14e dimanche du temps ordinaire

dimanche 04 juillet 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

Ça vous étonne ?

Ça vous étonne vraiment ? Moi, pas tant que cela, en fait. Que les Nazaréens s’étonnent de ce qu’ils découvrent aujourd’hui du Christ, ça ne m’étonne pas. Ils ont vu le petit Jésus grandir. Ils l’ont vu travailler pendant des années dans son atelier de charpentier. Aujourd’hui, ils le retrouvent en prédicateur plein de sagesse et en guérisseur efficace. Ils sont « frappés d’étonnement », dit l’évangéliste. Moi, ça ne m’étonne pas que ça les étonne !

 

Ce qui m’étonne davantage, en fait, c’est l’étonnement de Jésus. « Il s’étonna de leur manque de foi ». Étonnant, vous ne trouvez pas ? Car le Seigneur connaît l’esprit humain ; c’est Lui qui l’a créé. Il sait nos réticences à voir plus loin que les limites de notre village, plus loin que nos conceptions des choses. Il sait que nos étonnements devant les imprévus conduisent rarement à des sursauts d’enthousiasme, sauf peut-être chez les enfants… c’est sans doute pourquoi Jésus appelle à leur ressembler pour entrer dans le Royaume des Cieux.

 

Mais le plus souvent, l’étonnement fige dans la peur de l’inconnu ou le refus de voir plus loin. Ainsi pour les habitants de Nazareth : ils croient si bien connaître Jésus, que leur étonnement les enferme, au lieu de les ouvrir au mystère qui s’approche tout près d’eux.

 

La première des conversions, je pense qu’elle se trouve là : convertir les étonnements qui enferment sur des certitudes, en étonnements qui élargissent le regard. D’ailleurs, quand on s’étonne, on écarquille les yeux ; c’est donc bien qu’on aspire à voir plus grand !

 

A de nombreuses reprises dans les évangiles, le Christ montre l’exemple d’un saint étonnement. Il s’étonne en priant ainsi : « Père, je te rends grâce, ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11,25). Il s’étonne aussi par exemple du désir de droiture du jeune homme riche : « Jésus le regarda et il l’aima » (Mc 10,21). Étonnement positif devant ce qui est beau ! Voilà ce que nous devons recevoir du Christ : demandons-Lui la grâce de son propre regard sur tout ce qui est beau, pour nous en étonner d’admiration comme Lui-même ne cesse jamais de le faire.

 

Nous devrions sans cesse nous étonner de la beauté d’une fleur, de l’amour des parents pour leurs enfants, de la complicité d’un vieux couple, du sourire des consacrés. On devrait s’étonner que 130 jeunes hommes aient été ordonnés prêtres cette année encore en France ; s’étonner que pendant l’été, certains choisissent de passer leurs vacances dans un sanctuaire ; s’étonner des gestes d’amitié, des services gratuits, des regards qui soutiennent. Si nous ne sommes pas des chrétiens qui s’étonnent d’admiration, nous ne sommes pas chrétiens du tout !

 

D’ailleurs, ces étonnements positifs guérissent et réparent tous nos étonnements de méfiance, car ils nous ouvrent au mystère que restent toujours pour nous les autres, la vie et Dieu bien sûr. Écarquillons alors les yeux pour voir plus grand !

 

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Cependant, un étonnement premier doit orienter tous nos étonnements. C’est celui du Christ face aux refus de voir plus loin. Aujourd’hui, nous le voyons s’étonner du manque de foi de ses compatriotes. C’était pourtant prévisible ; mais le Seigneur semble être de ceux qui ne se résignent jamais à ce qui est prévisible, pour toujours espérer qu’un meilleur adviendra.

 

Autrement dit, cet étonnement du Christ devant le manque de foi des Nazaréens révèle combien Dieu ne s’habitue pas à nos réticences. Tous nos freins à croire et à nous laisser aimer, le Seigneur n’en a pas pris son parti. Ça reste toujours pour Lui étonnant, et même inconcevable.

 

Contempler le Seigneur s’étonner de nos manques de foi, c’est donc en fait source de grande espérance. Car Dieu ne s’avoue jamais vaincu par nos réticences. Il s’en étonne toujours et ne s’y résigne pas. Et voilà bien notre espérance : le Seigneur croit en nous bien plus que nous croyons en Lui !

