7e dimanche du temps ordinaire

dimanche 20 février 2022

Par le père Ludovic Frère, recteur

Votez Jésus !

 

Dans un mois et demi déjà, nous serons au 1er tour des élections présidentielles. Alors, ces jours-ci, les candidats enchaînent meeting sur meeting et ils affutent leurs programmes...

Comme Jésus visiblement : depuis le début de ce mois de février, il semble vouloir nous présenter, au fur et à mesure des dimanches, son programme politique et social, pour nous aider peut-être à faire nos prochains choix de vote ; en tous cas pour nous préparer au Carême qui commence dans 10 jours.

Ainsi, au premier dimanche de février, nous avons vu Jésus composer son équipe de campagne, avec de simples pécheurs de Galilée. Dimanche dernier, il faisait son premier grand meeting. Saint Luc remarquait qu’il y avait « une multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon ».

Au cours de ce meeting, la Christ avait posé les bases de son grand programme : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous… Heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui ont faim »… et d’autres béatitudes qui ont toutes dû laisser les foules bien circonspectes. Après ce grand discours inaugural, l’évangéliste n’a d’ailleurs rapporté aucun applaudissement de la part de quiconque.

Aujourd’hui, le meeting se poursuit… Jésus va-t-il essayer de récupérer les choses pour obtenir le suffrage du plus grand nombre ? « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. (…) À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue » …

On imagine la panique des conseillers en communication ! Les disciples doivent se regarder les uns les autres pour se dire : « c’est foutu, il ne sera jamais élu Roi d’Israël ! »

Eh oui, qu’on se le dise : Jésus ne cherche pas à plaire ! Il ne fait pas de sondages pour savoir ce que les gens ont envie d’entendre. Mais le Seigneur nous connaît mieux que nous-mêmes. Il sait ce qui est vraiment bon pour nous. Il n’est pas venu se faire applaudir, il est venu nous sauver. Il ne parle pas pour nous plaire, mais pour nous convertir.

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Le Christ n’est donc pas en campagne pour remporter nos suffrages : il est en offrande pour remporter nos âmes. Il ne cherche alors pas à dire ce que nous voulons entendre ; il ne vient même pas corriger la loi déjà existante. Non : par sa mort et sa résurrection, le Sauveur nous fait entrer dans un monde nouveau ! Pas simplement un nouveau roi qui gouvernerait autrement ; mais un nouveau Royaume, qui n’est pas de ce monde ; un royaume inauguré par la croix. Voilà le grand programme du Maître des temps et de l’histoire : nous introduire à la vie nouvelle des sauvés !

Saint Paul s’en fait l’écho dans la deuxième lettre aux Corinthiens, en disant : « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 CO 5,17). Le Seigneur n’est pas venu rafistoler le monde ancien ; il est venu nous faire passer dans le monde nouveau ! Nous sommes bien des créatures nouvelles dans un monde nouveau !

Ce monde nouveau n’est donc pas seulement pour après notre mort ou après le retour du Christ en gloire : ce monde nouveau est déjà né ; il est advenu par la mort et la résurrection du Seigneur. Ça veut dire que nous y sommes : ce monde nouveau fait notre vie quotidienne, dans les choses les plus banales et jusque dans les événements les plus difficiles à vivre : le monde nouveau est déjà né !

Le Seigneur nous appelle donc à ouvrir les yeux et le cœur sur cette réalité nouvelle qui est déjà là et qui doit transformer encore notre vie pour nous préparer à son déploiement éternel au Paradis.

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Ce n’est donc pas un grand remplacement qu’annonce le Christ, mais un grand renversement : face au Mal qui avait tout mis à l’envers, le Fils de Dieu a donné sa vie pour nous remettre à l’endroit en nous réorientant vers le Père.

