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Sunday 28 September - Anniversaire de l’apparition de Pindreau (29 septembre 1664)
Voulez-vous du père des cieux ?
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire« Un père avait deux fils ». Même sans avoir une très grande connaissance des textes bibliques, cette seule introduction – « un père avait deux fils » - fait penser à une autre parabole, celle du Fils prodigue : l’histoire d’un jeune homme, parti dilapider l’héritage de son père et qui revient ensuite pour être accueilli à bras ouverts. Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas dans l’évangile de saint Luc, qui est le seul à rapporter cette parable du fils prodigue ; nous sommes ce dimanche chez saint Mathieu, et l’introduction « un père avait deux fils » ouvre à une autre parabole.
Mais pourquoi ne pas voir dans cette introduction commune aux deux évangélistes des ponts à pouvoir faire entre les deux histoires ? Les mettre en parallèle fait alors sauter aux yeux une réalité importante, qui donne tout son sens aux deux paraboles, chez saint Luc comme chez saint Mathieu, et qui peut nous conduire très loin dans les profondeurs de notre être.
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Car dans les deux cas, les notions de paternité et de filiation sont employées à dessein. D’abord, dans la parabole du fils prodigue, celui qui s’était égaré revient en confessant : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi ». Même s’il reconnaît qu’il n’est plus digne d’être appelé son fils, Ses premiers mots sont pour reconnaître que ce père qu’il avait pour ainsi dire tué en lui demandant déjà l’héritage, il le retrouve par son retour à la maison. Le deuxième fils, l’aîné qui était aux champs, refuse au contraire la relation de paternité-filiation, puisqu’il n’emploie jamais le mot de « père » et qu’il parle de son propre frère en disant : « ton fils que voilà ».
Dans la parabole présentée par saint Mathieu, on retrouve le même fonctionnement. D’abord, le père appelle son premier fils « mon enfant » : il se situe tout de suite dans une relation de paternité-filiation. Ce fils refuse d’obéir, mais il se repend ensuite pour se rendre au travail. L’autre fils, qui paraît si bien de prime abord en répondant « oui » tout de suite, ne se situe en fait pas dans une telle relation de filiation, puisqu’il dit : « oui, Seigneur ». Il répond à un supérieur, non à son père.
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Bref, il est aisé de le comprendre : à travers ces paraboles, le Christ ne cherche pas à nous montrer des personnes parfaites. Il nous présente des enfants, dont le salut ne réside pas dans leur perfection morale, mais dans leur acceptation de la filiation, qui nous relie tous de manière essentielle à notre Père des cieux.
Voilà pourquoi Jésus ose cette parole explosive, qui aurait fait bondir bon nombre d’entre nous si un prêtre osait prêcher par ces mêmes mots : « amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu ». Jésus est ici en train de parler aux chefs des prêtres, nous a dit saint Mathieu. Et il annonce à cette sorte de "conférence des évêques de l’époque", que les voleurs et les prostituées les précèdent au Ciel ! Évidemment, ça ne passe pas très bien !
Non pas, bien sûr, que Jésus fasse l’éloge de tels pécheurs ; ce n’est pas pour leurs actes mauvais qu’ils obtiendront la préséance, mais pour avoir compris que même de tels actes répréhensibles ne les privaient pas de l’amour de Dieu ! Et qu’un seul retournement de leur part les réintègrerait pleinement dans la relation de filiation.
Les chefs des prêtres pourraient, au contraire, avoir tendance à croire qu’ils n’ont pas besoin d’entretenir cette relation au Père, puisqu’ils sont fidèles aux règles et aux grandes valeurs auxquelles ils croient scrupuleusement et sans doute généreusement. Mais leur foi est à côté de la plaque : le Seigneur veut avec nous une relation vivante, une relation aimante, et non pas une attitude de peur et ou de comptes à rendre.
