Quoi de plus extraordinaire que le miracle de la vie ? Notre esprit occidental ne cesse d’analyser, de scruter, de disséquer le mystère de la vie. Nous aimons centrer notre attention sur les processus et les techniques.
Mais la vie n’est pas le fruit de nos analyses, ni de nos expériences. Elle ne jaillit pas d’un procédé technologique, ni des prouesses de l’intelligence artificielle . La vie nous laisse désarmés alors que nous cherchons sans trêve à la maîtriser, à la dominer, à la soumettre à notre volonté.
L’homme oriental, lui, ne regarde pas les choses comme nous. Il n’envisage que l’état initial et l’état final. Ce qui le surprend c’est la succession de deux réalités radicalement différentes. Et c’est bien ainsi que le royaume de Dieu se révèle. Il suffit de se souvenir du paysage politico-religieux du temps de Jésus. Certains zélotes faisaient partie de ses proches. Partisans de l’action politique radicale, ils étaient dans une totale incompréhension devant l’attitude de Jésus. Eux voulaient de l’action, des coups de force. Or, Jésus parlait du royaume déjà commencé et que voyait-on ? Une troupe de gens misérables, et parfois peu recommandables. C’était donc ça le cortège du messie venu inaugurer son règne sur la terre ? Eh bien oui, dit Jésus. D’un minuscule grain de moutarde surgira un arbre étonnant. Jésus ne cherche pas à édifier le royaume par la lutte armée . Il ne fonde pas un parti politique. Il avance au rythme des pauvres qui l’accompagnent. Dans le presque rien, il contemple déjà la splendeur du royaume. Et sans cesse, notre regard doit revenir à cette origine modeste que Dieu a voulue pour réaliser son œuvre.
L’Eglise n’est pas un but et le royaume de Dieu n’est pas une institution. L’Eglise n’est qu’un pauvre semeur qui met une confiance éperdue dans le trésor de la semence de l’Evangile. Tout le dynamisme de la croissance est là, dans quelques poignées de grains et dans notre foi.
Bâtisseurs du royaume, il nous faut sans cesse semer dans la foi, certains que le bon grain donnera de belles moissons.
C’est ainsi que Jésus sera lui-même le grain de blé jeté en terre. Vous connaissez sans doute l’extraordinaire mosaïque de la basilique Saint-Clément à Rome. La croix développe d’immenses rameaux. Elle se fait arbre de vie dans lequel s’abritent des foules d’oiseaux. Rien ou presque rien au départ : un obscur condamné qui meurt misérablement sur une croix… Et l’arbre immense du royaume de Dieu va s’étendre sur toute la terre et à travers tous les siècles pour héberger tous les hommes.
Ce ne sont ni le bruit ni l’agitation qui feront pousser la semence. L’humble patience du semeur ne fait pas de bruit. C’est cette patience silencieuse, tout habitée de confiance que nous avons à cultiver dans l’agitation bruyante d’une société qui ne sait que produire pour consommer et jeter. Notre prière est pauvre et petite, bien sûr. Elle est humble mais infiniment confiante. Ce petit morceau de pain partagé dans un hameau des Alpes va tout à l’heure mystérieusement sauver le monde. C’est notre foi. Ce monde assourdi par le tintamarre de son propre orgueil ignore qu’ici, dans le silence de la montagne, ce joue son avenir. Une puissance infinie de vie et d’amour va être ensevelie dans la terre de notre pauvre humanité. Et l’immense arbre de la vie va germer là.
L’émerveillement nous submerge lorsque nous regardons dans la foi le mystère de la vie se déployer en nous et dans le monde. Dans l’humble communion que nous aurons l’audace de recevoir, la splendeur de la moisson est déjà là. Le monde nouveau vient y prendre racine.
En ce hameau si modeste du Laus, ce matin, s’enracine l’arbre immense de la vie. Pour ce mystérieux amour qui nous sauve, louange à toi, Seigneur !
Père Michel Desplanches
Recteur
Homélie du 11ème dimanche du temps ordinaire
dimanche 16 juin 2024