12e dimanche du temps ordinaire

dimanche 20 juin 2021

Par le père Ludovic Frère, recteur

« Il dormait sur le coussin à l’arrière »

Selon une étude récente, on en a perdu 1h30 sur ces 15 dernières années. Et encore, ce qui nous en reste est souvent bien léger et assez difficile à trouver. Vous avez deviné de quoi s’agit-il ? Oui, du sommeil ! Un tiers des français estiment ne pas bien dormir, et deux tiers déclarent ne pas avoir assez de sommeil. Comme en toute chose, prenons alors exemple sur Jésus-Christ : dans la barque agitée par les vents, « lui dormait sur le coussin à l’arrière ». Aucun problème de sommeil chez le Seigneur ! Nous pouvons donc imiter notre Maître pour dormir sur nos deux oreilles.
 

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Mais comment faire concrètement ? Dans la barque, les disciples sont loin de partager ce paisible sommeil ! Pris dans la tempête, les voilà agités, autant que les vagues. Tiens, c’est intéressant : ils prennent modèle sur l’agitation qui les entoure, plus que sur le Christ qui dort paisiblement.

 

Voilà déjà une grande interpellation pour nous : est-ce que nous modelons notre comportement sur les tempêtes que nous traversons ou sur le Christ solidement présent dans nos vies ? Les disciples pouvaient choisir : prendre modèle sur le Seigneur pour rester comme Lui paisibles dans la tempête, ou prendre modèle sur les vagues pour s’agiter comme elles.

 

Bien sûr, il était plus évident de faire comme les flots, car le danger était réel. « Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà, elle se remplissait », dit l’évangéliste. La situation était périlleuse. Mais le Christ ne dit pas aux disciples : « vous aviez raison de vous inquiéter ». Il les interpelle plutôt : « N’avez-vous pas encore la foi ? » C’est dans les moments de tempête, au creux des vagues, que la foi se vérifie concrètement. Nous appuyer sur le Christ plutôt que nous laisser balloter par les événements de la vie, c’est bien cela, avoir la foi !


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La tempête apaisée invite alors à reconnaître, dans toute situation de déséquilibre et de chaos, un seul point fixe : le Christ. « Lui dormait sur le coussin à l’arrière ». Tout s’agite autour, mais Lui, il est là, solide, ferme, tranquille.

 

Tout le reste est agité. Le psaume 38 le reconnaît de l’ensemble de notre vie, en confessant : « L'homme ici-bas n'est qu'un souffle ;  il va, il vient, il n'est qu'une image. Rien qu'un souffle, tous ses tracas » (Ps 38,6-7). Oui, toute la vie humaine est un va et vient, comme les vagues sur le lac déchaîné. Dans ce va et vient, si nous cherchons en nous-mêmes notre solidité, nous sommes perdus.

 

Mais si c’est Dieu - le Roc, la Forteresse, le Rempart – qui est notre point fixe, alors nous tenons bon en toutes circonstances : toute l’instabilité de nos vies, ballottées de la bonne santé à la maladie, de la naissance au deuil, de la joie à la souffrance… tout trouve un point d’ancrage dans la solidité-même de Dieu.

 

Le Christ ne méprise donc aucune de nos tempêtes : il est d’ailleurs bien là, dans la barque agitée par le vent. Il y est présent de manière assurée. Mais il n’est pas simplement là pour arrêter chaque vent contraire dès qu’il se présente : il y est comme la solidité absolue, qui permet de traverser les tempêtes pour arriver sur l’autre rive, la rive de la paix intérieure.

 

Alors, si vous vivez personnellement un moment de trouble, soyez-en vraiment certain : le Seigneur est là avec vous. Il ne vous lâchera pas. Quand votre peine ou votre inquiétude risquerait de prendre toute la place en vous, regardez le Christ, qui dort à l’arrière. Il dort, non par indifférence, mais comme pour calmer vos inquiétudes. Il dort pour que la tempête présente ne soit pas la seule réalité à regarder : le but reste la grande traversée, jusqu’à l’autre rive où nous trouverons notre solidité dans la Béatitude éternelle.

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Dormant à l’arrière de la barque, le Christ ne joue donc pas avec les nerfs des disciples. Il ne s’amuse pas à leur faire peur. Mais il veut les aider à faire un choix, un choix fondamental, un choix qui orientera plus tard leur manière de témoigner de l’évangile et de le faire jusqu’au martyre. Pour cela, il faut que les disciples soient consolidés intérieurement : qu’ils n’aient pas seulement confiance en Jésus quand tout va bien, mais qu’ils soient capables de poser l’acte de foi qu’Il est là et qu’Il s’occupe de tout, même dans les tempêtes et au creux des vagues.

 

Pour l’instant, dans la barque, le cœur des disciples oscille encore, comme les vagues. Je pense que deux psaumes, qu’ils connaissent par cœur, entrent en concurrence dans leur esprit : Le psaume 43, qui interroge :  « Pourquoi dors-tu, Seigneur ? » (Ps 43,24). Et le psaume 120, qui confesse : « Non, il ne dort pas, ne sommeille pas, le gardien d'Israël » (Ps 120,4).

 

Les disciples inquiets balancent entre ces deux paroles, comme leur barque balance d’une vague à l’autre. Au lieu de calmer le jeu des vagues par leur solidité intérieure, les disciples l’amplifient encore par leur hésitation : Dieu dort-il ou veille-t-il ? Dieu dort-il ou veille-t-il ?...

