5e dimanche de Pâques

dimanche 02 mai 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Hors-gel !

Voici une quinzaine de jours, le gel a frappé. Il a fait mal, surtout aux arbres fruitiers et aux vignobles. Ainsi, dans les Hautes-Alpes comme en bien d’autres régions de France, des milliers de pieds de vigne ont souffert du froid. Ils ne donneront pas de raisin cette année, ou si peu.

 

Après cet épisode de gel, entendre Jésus choisir l’image de la vigne pour parler de la fécondité de nos vies peut vraiment nous interroger : si nos cœurs sont froids comme un gel matinal, ils risquent d’anéantir les sarments les plus prometteurs.

 

Nos vies ne peuvent donc porter de fruit qu’en se gardant de ce gel du cœur qu’on peut pourtant parfois légitimer : gel de l’égoïsme parce que ce monde est si dur ; gel du refus de pardonner parce que c’est l’autre qui a tort ; gel des pratiques religieuses qui suivent la lettre mais pas l’esprit… Attention au gel, qui peut faire tant de dégâts et réduire à néant les fruits attendus !

 

Mais alors, par quels moyens peut-on lutter efficacement contre le gel ?

 

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Ces derniers temps, nous avons d’abord vu des vignerons allumer des feux le long de leurs vignobles. En proximité des pieds de vigne, ces feux ont parfois réussi à apporter la chaleur nécessaire pour éviter le gel. Ainsi pour nous, à chaque fois que nous approchons du cœur brûlant du Christ : au plus près de Lui, le gel de nos coeurs fond en un instant et toute froideur nouvelle peut être évitée. C’est bien ce que nous goûtons en chaque Eucharistie : la messe nous fait approcher du mystère brûlant de l’Amour divin.

 

Vous comprenez alors qu’il est impossible d’y venir seulement une ou deux fois par an, ou même une fois par mois : le risque de gel est trop grand, en toute saison, pour s’auto-dispenser de venir chaque dimanche nous réchauffer au foyer ardent de l’Eucharistie. Notre sainte Mère l’Église sait le danger de nous geler au contact des froideurs du monde ; c’est alors sous forme d’obligation dominicale qu’elle nous supplie de venir nous réchauffer à la Présence réelle du Ressuscité.

 

Je ne comprends alors pas ceux qui viennent à la messe seulement quand ils en ressentent le besoin, car je ne crois pas que les pieds de vigne avaient ressenti le besoin d’être préservés du gel ; non protégées, certaines grappes ont séché sur place. Or, Jésus nous prévient aujourd’hui : « les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. » Le Seigneur nous met en garde non comme une menace mais comme un risque réel. Ce n’est donc pas au sarment d’évaluer ses propres besoins ; seul le Vigneron éternel les connaît et c’est à son Église qu’il a confié le soin de procurer les remèdes pour éviter de sécher sur place.

 

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Venir nous réchauffer à la Présence réelle du Ressuscité est donc bien nécessaire pour lutter contre le gel de l’égoïsme et de l’orgueil, comme pour éviter les froideurs des mauvaises nouvelles et des angoisses de toutes sortes. C’est nécessaire… mais pas suffisant pour éviter le gel. Écoutez le Christ qui nous dit aujourd’hui : « Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève. » Être « en Jésus » n’est pas suffisant. Il faut encore autre chose : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit ».

 

Pour éviter la stérilité d’une vie gelée, il ne faut donc pas seulement s’approcher du Foyer ardent pour se réchauffer à sa proximité ; il faut aussi Le laisser demeurer en nous pour que son feu nous devienne intérieur.

 

Si pour lutter contre le gel, les vignerons avaient pu embraser leurs vignobles de l’intérieur, au cœur-même des tiges et des bourgeons, ils n’auraient pas hésité à le faire et leurs récoltes aurait été sauvées ! Mais un vigneron ne peut pas aller réchauffer l’intérieur des sarments ; le seul vigneron qui peut le faire, c’est le Vigneron éternel.

 

Le Sauveur n’est donc pas qu’un feu de proximité ; il est un feu intérieur, comme Clément, Maëlys, Clotilde, Vianney et Judith vont le vivre concrètement aujourd’hui par leur première Communion : tout à l’heure, ils ont porté à la main leur cierge de baptême ; dans quelques minutes, c’est de l’intérieur qu’ils seront embrasés par le seul antigel qu’il est conseillé d’absorber !

 

La Vie chrétienne n’est donc pas une simple adhésion au Christ ; elle est un bienheureux envahissement par le Christ. Dans l’Eucharistie, le corps et le sang, l’âme et la divinité du Fils de Dieu viennent réellement habiter nos corps, nos âmes et nos esprits. Forcément, nous portons alors du fruit, parce que ce n’est pas « nous » avec toutes nos limites, c’est « Jésus en nous » avec toute sa puissance !

