Jésus aurait préféré la moto
Loin de moi l’idée de m’attirer la sympathie de certains parmi vous, en ce jour du pèlerinage des motards… mais je crois bien que si Jésus avait parcouru de nos jours les routes de Palestine, il aurait privilégié la circulation en deux roues.
Pour sentir les odeurs de la nature lui inspirant tant de paraboles ou pour circuler au grand air comme Il le fait de toute éternité dans le souffle de l’Esprit, je pense que c’est au guidon d’une moto que Jésus serait allé de Nazareth à Cana et de Béthanie à Capharnaüm.
Au lieu d’être enfermé dans une voiture comme dans une cabine isolante, le Fils de Dieu aurait certainement aimé ce rapport plus direct avec tout ce qui nous entoure. Il se serait amusé, aussi, des saluts que s’échangent les motards qui se croisent sur la route, alors que les automobilistes circulent souvent dans l’indifférence mutuelle, voire dans l’hostilité.
Oui, pour annoncer le Règne de Dieu aujourd’hui, je pense que Jésus aurait choisi la moto.
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Mais cette préférence aurait sans doute reposé sur une autre raison encore, plus existentielle et plus décisive pour chacun d’entre nous. Campée sur 4 roues, la voiture est stable par elle-même. Reposant sur deux roues seulement, la moto est instable à l’arrêt. Il existe bien désormais quelques systèmes électroniques parvenant à la maintenir debout, mais d’ordinaire, une moto est instable tant qu’elle ne roule pas. Cette instabilité la rend cependant davantage maniable et joueuse dès qu’elle est lancée sur la route.
La moto n’est-elle alors pas une image de la vie humaine ? Instable et lourde quand elle est immobile, c’est en bougeant qu’elle devient maniable et joyeuse. Elle peut alors emprunter des passages étroits et s’incliner sans chavirer dans les virages… une vie humaine à chevaucher comme une belle moto pilotée par l’Esprit Saint !
Pourtant, la tentation est grande de préférer l’immobilisme au mouvement. On pense que c’est plus confortable, qu’il y a moins de risque. On voit la vie idéale comme une voiture bien campée sur ses 4 roues, stable en elle-même : une solidité dans l’immobilisme. Mais ça, c’est la vocation des cailloux, pas des êtres humains.
Il faut donc que le Fils de Dieu, en prenant un corps comme le nôtre, nous montre qu’il n’y a pour nous de vie qu’en mouvement et de stabilité que dans le déséquilibre permanent de se savoir en route.
Les évangiles ne sont d’ailleurs qu’un grand et perpétuel mouvement, et non une proposition d’immobilisme rassurant. Dans tout son enseignement, le Christ invite à bouger. Il ne promet pas la vie tranquille, campée sur 4 roues, mais la vie surabondante dans un équilibre qui ne tient qu’à son mouvement : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. »
Quand le Christ rencontre des gens, c’est toujours pour leur ouvrir un chemin nouveau qui n’aura d’équilibre qu’en mouvement. « Va et désormais ne pèche plus », dit-il à la femme adultère. « Prends ton brancard et marche », lance-t-il à un paralysé : il lui retire sa béquille pour qu’il avance dans la vie ; comme on le fait en moto… plus de béquille qui maintient à l’arrêt, mais un élan qui met en route.
Dans l’évangile d’aujourd’hui aussi : un père inquiet pour son enfant mourant, une femme marquée par une maladie apparemment incurable… tous deux stoppés dans leur élan de vie. Mais ils rencontrent le Christ, et les voilà remis en route.
Ainsi fait le Seigneur avec chacun de nous : si nous L’approchons ou si nous Le laissons nous approcher, il nous sort toujours de l’immobilisme pour nous mettre en mouvement, transformant nos instabilités en puissance de vie.
