vendredi 31 décembre 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Bonne année, bonne santé !

« Bonne année, bonne santé ! » Au palmarès des formules de vœux échangés cette nuit et ces prochains jours, on peut bien croire que celle-ci l’emportera sur toutes les autres, comme d’habitude : « Bonne année, bonne santé ». Les vœux les plus utiles, croit-on savoir, au point d’ajouter parfois : « et surtout la santé ! »

Incontestablement, la santé est un bien précieux. Ceux pour qui elle a été fragilisée cette année, ceux qui l’ont perdue, ceux qui ont souffert auprès d’un proche malade ont expérimenté à quel point la bonne santé est essentielle. Elle fait d’ailleurs partie de ces réalités humaines dont on découvre l’importance surtout une fois qu’on les a perdues. Alors, on se souhaite sincèrement une bonne année, en espérant qu’aucun souci de santé ne viendra la ternir : « bonne année, bonne santé ! »

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Mais pour la deuxième année consécutive, nous nous souhaitons des vœux masqués et distanciés. La santé ? On a encore passé l’année entière à en parler, jusqu’à la saturation. Des directives de l’OMS aux sermons du ministre de la santé, toute la vie sociale semble désormais focalisée sur les questions sanitaires…sans parler de toutes ces informations contradictoires que l’on trouve sur le net et que l’on échange sur les réseaux, jusqu’à en être déboussolés : qui faut-il croire ?

On peut s’interroger à n’en plus finir sur ce qui se cache derrière cette pandémie. Mais la vraie question me semble ailleurs : la vie du monde est focalisée désormais sur la bonne santé, mais qu’est-ce que c’est, être en bonne santé ? Ou, si vous préférez, quand nous nous souhaitons « Bonne année, bonne santé », qu’est-ce que nous nous souhaitons vraiment ?

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De nos jours et dans nos sociétés occidentales, la bonne santé semble brandie comme un impératif ; elle est vendue au prix d’un « quoi qu’il en coûte » qui montre aujourd’hui toutes ses limites. La « bonne santé » n’est plus un souhait, c’est devenu une injonction : une valeur absolue, corollaire de l’image idéalisée du corps, du refus de la maladie et du déni de la mort.

Le constat s’impose alors : dans une société qui veut s’affranchir de toute Transcendance, il ne reste plus que la recherche horizontale de la bonne santé du corps et du psychisme, jusqu’à vivre tendus tant qu’on n’y arrive pas et à désespérer quand on n’y parvient plus.

Sans Transcendance dans la vie humaine, il ne reste donc plus que la peur : peur d’être contaminé, hospitalisé, intubé, enterré… une trajectoire sans verticalité, qui a donc bien sûr de quoi faire peur.

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Nos vœux de « bonne année, bonne santé » viennent alors nous interroger : vivons-nous pour être en bonne santé, ou sommes-nous en bonne santé pour vivre ?

Permettez-moi de croire que le Seigneur nous appelle à choisir la 2e proposition : nous ne vivons pas pour être en bonne santé, mais nous sommes en bonne santé pour vivre au mieux. Autrement dit : la bonne santé n’est pas le but de la vie. Si actuellement vous n’avez pas la santé, et même si elle vous quitte au cours de l’année nouvelle, cette année pourra quand même être une bonne année, justement parce qu’on n’attend pas seulement de la vie qu’elle nous maintienne en bonne santé.

La santé n’est pas le bien suprême auquel tous les autres biens devraient être soumis. On peut par exemple mettre en péril sa santé en sautant dans l’eau glacée pour sauver quelqu’un qui y est tombé. Qui oserait dire qu’il ne faut surtout pas le faire, car c’est trop dangereux pour sa santé ? Non, la bonne santé ne donne pas à elle seule de sens à la vie.

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Remarquez d’ailleurs que les récits évangéliques de guérison ne présentent jamais le retour à la santé comme un bien en soi. C’est toujours un signe, à conjuguer avec d’autres réalités qui font la vérité de l’être humain : sa relation à Dieu, son rapport aux autres, la guérison de son histoire personnelle, son harmonie avec la Création et son espérance d’une guérison éternelle.

