Quel jugement ?
L’octave pascale nous avait plongés dans l’événement de la résurrection du Christ par le témoignage de Marie-Madeleine, des disciples d’Emmaüs, des apôtres et de saint Thomas. Maintenant, en cette 2e semaine de Pâques, nous prenons un peu de hauteur sur l’événement pascal pour discerner ce qu’il doit - ou ce qu’il vient – radicalement changer dans nos vies.
Pour prendre cette hauteur, rien de mieux sans doute que d’ouvrir l’évangile de saint Jean. Symbolisé par un aigle, cet évangéliste élève nos âmes pour nous faire contempler la réalité par En-Haut. Ainsi, depuis lundi, nous méditons à la messe le chapitre 3 de saint Jean qui nous guidera jusque demain, alors que vendredi et samedi nous serons au chapitre 6 du même évangile.
4 jours de méditation du chapitre 3, c’est-à-dire 4 jours où nous prenons la place de Nicodème venu interroger le Christ. Lundi, c’était pour entendre l’appel à renaître d’en-haut, hier l’invitation à se laisser guider par l’Esprit Saint, demain ça sera le témoignage du Fils éternel nous parlant du Père, et aujourd’hui c’est sur le jugement que porte l’enseignement du Christ.
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Aïe, le jugement : ça pourrait sembler la partie la moins agréable à entendre. Nous n’aimons pas être jugés, nous craignons peut-être le jugement au terme de notre vie… Faut-il alors vraiment risquer de ternir la joie pascale en évoquant cette question si délicate du jugement ? Si notre Mère l’Église nous appelle à le faire, c’est qu’il y a là des fruits tout particuliers à savoir recueillir.
Déjà, le Carême nous avait préparés à saisir la nature de ce jugement : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde ». C’était l’évangile du 4e dimanche du Carême, le Laetare, pour que cette parole fasse toute notre joie : « pas pour juger le monde ».
Ouf ! Il n’y a donc pas de projet de jugement du côté de Dieu ; c’est bien clair ! Et pourtant, le Seigneur parle bien d’un jugement. Jugement réalisé : « celui qui ne veut pas croire est déjà jugé » ; et jugement en cours : « celui qui fait le mal déteste la lumière ».
Cet évangile qui était à la mi-chemin de notre marche de Carême, nous le retrouvons donc aujourd’hui, comme pour nous interroger : en Carême, nous avons entendu cette parole comme une promesse ; désormais, dans les fêtes pascales, nous l’avons saisie comme pleinement réalisée ; alors, puisque c’est fait, comment ça transforme réellement notre vie ?
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Les Jours saints nous ont montré combien le juge est venu parmi les criminels. Le Saint n’a pas souhaité emprisonner les coupables que nous sommes ; au contraire, il a tout donné pour nous libérer. C’est d’abord ainsi qu’il nous faut accueillir le jugement sur nos vies : le Fils de Dieu apporte une sentence non de jugement mais de libération. Dans sa première lettre, saint Jean dira : « nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste » (1 Jn 2,1). Le juge est devenu avocat, non pour condamner mais pour plaider en notre faveur.
Mais nous avons contemplé encore plus que cela au cours du Triduum pascal. Non seulement l’avocat a plaidé en notre faveur - « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » - mais il est allé jusqu’à prendre notre place de coupables. Au prétoire de la croix, il a porté sur Lui tous nos péchés. Le seul Saint s’est ainsi présenté en notre nom à tous ; et il a fait taire l’accusateur, le démon qui sait si bien nous dénoncer. Là, devant le pur acte d’amour du Christ, le démon n’a plus rien eu à dénoncer, l’accusateur s’est retrouvé muet.
Alors, en sortant vivant du tombeau, Jésus y a laissé enfouie pour toujours la sentence de condamnation que portait l’humanité entière. Nous sommes donc sauvés, réellement sauvés, entièrement sauvés. Alléluia !
