Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 13 July - 60e anniversaire de la fondation du mouvement des Focolari
Voici que le semeur est sorti pour semer
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
« Voici que le semeur est sorti pour semer » : C’est ainsi que commence la grande parabole que le Jésus vient de nous offrir et de commenter lui-même.
« Voici que le semeur est sorti pour semer » : on dirait presque un moyen mnémotechnique, comme pour retenir par cœur cette simple phrase, la garder en tête tout au long de ce jour, tout au long de cette semaine : « voici que le semeur est sorti pour semer ».
Sur cette seule parole, nous pourrions longuement nous arrêter, davantage peut-être que sur la suite de la parabole, que Jésus a déjà expliquée lui-même. Commenter son commentaire, ce serait prétendre qu’il n’a pas été suffisamment clair… or, nous avons tous forcément bien compris les images du grain, des épines, du chemin rocailleux ou des oiseaux qui viennent picorer la semence.
Un saint pape de la fin du 6e siècle, Grégoire le grand, disait d’ailleurs à propos de cette parabole : « ce que la vérité elle-même a expliqué, la fragilité humaine ne peut avoir la présomption de le discuter ». Ne discutons donc pas ce que le Christ, qui est la vérité en personne, a déjà très bien détaillé.
Mais on peut remarquer que, si Jésus donne l’explication de chaque détail de la parabole, il n’y a qu’une phrase qu’il ne commente pas précisément, c’est la première : « voici que le semeur est sorti pour semer ». Il dit bien que la semence, c’est « la parole du royaume », mais il ne dit pas quand le semeur est sorti, qui est ce semeur, ni surtout pourquoi il sème si imprudemment sur toutes sortes de terrains au lieu de concentrer son travail sur la bonne terre.
* * *
Ainsi, Jésus semble nous laisser découvrir par nous-mêmes la générosité de Dieu, la surabondance de son acte de semer. Notre foi ne doit donc pas nous conduire à l’inquiétude pour savoir jusqu’à quand Dieu va nous soutenir dans la vie ou jusqu’à quel point il supportera nos infidélités, nos lenteurs et nos paradoxes.
S’inquiéter de cela, c’est prendre la foi par le mauvais côté : « voici que le semeur est sorti pour semer ». Ce semeur ne se lasse pas de son travail, et jamais la parabole ne prétend que, devant les ronces, la rocaille ou les oiseaux, le semeur va renoncer à sa mission. La foi n’est jamais limitée du côté de Dieu, qui donne toujours avec surabondance ; mais elle peut être limitée de notre côté par nos peurs, nos hésitations, nos soucis des richesses, nos complicités avec le mal qui rendent parfois infertile la parole du royaume semée en nous.
« Voici que le semeur est sorti pour semer » : la surabondance de Dieu est incontestable, même si elle reste pour une grande part insaisissable à nos esprits limités. Insaisissable aussi est sa méthode, qui ne vise pas l’efficacité mais la fécondité. Dans sa manière de semer, le Seigneur ne calcule pas la rentabilité, mais il donne sans se lasser pour qu’un jour peut-être, sur une terre infertile même un seul épi puisse éclore. Alors, ce sera pour lui une victoire aussi belle et même peut-être plus grande que la fécondité d’un grand champ bien disposé.
Voilà comment le Seigneur calcule, si l’on peut dire, car c’est un calcul sans calcul. C’est une attitude de folie, comme l’est toujours l’attitude généreuse de Dieu, profondément déraisonnable. Si Dieu avait eu un conseiller humain, ce dernier l’aurait en permanence invité à être moins généreux, plus raisonnable, moins fou dans ses choix de continuer à semer sur des terrains qui ne rapportent rien. Moins fou, aussi, dans ses méthodes pour semer : car le Seigneur est allé jusqu’à la folie de quitter sa béatitude éternelle pour venir semer sur la terre.
* * *
« Voici que le semeur est sorti pour semer ». Sorti : ce verbe a un sens profond, quand on le lit à la lumière de toute la foi chrétienne ; c’est le verbe qui dit l’action de la 2e personne de la Sainte Trinité qui vient sur terre, ce mystère que nous célébrons à Noël : l’incarnation.
Le Fils est « sorti » du sein du Père, où il vivait dans l’unité trinitaire de l’amour de l’Esprit ; il est sorti pour semer. Il est venu parmi nous, il a semé sa parole, mais surtout il a semé sa vie, il s’est semé lui-même.
Déjà, il avait annoncé à ses disciples le cœur de sa mission : « si le grain de blé ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits ». Et voilà que Jésus-Christ, grain de blé pur et divin, est mort sur la croix. En ressuscitant le 3e jour, il a porté beaucoup de fruit : il a vaincu la mort, il a terrassé le mal, il a libéré nos vies !
