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Sunday 4 February - 5ème dimanche du Temps Ordinaire
Voici que je fais toutes choses nouvelles !
Par le père Ludovic Frère, recteurNous poursuivons la lecture du premier chapitre de saint Marc, commencé au milieu du mois de janvier. Dimanche dernier, nous avons suivi Jésus à la synagogue de Capharnaüm. Aujourd’hui, il n’est plus à la synagogue mais à la maison. C’est peut-être évident, mais toujours utile à rappeler : Jésus n’habite pas seulement les lieux de culte ; il vient à domicile. Ce qu’il fait auprès de Simon et André c’est donc aussi ce qu’il vient vivre dans chacune de nos maisons si nous lui ouvrons la porte.
À la maison, on assiste alors à deux événements : la guérison de la belle-mère de Pierre et les nombreux malades qu’on apporte jusqu’à l’entrée du domicile pour que Jésus les guérisse. Le message est clair : si le Seigneur vient jusque dans nos maisons, c’est pour prendre en compte les douleurs et les épreuves de nos vies. Aucune ne lui est étrangère.
Avec un double mouvement : Jésus vient à domicile auprès des fiévreux, mais il nous laisse aussi amener jusqu’à Lui ceux qui ont besoin d’être guéris. C’est bien notre mission à chaque Eucharistie : avant d’emporter Jésus en nous jusqu’à notre maison, nous Lui apportons à la messe tous les espoirs et toutes les peines de nos familles et de la grande famille humaine. Nous les déposons dans son divin Cœur. Nous sommes les porte-paroles de tout ce qui se vit dans les maisons du monde. Alors, au lieu de regretter que tout le monde ne vienne pas à la messe, assumons notre mission de les y représenter tous.
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Mais l’épisode d’aujourd’hui ne s’arrête pas à ces deux événements de guérison. Il y a un soir, il y a un matin… notez ici l’écho probable au récit de la création : « le soir venu » puis « bien avant l’aube ». Ne faut-il alors pas comprendre toutes les guérisons de cette journée comme un écho au récit de la Genèse ? Une véritable « nouvelle création » inaugurée dans la personne de Jésus-Christ !
Par cette dynamique de recréation, nous ne voyons plus simplement en Jésus un puissant guérisseur. Il est le Recréateur. Il vient tout recréer en nous. C’est pourquoi nous ne sommes jamais perdus, jamais prisonniers du passé, jamais irrémédiablement enfermés dans des faiblesses, des péchés d’habitude ou des traits de caractère insupportables. Sans cesse, nous sommes recréés : chaque matin, à chaque Eucharistie bien sûr, à chaque confession évidemment. Le Seigneur vient tout recréer ! Sans se lasser car l’amour véritable ne peut se lasser d’aimer et de relever.
Au chapitre 21 du livre de l’Apocalypse, nous lisons cette parole magnifique de Celui qui siège sur le Trône, l’Agneau vainqueur : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » Cette révélation grandiose vient rejoindre notre quotidien. Alors, la question peut-être utile à se poser : Jésus recréateur, qu’a-t-il donc recréé dans votre vie au cours de cette semaine ? Relisez donc la semaine écoulée en y cherchant les traces du Dieu recréateur.
Ou encore : aujourd’hui, qu’avez-vous besoin que le Seigneur vienne recréer ? Ici, ne nous contentons pas de l’invoquer pour notre bonne santé seulement. Demandons-Lui de mettre en œuvre sa puissance de recréation dans nos vies, dans nos familles, dans notre Église et notre monde.
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Mais cette œuvre de recréation, nous n’en sommes ni les auteurs ni les propriétaires. Entrer dans la dynamique de recréation, c’est faire donc crédit au Seigneur qu’il mène bien toute chose selon son projet à Lui, non pas selon nos vues à nous.
Regardons alors comment notre Seigneur agit au lendemain de cette intense journée de guérisons. Il se rend « dans un endroit désert » pour prier. Déjà sans doute, il vit ce qui culminera dans l’événement de la croix que le prophète Isaïe annonçait ainsi : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé » (Is 53,4). Les douleurs dont il a libéré les malades, Jésus les porte sur lui. Alors il prie son Père dans l’Esprit. Dès les premiers jours de son ministère public, en quelque sorte il porte déjà sa croix pour nous libérer du mal.
