ou d’appétit coupé ; un festin où se conjuguent toujours notre faim de Dieu et le rassasiement que nous trouvons en Lui ; d’un rassasiement qui fait grandir encore la faim, jusqu’au Ciel, là où le goût de vivre se déploiera en banquet permanent, rassasiement total : « si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

De cela, l’Eucharistie nous donne un avant-goût. C’est « avant », mais ça en a vraiment « le goût » : le goût de vivre et de célébrer la vie, le goût d’une vie belle parce qu’elle n’est pas soumise à la menace de mort éternelle ; une vie belle parce qu’elle a le goût de Dieu !

Repartons alors forts, joyeux et imperturbables, car nous savons que c’est vrai et nous sommes appelés à le porter en nous pour tout embraser : « Je suis le pain de vie, dit Jésus, celui qui en mange ne mourra pas ! » Gloire au Seigneur qui donne la vie ! Alléluia !