Il s’est semé lui-même par le don de la croix, comme il continue à se semer lui-même de mille manières et particulièrement dans l’Eucharistie. Nous pourrions d’ailleurs nous répéter cette seule parole tout au long de la messe, et particulièrement au moment d’approcher pour la communion : « voici que le semeur est sorti pour semer ». Nous nous approchons alors du semeur pour qu’il répande en nous le grain, et nous lui disons notre totale disponibilité.
« Voici que le semeur est sorti pour semer ». Jésus répand sa présence, généreusement, déraisonnablement car il y a toujours « de la perte », si l’on peut dire. Mais peu lui importe : il donne, il sème largement, non dans l’efficacité mais dans l’espérance d’une fécondité.
* * *
Alors, frères et sœurs, nous qui sommes réunis ici pour recevoir le grain que répand encore aujourd’hui en nous le semeur, nous percevons comme une évidence que le mystère eucharistique nous appelle non seulement à devenir une bonne terre pour recevoir la semence, mais aussi à devenir à notre tour ce grain de blé répandu généreusement et qui s’ouvre pour donner du fruit.
Nous percevons que, même s’il risque d’y avoir de la perte, notre vie doit devenir un acte de sortie, pour aller semer courageusement dans tous les champs de la vie du monde.
Vous, frères et sœurs focolari, vous qu’on appelle parfois « les semeurs d’unité », l’anniversaire des 60 ans de la fondation de votre mouvement peut être un moment très opportun pour renouveler votre désir de semer largement. Semeurs d’unité et de fraternité, vous faites l’expérience que toutes les semences ne portent pas nécessairement de fruits. En 60 ans, il y a eu quantité de belles avancées par et dans votre mouvement ; il y a certainement aussi eu des freins et des échecs dans cette quête d’unité et de fraternité mondiale.
La mise en pratique d’un nouvel art d’aimer, fondé sur un réel souci de fraternité généreuse, est un travail de semence jamais achevé, toujours à recommencer en entretenant la même générosité, quel que soit le sol sur lequel les semences pourront tomber.
Unis à celui qui s’est fait le grain tombant en terre pour nous donner la vie, nous pouvons reconnaître non seulement qu’il y a parfois de la perte ou des échecs quand la semence tombe sur une terre qui ne la reçoit pas ; mais nous pouvons, plus profondément encore, reconnaître qu’il n’y a jamais de perte totale, jamais d’échec définitif. Le Christ, grain de blé tombé en terre, a fait jaillir du sol infécond de la mort la sublime fécondité éternelle. Alors, unis à lui, nous pouvons aussi reconnaître que sa puissance de vie est toujours à l’œuvre, même dans nos échecs, même dans nos morts.
La fondatrice de votre mouvement, Chiara Lubich, disait ainsi : « Dieu veut que, pendant notre vie, nous connaissions une certaine mort – ou même plusieurs – mais cela pour porter du fruit, en accomplissant des actions dignes de lui et non de nous-mêmes, simples mortels » (Conversation du 25 février 1988).
Je ne sais pas si Chiara Lubich avait eu connaissance de l’histoire du Laus, j’en doute même. Mais la vie de Benoîte Rencurel a été un apprentissage permanent à savoir mourir généreusement pour semer largement. La servante du Laus a appris, au long des 54 années d’apparitions, qu’un acte de semer qui reste notre propre affaire peut parfois conduire à certains succès, mais ne peut jamais vraiment porter de fruit. Le succès et la fécondité ne doivent jamais être confondus. Le succès d’une église pleine ou d’un rassemblement de Mariapoli regroupant plusieurs centaines de personnes ne doit pas prendre le pas sur la fécondité de ce qui se passe dans chacun des cœurs et dans chacune des relations interpersonnelles. Le succès est bon pour l’orgueil de quelques-uns ; la fécondité est bonne pour la croissance de chacun et de tous.
L’acte de semer par lequel le semeur se désapproprie la semence permet au Seigneur d’y insuffler vraiment sa puissance de fécondité à Lui. Il aura fallu 54 années à Benoîte pour tenter de vivre au mieux cette désappropriation non seulement de ce qu’elle possédait – à commencer par la chèvre qui lui était si chère – mais aussi pour se désapproprier d’elle-même, de ses succès comme de ses échecs, de ses décisions comme de ses relations affectives, pour qu’elle puisse vraiment faire confiance au semeur qui est sorti pour semer.
* * *
En cette année de jubilé au sanctuaire du Laus, que notre démarche jubilaire nous conduise tous à laisser le semeur sortir pour semer, « en nous » mais aussi « par nous ». Et alors, nous pourrons nous reconnaître les bénéficiaires de cette béatitude que Jésus a présentée et qui est peut-être passée un peu inaperçue au cœur de ce long évangile du semeur. En plein dans la transition entre la parabole et son explication, il nous a dit : « heureux vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ». Alors, ouvrons nos yeux et nos oreilles à la présence du semeur qui est sorti pour semer. Nous y récolterons la joie profonde : « heureux » !