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C’est cette Bonne Nouvelle qui éclaire le temps pascal, afin qu’elle illumine notre vie jusqu’à son dernier souffle : nous sommes des condamnés-graciés ! Nous avions mérité la mort éternelle, mais le Christ a pris sur Lui la condamnation et l’a enfouie dans le tombeau. Nous sommes donc réellement sauvés !
Ce salut est un pur don de Dieu. Sans doute avons-nous encore besoin de l’entendre et de l’accueillir. La proposition que nous faisons cette semaine en notre sanctuaire d’un déploiement sous forme de retraite spirituelle du mystère de la miséricorde célébré dimanche dernier, se veut justement un moyen pour nous aider à entendre combien le salut éternel est un pur don de Dieu. Ce n’est pas le fruit de nos forces, mais de l’offrande pascale du Christ, quand il a tout remis au Père, dans l’Esprit. Miséricorde divine qui nous sauve ! Pur don de Dieu !
C’est ce que nous devrions nous redire à chaque seconde : tout désormais est victoire du Ressuscité, pur don de Dieu ! Même la perspective du jugement à notre mort est à vivre dans cette lumière pascale, selon la promesse du Christ aujourd’hui : « celui qui croit échappe au jugement » !
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Car oui, la révélation biblique rend compte d’un jugement particulier dès notre mort, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude éternelle, soit pour se damner. Mais ce jugement ne doit jamais être séparé de la victoire pascale.
La lumière jaillie du tombeau a dissipé les ténèbres. Cependant, par amour, le Seigneur n’oblige personne à se soumettre à cette lumière. C’est bien ce que le Christ déplore aujourd’hui : « celui qui fait le mal déteste la lumière ».
On peut donc confesser que, si par le Christ, il n’y a plus de jugement, c’est nous-mêmes qui serons nos propres juges au terme de notre vie : juges du choix en faveur de la lumière ou du repli dans les ténèbres d’un péché sur lequel on refuse qu’aucune lumière ne vienne se lever. Dieu ne juge pas, mais nos actes révèlent si nous voulons la lumière ou les ténèbres. Quelqu’un qui aura vécu toute sa vie replié sur lui-même ne voudra pas autre chose au Ciel qu’une vie repliée sur elle-même. Il se jugera donc comme préférant l’enfermement éternel plutôt que le Ciel d’amour partagé. Mystère effrayant du mal !
Alors, depuis que le Christ est ressuscité des morts et que nous sommes renés d’En-haut selon la révélation faite à Nicodème, nous saisissons que notre vie terrestre est soit une adaptation progressive à la charité qui fait la vie du Ciel, soit un choix des ténèbres qui nous rend étrangers à la vie divine. Par conséquent, quand nous serons mis devant le triomphe de la charité au moment du passage notre mort, soit ce triomphe fera notre joie, soit nous n’en voudrons pas.
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Que Dieu nous garde bien sûr de cette terrifiante perspective ! C’est pourquoi, chaque année, nous fêtons dans toute sa puissance la victoire pascale : pour reconnaître que tout est donné par pure grâce, mais aussi qu’il n’est jamais trop tard sur terre pour s’ouvrir à cette lumière.
La puissance de la Résurrection est telle qu’une existence dans les ténèbres, même si elle ne fait que s’entrebailler pour laisser entrer un rayon de la lumière jaillie du tombeau, elle se trouve immédiatement éclairée par le Ressuscité et elle échappe au jugement.
Alors, ouvrons les portes au Ressuscité ! Et prions pour qu’ils soient toujours plus nombreux à Lui ouvrir la porte plutôt qu’à choisir les ténèbres. C’est une lumière de vie éternelle que le Seigneur nous offre gratuitement. C’est sa lumière plus forte que les ténèbres de la mort, qui vient particulièrement traverser nos vies en chaque Eucharistie. Dieu a tellement aimé le monde ! Alléluia.