 

Étonnons-nous alors de l’ambition que le Seigneur a sur nous ! Il nous croit capables de retirer nos œillères pour voir plus large. Il nous sait capables de penser plus grand que nos schémas habituels. Sans cela, jamais le Seigneur ne se serait révélé à nous ; Il serait resté un Dieu inaccessible. Mais par amour, Il se donne à connaître, espérant que nous voudrons bien regarder plus loin que le bout de notre rue ou que les limites de nos écrans.

 

Je vous propose alors de profiter de cet été pour développer davantage l’étonnement dans votre vie spirituelle. Dès que vous passez devant une croix, étonnez-vous de l’amour divin qui est allé jusque-là. Dès que vous participez à une messe, étonnez-vous du don que Jésus y fait de Lui-même. Dès que vous regardez une statue de la Vierge, étonnez-vous d’avoir réellement Marie pour mère, comme elle-même s’est étonnée en chantant le Magnificat !

 

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Ainsi, de même que l’étonnement est à la base du questionnement philosophique, selon la fameuse intuition de Jeanne Hersch, de même l’étonnement est au fondement de la vie spirituelle. Apprenons donc du Seigneur à nous étonner de ce qui est beau pour nous en réjouir ; mais aussi à nous étonner de ce qui est laid pour ne jamais nous y résigner.

 

Nous pouvons apprendre du Christ à nous étonner du beau, mais aussi à nous étonner des rétience à la beauté. Saint Paul a sans doute puisé dans l’exemple de Jésus cette remarque qu’il adresse aux chrétiens de Galates : « Je m’étonne que vous abandonniez si vite celui qui vous a appelés par la grâce du Christ » (Gal 1,6).

 

À nous aussi de nous étonner que Jésus ne soit pas aimé alors qu’il est Amour ; et que l’Église soit si critiquée, alors qu’elle porte tant de belles générosités visibles ou cachées. À nous de nous étonner que si peu de monde vienne goûter le trésor de la messe, plutôt que laisser l’étonnement à ceux qui ne comprennent pas pourquoi nous y venons encore.

 

Nous nous laissons marcher sur les pieds à force de laisser l’étonnement du côté des non-croyants, alors qu’il est tellement étonnant de ne pas croire quand on voit l’immensité des galaxies, le mystère de l’infiniment petit ou l’extraordinaire d’une naissance.

 

La foi chrétienne n’est pas imbécile ; elle est portée par des siècles de réflexion intellectuelle d’une subtilité inégalée, et plus encore par des siècles d’humble contemplation du mystère. Nous ne sommes pas des idiots qui croient à n’importe quoi ! Il faut donc que l’étonnement change de camp !

 

À nous de nous étonner du manque de réflexion de beaucoup de nos contemporains sur le sens de la vie et de la mort. Les réactions de panique devant la pandémie en sont d’ailleurs bien révélatrices, vous ne trouvez pas ? Étonnons-nous qu’ils soient si nombreux à dire ne croire en rien, mais à aller sans problème consulter des magnétiseurs pour obtenir quelques faveurs d’on ne sait qui – en fait, si : on sait très bien qui, et ce n’est pas Dieu. C’est étonnant, vous ne trouvez pas ? Il faut que l’étonnement change de camps !

 

Il y a fort à croire qu’au cours de cet été, nous participions tous à de nombreuses discussions de table, de plage, d’apéro ou de famille. Ne nous laissons alors pas voler l’étonnement ! Soyons prêts à rendre compte de la beauté de notre foi, de sa richesse, de sa profondeur, de sa pertinence… pour que l’étonnement moqueur ou condescendant que la foi suscite souvent se transforme en étonnement d’admiration non pas à notre égard, mais pour le Seigneur si grand et si miséricordieux !

 

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Voilà donc l’opportunité pour nous de vivre un été d’étonnement positif sur la beauté de notre foi, d’un étonnement qui soit communicatif ! Mais surtout, préparons nos âmes ! Si nous ne savons pas nous étonner positivement de tout ce qui nous dépasse, nous aurons du mal à nous étonner devant tout ce qui nous attend. Dans l’évangile de saint Jean, le Christ promet : « vous serez dans l’étonnement » (Jn 5,20). Annonce de sa passion et de sa résurrection, mais aussi annonce de la vie éternelle : de l’étonnant nous attend !

 

Préparons-nous à nous étonner éternellement de la Vie-même de Dieu qui nous sera donnée en partage ! Ça m’étonnerait que nous ne soyons pas tous étonnés devant tant de beauté inconcevable pour nous sur cette Terre. Ça m’étonnerait que nous ne soyons pas éternellement étonnés d’être étonnamment éternels. Ah, Seigneur tout-puissant et miséricordieux, Tu nous étonneras toujours ! Amen.