Ce mystère, notre Sauveur le vit pour l’instant de manière cachée ; tous les autres sont restés à la ville, dans l’enthousiasme des guérisons. Alors, forcément, ils le recherchent ; ils veulent que ça continue : il y a encore tellement de malades à guérir ! Jésus le sait bien. Mais il sait aussi la nécessité d’aller annoncer partout la Bonne Nouvelle. Le Christ est alors confronté, me semble-t-il, à la possibilité qui est la sienne de pouvoir guérir davantage de monde à Capharnaüm ou de partir en d’autres lieux.
Et c’est cela que l’Esprit lui inspire : « Allons ailleurs ». C’est-à-dire que sa mission ne consiste pas pour l’instant à éradiquer toute maladie mais à annoncer l’Évangile de la recréation dont les guérisons sont le signe le plus visible. J’imagine que ça a été un crève-cœur pour Jésus. Mais il s’est sans doute dit ce qu’il confessera plus tard devant sa mère : « mon heure n’est pas encore venue » (Jn 2,4). Mystère du temps de Dieu, mystère de l’œuvre de recréation qui se poursuit jusqu’à son achèvement définitif.
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Qu’est-ce que tout cela vient nous dire, à nous aujourd’hui ? D’abord, me semble-t-il, que la guérison ne peut être la recherche ultime du sens de la vie. Nous sommes à une époque où la bonne santé est considérée comme un droit et la maladie une injustice. Et nous voilà devant un Jésus qui guérit certains malades mais qui va laisser d’autres dans leur maladie pour aller « dans les villages voisins » annoncer l’Évangile.
On pourrait dire qu’il rajoute de l’injustice à l’injustice : pourquoi certains et pas d’autres ? De même ici au Laus, des pèlerins sont guéris en répondant à l’appel de la Sainte Vierge de s’appliquer l’huile de la lampe. Mais tous ne guérissent pas. Pourquoi certains et pas d’autres ?
Là, il nous faut faire un saut dans la foi : de l’espoir d’un guérisseur à l’espérance d’un Sauveur. Une interpellation vive pour chacun de nous : prions-nous le Seigneur pour qu’il nous facilite la vie et nous évite trop de souffrances ? Ou prions-nous pour nous laisser saisir par sa puissance de Recréateur, puissance qui passe par la croix, c’est-à-dire par le renoncement à soi ? Remarquez que ce n’est pas tout-à-fait l’un ou l’autre : à Capharnaüm, Jésus n’a pas tourné le dos aux souffrances physiques. Toute la journée, il a accueilli et guéri les malades. Mais il n’est pas venu faire que cela.
Nous voici donc interrogés sur ce que nous sommes venus vivre ici ce matin. Êtes-vous là pour que la semaine à venir se passe bien ? Êtes-vous là pour que le Seigneur protège vos proches ? Ou êtes-vous là pour vous laisser saisir par l’œuvre de recréation et la répandre autour de vous au cours de la semaine ?
En fait, c’est une question de conception de Dieu et de la foi : d’un côté, on le prie en espérant obtenir son soutien, comme le faisaient les païens cherchant à amadouer leur dieu ou à apaiser sa colère. D’un autre côté, on lui offre le temps d’une messe ou d’une prière pour nous laisser saisir par sa recréation afin qu’elle se répande sur toute la vie. Une recréation qui est nécessairement bénédiction sur nous, sur nos proches et sur le monde ; mais une recréation qui passe par le mystère du Christ, le mystère de la croix qu’il ne nous est pas possible de contourner, sauf à revenir à cette conception païenne d’un dieu qu’on invoque et qu’on espère séduire.
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Au final, le Seigneur nous confie aujourd’hui une triple responsabilité, une triple mission exaltante :
- d’abord, accueillir Jésus chez nous et le laisser apaiser toutes nos fièvres, quelles qu’elles soient.
- Ensuite, la mission de prier pour toutes les souffrances du monde en les portant jusqu’au Christ comme on Lui amène les malades à la porte de la maison.
- Enfin, la responsabilité de ne pas en rester à un dieu guérisseur ou protecteur pour entrer dans la dynamique de recréation qui passe par la croix et qui, progressivement, restaure toute chose jusqu’à l’accomplissement total dans l’éternité.
« Voici que je fais toutes choses nouvelles », nous dit le Recréateur. Ouvrons donc nos yeux pour les voir, ces choses nouvelles ; ouvrons nos cœurs et nos âmes pour y participer, à cette œuvre de recréation ! Amen.