Par le péché, l’être humain avait perdu le bon sens de sa vie. Il s’était mis tête en bas en se détournant du don de Dieu. Au lieu de tout recevoir de la Source divine par une vie dans l’Esprit orientant de manière juste les besoins du corps du psychisme, l’être humain avait inversé les choses, mettant le souci du corps et du psychisme au cœur de son être. Souci du corps en focalisant sur le confort, l’apparence, le divertissement, la tranquillité, les plaisirs ; soucis du psychisme par l’obsession de briller devant les autres ou de se faire plaindre, de se comparer et de se jalouser, de se gonfler d’orgueil et de critiquer, de s’emparer des autres ou de les manipuler au lieu de les aimer vraiment, oubliant de soigner l’esprit, qui le relie à Dieu.

Totalement à l’envers, on en était venu à tout retourner : au lieu de plaire à Dieu, chercher à plaire aux hommes ; au lieu de servir, se faire valoir ; au lieu de donner, dévorer sans jamais être rassasié.

Cette position inversée rend forcément agressifs et violents. Regardez notre monde, devenu tellement dur. N’est-ce pas le signe qu’il est à l’envers ? Le sang monte alors à la tête et tout le corps perd son équilibre.

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Il fallait donc que nous soyons remis à l’endroit. Et voici la croix du Christ. Comme une grand clé, elle vient nous remettre dans le bon sens, pour passer de la posture du poirier à celle du crucifié-ressuscité. Ce grand renversement, le Christ le résume par ces mots vertigineux : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera » (Luc 9, 24).

Nous ne sommes donc pas chrétiens pour gagner, mais pour perdre. Nous ne sommes pas venus à la messe aujourd’hui pour gagner quoi que ce soit, mais pour tout perdre. Attention : nous ne sommes pas des « perdants », mais nous croyons à une perte salutaire, une perte qui libère et qui comble ! Perdants peut-être aux yeux du monde, mais perdants en voulant perdre ce qui pourrait nous perdre éternellement.

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Et voilà tout le sens des demandes déconcertantes du programme du Christ. Notamment celle-ci, la plus difficile à entendre, peut-être : « À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. » Il y a là une perte évidente. Le Christ nous appelle à perdre la face, en un certain sens. Oui, perdre la face de la violence pour présenter une autre face, celle de l’humanité douce parce qu’elle se sait sauvée.

En appelant à tendre l’autre joue, le Christ n’invite donc pas à se laisser battre. Quand Lui-même sera frappé par un soldat lors de sa Passion, il interrogera : « Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu » (Jn 18, 23). Jésus ne dit pas « frappe-moi encore ! » Il interroge notre tendance à la violence : « Pourquoi me frappes-tu ? »

« Présenter l’autre joue », c’est donc présenter une « autre face »… une autre face de l’humanité que celle qui vient de s’exprimer par la violence. Car depuis que le Christ nous a sauvés, depuis que le monde nouveau est né, il y a dans notre vie sur Terre une autre face, une autre réalité : le Royaume divin du pardon, de la douceur, de la compassion.

Si l’on te frappe sur une joue, révélant que le Mal est encore à l’œuvre dans le monde, présente l’autre joue : l’autre face de la réalité, celle du Royaume de Dieu déjà là et vainqueur du mal par le bien.

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Pour aider à le saisir et à l’appliquer dans notre vie quotidienne, j’aimerais terminer par une histoire vraie, celle d’une religieuse toute donnée au service des pauvres dans les bidons-villes du Brésil.

Un jour qu’elle fait la quête dans la rue, elle s’approche d’un homme visiblement assez riche. Elle tend la main vers lui. L’homme la regarde avec mépris et lui crache dans la main. Instantanément, la religieuse ferme sa main souillée et dit : « ça, c’était pour moi ! ». En souriant, elle tend l’autre main et elle dit à l’homme : « Et pour les pauvres, vous donnez quoi ? » Tellement estomaqué par la douceur de cette religieuse, l’homme n’a pu s’empêcher de sortir un gros billet. Par la suite, il a même décidé de consacrer sa vie à aider les plus pauvres. L’autre face ! Dans la puissance de l’Esprit, cette religieuse a su présenter une autre main, une autre joue, une autre face. Et vous, vous y croyez, à cette force-là ? La seule force en fait, devant laquelle toute violence apparaît comme une preuve de faiblesse. Voyez comme le monde nouveau est déjà né ! Voyez la victoire du Crucifié-Ressuscité ! Alors… votez Jésus ! Amen.