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Sunday 25 January - 3e dimanche du temps ordinaire
Un sacré coup de filet !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireSi la célébration du dimanche, en tant que mémorial de la résurrection du Christ, l’emporte sur toute autre célébration en dehors des solennités, permettez que je mentionne tout de même aujourd’hui la fête de la conversion de saint Paul, célébrée chaque année le 25 janvier.
Un événement bouleversant pour ce juif zélé ; un événement renversant, dans tous les sens du terme, si bien qu’on a souvent représenté Saül tombant lourdement de cheval. En fait, le texte biblique des Actes des apôtres ne dit nulle part qu’il était à cheval ; mais pour signifier le renversement complet de son existence, de sa manière de penser, de ses priorités, la tradition le représente tombant d’un grand canasson.
La hauteur de la chute, sa violence, le vertige ressenti et la mémoire ainsi laissée dans l’esprit et sans doute aussi dans le corps de Saül nous interrogent alors sur nos propres chutes de cheval, spirituellement parlant bien sûr. Sommes-nous capables de faire mémoire de ces événements, qui nous ont renversés pour nous conduire au Seigneur ? Et s’il n’en a pas eu, sommes-nous certains d’avoir vraiment choisi le Christ ? Et s’il en faut encore, sommes-nous disposés aujourd’hui à nous laisser renverser ?
Clairement, ce dimanche nous appelle à la conversion. D’ailleurs, chacune des lectures de la Parole de Dieu nous propose une manière différente de nous laisser renverser par le Seigneur. Une conversion en changeant nos conduites mauvaises ; une conversion en prenant conscience de notre réalité existentielle ; et une conversion en laissant nos filets sur le rivage pour suivre le Christ, qui nous invite à mettre nos pas dans les siens.
La première conversion est illustrée par ce passage du livre de Jonas, où cet homme parcourt une grande ville hostile pour annoncer sa destruction prochaine ; un avertissement efficace, puisque le peuple se détourne de sa conduite mauvaise. Voilà une première manière de se convertir : entendre les avertissements, les dangers d’une vie qui choisit le mal ; et se détourner alors, prendre une autre direction, changer vraiment tout ce qui n’est pas selon la volonté de Dieu. Et c’est possible ! Les habitants de Ninive y sont parvenus ! Nos conduites mauvaises ne sont pas une fatalité, d’autant que nous avons un avantage de taille sur les Ninivites : eux n’avaient ni l’évangile, ni l’Eucharistie, ni la Vierge Marie pour les aider à se convertir ! Nous, nous les avons !
Nous sommes ici dans un sanctuaire dont la finalité première est d’offrir toutes les grâces nécessares pour détourner les pèlerins de leurs conduites mauvaises : « j’ai demandé le Laus à mon divin Fils pour la conversion des pécheurs », annonce la Belle Dame. Benoîte est alors missionnée par le Ciel, comme Jonas, pour dénoncer les péchés ; elle obéira souvent en tremblant, et même parfois elle n’obéira pas, disant joliment que la Vierge Marie lui demande d’un air si doux qu’elle n’a pas toujours l’impression qu’elle le veuille vraiment. Mais lorsqu’elle comprend que ce détournement des conduites pécheresses est fortement voulu par notre Mère du Ciel, alors Benoîte trouve tout le courage et le temps nécessaires pour appeler les pèlerins à la lucidité sur eux-mêmes et à la conversion de leur agir mauvais.
Après cette première lecture du livre de Jonas, le psaume nous a fait désirer une telle lucidité : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ». Puis, c’est par une approche existentielle que saint Paul a relayé, dans la 2e lecture, cette nécessité de la conversion, qu’il a vécue si profondément sur le chemin de Damas.
Une approche qui nous fait méditer la réalité de nos courtes années sur cette terre. « Le temps est limité », dit l’Apôtre ; « il passe, ce monde tel que nous le voyons ». Oui, il passe ! Je passe ! Nous passons ! Vous passez ! On peut faire toute la conjugaison du verbe pour prendre vraiment conscience que notre vie sur terre est finalement bien peu de choses dans sa durée comme dans ses préoccupations.
Le message du Laus insistera beaucoup sur cette prise de conscience essentielle. Invitant à la patience et à contempler le Ciel pour prendre la mesure des réalités terrestres, la Vierge Marie et les anges vont conduire les pèlerins du Laus à l’évidence d’un profond changement de regard sur leur vie : conversion de l’intelligence d’abord, sur la réalité de notre existence humaine limitée ; conversion de foi, surtout, en reconnaissant le Dieu éternel comme la seule solidité qui fonde la fragilité de nos vies si éphémères sur cette terre.