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Ce mouvement que le Christ veut sans cesse réaliser en nous, je vous invite à y dire un grand « oui » aujourd’hui. Par exemple tout à l’heure, quand chaque moto passera pour recevoir la bénédiction, marquant un temps d’arrêt dans l’instabilité, avant de repartir avec un élan nouveau, dites en vous-même : « Oui, Seigneur, avec ta bénédiction, j’accepte d’avancer ; j’accepte le mouvement plutôt que la fausse stabilité du sur-place. »
Permettez alors que je vous propose quelques pistes pour que ce « oui » soit « oui », et non un simple élan spirituel du moment, sans conséquence sur le reste de nos vies.
Première piste : comme une provocation, comme un défi : aimer l’instabilité de la vie sur Terre ! C’est ce qui lui donne son sens et sa saveur. C’est ce qui éveille sans cesse en nous le désir d’avancer, de laisser le passé derrière, de nourrir une espérance et d’avoir besoin des autres… pour que d’instable en nous-mêmes, nous devions stables en nous soutenant les uns les autres. Oui, aimez l’instabilité de la vie comme la condition pour faire un grand voyage !
Deuxième piste : soignez votre moteur intérieur. La plus belle des motos, si elle dépourvue de moteur, n’est jamais qu’une coquille vide. De même pour nous : notre vie est vide, si elle n’est mue par un moteur qui transforme l’instabilité en puissance de mouvement.
Ce moteur, c’est l’amour. Sans amour, impossible d’avancer. Nous le savons : nous sommes tous faits pour aimer et pour être aimés. Tout ce que pensons ou faisons en dehors de l’amour ne nous met donc jamais en route et nous maintient dans l’instabilité. Seul l’amour est le moteur de l’existence. Regardez Jésus : il est tellement rempli d’amour, qu’il a suffi à la femme malade de toucher le bord de son vêtement pour être guérie et remise en mouvement.
Car l’amour vrai guérit et met en route : quand on offre de l’amour, on guérit les autres et on les fait avancer ; quand on donne de l’amour, on guérit soi-même et on avance. Alors, en notre sanctuaire qui est un grand lieu de guérisons, demandons au Seigneur, par la Vierge Marie et par Benoîte, la grâce de guérir nos cœurs des blessures d’amour et la grâce de guérir les autres par un amour toujours plus pur. Laissons alors le Seigneur réviser, dans cette Eucharistie, le moteur de notre vie, pour le rendre plus véloce et moins polluant, afin de mieux aimer.
Troisième piste : évidente, mais d’une évidence que tant de monde oublie de nos jours : il faut mettre du carburant dans le moteur… ce n’est pas une obligation morale, c’est juste la condition pour avancer. Mettre du carburant, ou recharger la batterie si vous êtes passés à l’électrique… quoi qu’il soit, il faut une énergie permettant au moteur de mettre le véhicule en mouvement.
Dans nos vies, cette source d’énergie, c’est Dieu Lui-même, que nous recevons d’une manière privilégiée et inégalable dans la célébration de la messe.
Ah, mais si vous ne venez à la pompe qu’une fois par an ou quand ça vous dit seulement, comment pouvez-vous espérer voyager loin ? Certains voudraient une vie dense et une spiritualité profonde sans jamais faire le plein à la Présence du Seigneur, ou si peu souvent. Mais, encore une fois : vous aurez beau avoir la plus belle des bécanes, si vous ne remplissez pas son réservoir, elle restera immobile et donc instable.
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Voilà donc ces pistes que je vous propose de garder à l’esprit aujourd’hui pour avancer sur les chemins d’une vie belle, pour avancer en sainteté, pour avancer jusqu’au Ciel : aimer l’instabilité de la vie comme un appel au mouvement ; soigner l’amour comme moteur de l’existence ; et se remplir du carburant qu’est la Présence réelle du Seigneur dans l’Eucharistie.
Mouvement, amour et puissance reçus de Dieu nous donnent d’avancer vraiment jusqu’au terme de la balade ; un terme qui ne sera pas une mise à l’arrêt dans le parking du cimetière, mais un mouvement permanent d’amour qu’on appelle le Paradis. Amis motards, bonne route… jusque-là. Amen.