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Une relation aimante et non une attitude de peur : voilà que l’année jubilaire que nous vivons au sanctuaire depuis le 1er mai nous invite justement à nous transporter à l’époque à laquelle eurent lieu les premières apparitions du Laus : voici 350 ans, le jansénisme s’était fortement implanté dans la théologie comme dans la pratique des gens les plus simples. L’évêque d’Ypres, Cornelius Jansen, décédé 9 ans avant la naissance de Benoîte, avait développé des thèses prétendant que le Christ n’était pas mort pour tous, que la grâce n’était pas destinée à tous et que Dieu était surtout à craindre comme un maître intransigeant.
Il faudra les interventions claires des papes condamnant ces thèses, mais aussi à l’époque les apparitions du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial, ou l’émergence de saints comme Jean Eudes, Louis-Marie Grignon de Montfort ou Vincent-de-Paul, pour que l’amour brûlant du Seigneur pour chacun de ses enfants nous soit vivement rappelé. Il faudra aussi le sanctuaire du Laus, voulu par la Vierge Marie, pour que cet amour que le Seigneur nous porte inconditionnellement conduise à de profondes conversions.
Car on ne se convertit ni par peur, ni par conviction intellectuelle : on se convertit en se laissant surprendre par l’amour que le Seigneur a pour nous. On se convertit en se laissant fondre dans cet amour, éblouir par cette miséricorde, réveiller par le Père qui fait œuvre de re-création et de résurrection dès que nous faisons le moindre pas vers Lui.
Alors, pèlerins en ce lieu, nous avons l’opportunité particulière aujourd’hui de nous interroger. Peut-être nous sentons-nous un peu comme ces publicains et ces prostituées, qui ne sont pas sans péché mais qui acceptent d’ouvrir leurs bras au Père, Lui qui les a ouverts le premier.
Comme eux, nous pouvons reconnaître que nous ne sommes pas condamnés à porter à vie sur nos épaules toutes nos erreurs du passé. La puissance de résurrection du Seigneur nous appelle aussi à ne pas nous auto-punir, enfermés dans la culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur.
Les publicains et les prostitués qui écoutent la parole de Jean-Baptiste – c’est-à-dire l’appel à la conversion - se redécouvrent ainsi fils et filles d’un Père qui aime infiniment et qui veut anéantir par sa miséricorde le mauvais passé, même le plus lourd.
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Mais peut-être nous reconnaissons-nous davantage dans les chefs des prêtres, qui sont fidèles à la loi du Seigneur, qui ont une foi solide et de grandes valeurs morales, mais qui n’ont pas encore vraiment accueilli Dieu comme un Père. Ils le voient comme un maître, un contrôleur, un superviseur de vie.
Ah, s’ils découvraient sa miséricorde de Père, ils trouveraient en même temps la liberté et la joie profonde ! C’est peut-être cette conversion-là dont vous avez besoin, pèlerins du Laus. Il s’agit d’abord d’une conversion de nos regards, comme Benoîte Rencurel sut le faire ici auprès de deux prêtres qui débattaient sur l’amour de Dieu. Les Manuscrits du Laus rapportent alors : « l’un disait que Dieu était trop bon, l’autre qu’il ne l’était pas assez. Benoîte s’y trouvant, leur dit que Dieu est un Dieu d’amour, de bonté et de miséricorde » (CA G. p. 174 VII [220]).
Il n’y a que cela à savoir pour être disciples du Christ : Dieu est amour, bonté et miséricorde. Tout le reste en découle. Toute notre vie y prend sens, vigueur et joie profonde. Alors, en ce jour où nous fêtons l’anniversaire de l’apparition de Pindreau, quand la Vierge Marie dit à Benoîte : « suivez le chemin du Laus », accueillons tous cette bonne nouvelle : le chemin du Laus, en tant que chemin d’Evangile, est une route de miséricorde, de libération, de douceur et de bonté. « Suivez le chemin du Laus ! » Comme Benoîte, nous ne pouvons qu’y courir : courir vers la miséricorde, courir dans les bras du Père et nous redécouvrir fils et filles infiniment aimés !
Amen.