Le choix de la solidité, c’est ce que l’évangile nous rapporte aussi, par une troisième approche de la conversion. Non plus l’appel à se détourner des conduites mauvaises comme à Ninive, non plus l’invitation à prendre conscience du temps qui passe comme chez saint Paul, mais un appel à suivre le Christ en lâchant nos filets. Et c’est souvent là notre plus grande réticence : nous détourner du mal, nous le souhaitons volontiers, même sans toujours y parvenir vraiment. Prendre conscience du temps qui passe, c’est un effort de lucidité accessible à tous. Mais lâcher nos filets, les laisser en plan pour suivre le Christ, c’est une autre paire de manches !
Lâcher les filets de ce qui rend notre vie confortable, maîtrisable, agréable. Lâcher les filets de ce qui ne porte pas de fruit et qui nous endort dans une existence qui n’est pas franchement contre l’évangile, mais qui n’est pas non plus dans la folie de la croix. Filets de l’attachement à notre télévision, à notre rancune à l’égard de quelqu’un qui nous a blessé ; filets d’une gestion sérieuse mais pas généreuse de nos comptes bancaires ; filets d’un service dans lequel nous apparaissons très altruiste alors que nous en profitons pour en tirer de la gloire ; filets de notre temps jalousement gardé pour ce qui nous fait plaisir et parcimonieusement donné à ceux qui nous dérangent.
On peut allonger encore la liste de ces filets. Ici, au Laus, ils seront fréquemment identifiés par le Ciel comme des filets de relations humaines malsaines, d’attachement aux gains, de vie de prière nonchalante, de prétentions dérisoires liées à quelques titres de gloires humaines. Benoîte devra les dénoncer, tous ces filets, d’abord en elle-même puis chez les prêtres servant le Laus, enfin chez les pèlerins visitant ce lieu.
Des filets, même en montagne, alors qu’il n’y avait pas encore le lac de Serre-Ponçon ! Mais au bord d’un autre lac, pour Simon et André, c’étaient les filets de leurs gagne-pain qu’il fallait laisser en plan ; filets d’une vie certainement honnête, mais pas débordante comme le Seigneur nous y appelle. Pour Jacques et Jean, les fils de Zébédée, c’étaient les filets et la barque de leur père ; une relation à leurs parents qu’ils allaient devoir convertir pour suivre vraiment le Christ.
Et nous, quels filets nous empêchent peut-être encore d’être de vrais chrétiens ? Quels filets, peut-être honnêtement entretenus aux yeux du monde, mais qui bloquent la dynamique de l’évangile ? Sans doute ne faut-il pas attendre la vingtaine de jours qui nous sépare de l’entrée en Carême : c’est dès maintenant qu’il s’agit de repérer ces filets bien soigneusement tissés, bien utiles à notre vie présente, mais que le Seigneur nous demande de lâcher pour le suivre vraiment.
Pourtant, ce que Simon, André, Jacques, Jean et d’autres ensuite ne savaient pas encore, c’est qu’ils trouveraient bien plus beau, bien plus solide, bien plus nécessaire que leurs petits filets de pêche. Jésus leur avaient annoncé : « je ferai de vous des pêcheurs d’hommes », mais qu’avaient-ils compris alors d’une telle mission, d’une telle promesse ? Il leur faudra vivre avec le Christ pour le comprendre et pour s’en réjouir. Il leur faudra rester avec le Seigneur, pour conformer leur vie à sa Parole ; et ainsi, ils comprendront que les filets qu’ils ont laissés au sol ou dans leur barque, objets destinés à emprisonner des poissons, vont devenir des filets qui emportent par la grâce jusqu’en la vie éternelle.
« Convertissez-vous » : conduites mauvaises, temps qui passe, filets qu’il faut abandonner, évangile qu’il s’agit de vivre dans la folie généreuse qu’est la dynamique divine. La conversion, c’est le retournement d’un faux-soi vers la source de la vie : passage du personnage à la personne, de l’individu à la communion, des petits intérêts au don de soi, des contours de l’existence à son centre essentiel, des contrariétés du présent au désir d’éternité. La conversion comme un art de vivre, comme un consentement à la joie véritable, ainsi que le disait saint Augustin : "Cette joie connue de vos serviteurs qui vous aiment, c'est vous Seigneur. Et voilà la vie heureuse : se réjouir en vous, de vous et pour vous ; la voilà, il n'en est pas d'autre. La placer ailleurs, c'est poursuivre une autre joie que la véritable. "(Confessions X, 22, 32.)