 

C’est-à-dire : c’est Jésus dans tout son sacrifice pascal. Car l’Eucharistie n’est pas seulement communion à la Présence réelle du Ressuscité ; elle est aussi participation à son sacrifice unique. La sève d’antigel que nous donne la Vigne véritable, c’est celle de son sacrifice sur la croix. Ce qu’il a offert en sa Passion, le Sauveur nous en fait totalement part à la messe.

 

Ainsi, à chaque fois que nous participons à l’Eucharistie, le sacrifice du Christ nous saisit tout entier ; il nous irrigue de sa sève de vie qui protège du Mal et empêche la mort. Le gel du péché qui accuse et le gel de la mort éternelle, nous en sommes protégés de l’intérieur, par la sève vivante du Sang rédempteur, dont le sacrifice devient agissant en nous : l’antigel de son offrande, toujours à l’œuvre pour nous donner la Vie !

 

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Mais ce sacrifice, il nous faut bien l’entendre : il est « pour la multitude ». Le mystère de l’Eucharistie est un mystère de rassemblement. Comme si les vignerons, pour lutter contre le gel, avaient pu rassembler tous leurs pieds de vigne en un seul. Vous savez : comme on le fait quand on a froid. On se serre les uns tout contre les autres, et ça réchauffe tout le monde. Mais dans l’Eucharistie, ce réchauffement communautaire va plus loin qu’un simple rapprochement : c’est une seule Vigne que nous formons dans le Christ, c’est un seul Corps que nous sommes en Lui.

 

Grand mystère à contempler sans cesse pour ne pas le fuir : le sacrifice auquel nous sommes associés vient faire du corps eucharistique auquel nous communions le corps que nous devenons ensemble. La messe atteint donc sa finalité ultime quand nous vivons ce mystère d’unification du corps que nous sommes devenus dans le Christ.

 

Mais il n’est pas toujours évident de confesser ce mystère d’unité, puisqu’il est parfois vécu avec des inconnus ou avec des connus que nous préférions ne pas connaître. Il faut alors que le Seigneur insiste : « Moi, je suis la Vigne et vous les sarment. » Il n’est pas le vignoble dont chacun serait un plan de vigne, les uns à côté des autres ; il est une Vigne unique donc chacun est un sarment, les uns avec les autres. Par conséquent, la même sève coule en nous, la même dynamique de vie nous habite, la bonne santé d’un sarment rejaillit sur l’ensemble de la vigne. Si l’un vient à geler, tous sont en péril ; si l’un est préservé du gel, tous en sont bénéficiaires.

 

Ainsi, plus nous formons consciemment le corps du Christ, plus nous sommes préservés du gel qui menace et plus nous contribuons à dégeler le monde ! Le mot de « communion » prend alors tout son sens !

 

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Le mois marial qui a commencé hier n’est-il alors pas essentiellement un mois eucharistique ? Je le crois vraiment, et d’ailleurs la Vierge Marie nous en donne un beau signe au sanctuaire du Laus. Pour conduire les pèlerins à fixer leur regard sur le Christ qui sauve et qui guérit, la Belle Dame offre l’huile de la lampe du tabernacle. Une huile eucharistique, puisqu’elle fait lever les yeux vers le Tabernacle. Notre foi n’est pas dans l’efficacité de cette huile, mais dans la puissance de l’Eucharistie. Voilà ce que la Vierge Marie veut pour nous : que nous fixions nos regards sur son Fils pour entrer dans son offrande et nous unir en son Corps.

 

Alors, par la Vierge qui a demeuré au plus près de son Fils, réchauffons-nous à la Présence du Ressuscité !

 

Par la Vierge qui a engendré son Fils dans son corps de femme, laissons le Sauveur prendre plus de place en nous pour nous dégeler de l’intérieur !

 

Et par la Vierge devenue mère des disciples de son Fils quand elle était au pied de sa croix, vivons la réalité du dégel communautaire : un seul corps dans le Christ !

 

Ainsi reliés à la Vigne véritable par le sarment parfait qu’est la Vierge Marie, comment pourrions-nous risquer le moindre gel ? Car alors, nous avons « tout », selon la parole de Benoîte. Après avoir communié, la bergère disait : « J’ai maintenant tout ce qu’il me faut ». Nous avons là les mots suffisants pour une belle action de grâce. « J’ai maintenant tout ce qu’il me faut », donc je ne manque de rien et je ne risque aucun gel.

 

Quelle grâce de pouvoir proclamer dans quelques minutes, avec Clément, Maëlys, Clotilde, Vianney et Judith : « J’ai maintenant tout ce qu’il me faut. »… et le dégel est assuré, et les fruits seront très beaux, et la récolte sera sublime, et le vin sera excellent ! Alléluia !