 

Et vous, frères et sœurs, comment réagissez-vous dans l’inquiétude ? Votre foi vient-elle amplifier votre instabilité, en pensant que le Seigneur vous abandonne précisément quand vous avez le plus besoin de Lui ? Ou votre foi vient-elle réellement calmer vos angoisses, dans la certitude que le Seigneur veille sur tout ? Je vous invite à prendre le temps d’y réfléchir aujourd’hui ; et si besoin, à laisser la grâce du Très-Haut convertir en vous l’inquiétude en profonde confiance.

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La pandémie qui nous marque depuis plus d’un an interroge alors elle aussi notre foi. Bien évidemment, la prudence sanitaire est une nécessité ; nous avons tous la responsabilité d’y contribuer. Mais sans panique, sans entretenir des peurs, contrairement à ce que font des politiques et des médias, au point qu’on est en droit de s’interroger sur ce qui les motive vraiment, car la peur permet toujours une certaine domination sur les peuples.

 

Alors, à l’immense respect que l’on doit aux morts et aux malades frappés par cette pandémie comme à ceux qui les soignent, on a le devoir de joindre une honnête réflexion critique sur ce que l’on veut vivre en société. En ce jour d’élections, une telle réflexion est d’autant plus nécessaire.

 

Depuis les « pass sanitaires » qui permettront de participer à un concert, jusqu’aux « QR codes » à flasher pour entrer dans certains lieux, n’est-on pas en train de glisser vers une société de la surveillance totale ? À quand un « pass sanitaire » étendu à d’autres maladies, interdisant par exemple à ceux qui ont du cholestérol d’accéder à un fast food ? Ou pire, un « pass moral », qui vous donnerait accès à certains droits de la vie sociale à condition que vous prouviez que vous êtes favorable à l’avortement ou à la GPA ? De la science-fiction, pourrait-on croire… mais ce que nous vivons depuis plus d’un an, nous le prenions tous pour de la science-fiction voici à peine deux ans !

 

Il nous faut donc être vigilants et clairs : non à une société fondée sur le contrôle et sur la peur ! Non à la promesse de retour à la vie normale qui est en fait « une nouvelle normalisation de la vie », comme le dit le philosophe Pierre Dulau… le bien nommé. Face au déconfinement progressif dont nous nous réjouissons tous, ce philosophe prévient : « Les mesures de libération annoncées ne visent pas à ce que nous cessions de nous protéger les uns des autres, mais au contraire, à ce que nous ne cessions plus jamais de nous protéger1 » Car toutes ces mesures s’appuient sur la peur de la contamination, et finalement sur la peur de l’autre. Or, une société fondée sur la peur, c’est forcément une société totalitaire. On ne peut pas regarder le voisin ou le lointain comme une potentielle menace permanente. Et ce que l’on avait déjà perçu face à la menace terroriste se vérifie de manière  plus flagrante encore avec la menace sanitaire : il est tentant de renoncer à la liberté au nom de la sécurité. C’est ce qu’ont toujours prôné les plus grands fascistes de l’histoire.

 

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? », demande alors le Christ à ses disciples. Bien sûr, ils auraient pu rétorquer : « nous sommes craintifs parce qu’il y a la tempête, un vent fort, des vagues qui risquent de faire chavirer la barque. » Mais en posant la question, le Christ n’attend pas une liste des causes de leurs peurs. Son questionnement vise à leur faire découvrir quelque chose de plus grand que la peur : ne pas se laisser dominer par l’inquiétude qui recroqueville, pour vouloir quelque chose de plus beau.

 

En ce temps de pandémie, notre mission de chrétiens est donc bien de contribuer à freiner encore l’avancée du virus ; mais notre mission, c’est aussi d’aider le monde à ne pas se laisser dominer par la peur ; et quand il y a conflit entre les deux – comme, j’estime que c’est le cas avec le « pass sanitaire » -, je crois que nous devons privilégier le refus d’une société fondée sur la peur.

 

Car le Christ n’appelle pas à tout verrouiller par sécurité. Il appelle à oser prendre un grand risque, qui s’appelle la vie ! Eh oui, « vivre c’est risquer », comme le disait Kipling. Aimer, c’est risquer. Se donner, c’est risquer. Rencontrer l’autre, c’est risquer. L’évangile est risqué. Si nous fondons toute nos relations humaines sur la seule sécurité, nous allons invalider l’évangile ! Gardons alors les gestes barrières qui sont du bon sens, mais refusons une société-barrière. A nous de traduire cela, personnellement et tous ensemble, dans un désir de rendre le monde plus beau et avec la foi qui peut transporter les montagnes !

 

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Dans une autre version de la tempête apaisée, rapportée par saint Matthieu, le Christ dit à ses disciples : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » (Mt 14,27). Je vous invite à bien garder à l’esprit cet appel du Seigneur. Je vous ai proposé pour cela 3 points d’attention, que je permets de résumer :

  • 1er point d’attention : Décider au fond du coeur sur quoi nous voulons nous modeler : le monde et ses agitations, ou le Christ et sa solidité ?
  •  2e point d’attention : choisir une fois pour toutes d’avoir vraiment la foi, en refusant d’osciller entre « Dieu est là » et « Dieu dort », pour affirmer en toutes circonstances que le Seigneur s’occupe de tout.
  • 3e point d’attention : vivre dans la foi ce que la pandémie nous fait traverser, pour refuser une société qui n’a plus pour seul but que de se protéger des autres.

 

Je vous invite à présenter ces trois enjeux dans cette Eucharistie, en laissant le Christ nous dire, à chaque battement de nos cœurs, et surtout quand nos vies semblent chavirer : « confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ». Amen.

1 Pierre Dulau, « Vers une société de la défiance », in Famille chrétienne n° 2264 du 5 juin 2021.