Dans l’histoire du Laus, alors-même que la Vierge Marie a voulu offrir l’huile de la lampe comme signe de la puissance de guérison de son Fils, on le constate cependant souvent : le message du Laus ne sacrifie pas au dogme de la bonne santé à tout prix. Par exemple, un jour qu’on amène au Laus une femme pour qu’elle soit guérie, la bergère Benoîte reçoit du Ciel qu’elle ne guérira pas, car en bonne santé, elle se mettrait en situation de pécher jusqu’à se damner. Doit-on dire que c’est dommage pour cette femme ou que c’est vraiment heureux qu’il en ait été ainsi ? Tout dépend si l’on reste dans l’horizontalité ou si l’on inscrit la question de la bonne santé dans une dynamique verticale.

Ainsi, la bonne santé physique est subordonnée à la bonne santé de l’âme ; subordonnée aussi à d’autres réalités essentielles, que l’absence de bonne santé peut justement parfois mettre en évidence :

- par exemple, l’amour des proches, qui parvient souvent à s’exprimer plus généreusement quand on est plus fragile ;

- ou la compassion à l’égard des autres souffrants, que l’on peut négliger quand on est en pleine forme ;

- ou la prise de conscience que l’on est mortel, qui aide à ne pas mettre son cœur dans ce qui ne fait que passer ;

Et tant d’autres réalités qui jaillissent plus souvent d’une situation de santé fragilisée que d’une absolue bonne santé. En ce sens, il pourrait être utile de prononcer nos vœux de « bonne année, bonne santé » sous la forme suivante : « bonne année, quelle que soit votre santé ».

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Car le Seigneur veut bien plus pour nous que la seule bonne santé pour un temps. Quoi qu’il en soit, un jour ou l’autre, la mort marquera le terme de notre vie sur terre, que l’on y arrive en bonne santé ou pas. Parvenir au terme d’une année, c’est nous souvenir que tout sur terre a une fin. Le Christ vient de nous le rappeler, sous forme interrogative : « Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? »

Alors, au lieu de nous inquiéter pour notre santé provisoire, ne devrions-nous pas surtout nous inquiéter pour notre salut éternel ? « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice », dit Jésus ; c’est la bonne santé dans le Royaume des cieux qui doit nous préoccuper surtout, ce Royaume qui s’épanouit davantage à chaque fois que nous faisons le bien, et qui nous offrira au Ciel une guérison éternelle. 

« Ne vous faites donc pas tant de souci », nous dit alors le Seigneur. Bien sûr, le Christ a été soucieux de la santé de tous ceux qu’il a croisés sur sa route ; il a encore aujourd’hui le souci de la santé de chacun d’entre nous ; mais il nous appelle pour notre part à ne pas avoir tant de souci pour le corps, ses besoins et ses défaillances ; afin de garder toujours comme souci prioritaire notre salut et de celui des autres.

Inquiétons-nous davantage du salut que de la bonne santé, mais d’une inquiétude paisible et joyeuse, qui prenne toujours la forme d’un émerveillement devant le don de Dieu. Car nous vivons le passage à la nouvelle année au cœur du temps de Noël, pour nous assurer de ne jamais l’oublier : l’Eternel est entré dans notre temps pour nous rejoindre et nous sauver. Notre médecin et remède éternel est venu parmi nous. Nous n’avons vraiment rien à craindre !

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Alors, faut-il renoncer à nous souhaiter « bonne année, bonne santé » ? Certainement pas. Offrons-nous généreusement ces vœux bienveillants, mais en y mettant peut-être un petit accent chantant, comme on le fait par ici, dans le Champsaur, ou plus bas, en terre provençale. « Bonne année, bonne sa’nt’é. » Vous entendez ? Bonne SAINT’E ! Oui, bonne SAIN_TE_TE

Bonne année, qui va puiser sa force non pas dans les capacités de nos corps, mais dans la grâce de Dieu qui nous rend saints. Bonne année pour désirer avancer vers le salut éternel, que le passage à chaque année nouvelle rend toujours plus proche et plus désirable.

Ce n’est donc pas seulement une année nouvelle que nous accueillons ; c’est la vie éternelle en Dieu qui s’approche encore de nous, et qui nous fait désirer au plus profond de nos âmes d’y correspondre amoureusement par une vie toujours plus sainte. Oh Oui, « Bonne année, bonne sainteté ! » Amen.