Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 6 April - 5e dimanche de Carême
Viens dehors !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireFrères et sœurs, imaginez un peu : vous mourez soudainement. On vous enterre, et après trois jours, un ami arrive sur votre tombe et crie : « viens dehors ». Et vous… vous lui obéissez ! Vous sortez du tombeau, vous revenez à la vie et vous reprenez votre existence… Mais reprendrait-elle vraiment son cours comme avant ? Un passage dans les entrailles de la mort ne changerait-il pas radicalement votre manière d’envisager la vie ?
Après avoir été relevé par le Christ et libéré de son suaire, Lazare a recommencé son existence quotidienne à Béthanie. Il a repris sa vie après avoir repris vie ; mais il ne l’a certainement plus vécue de la même manière. La tradition veut d’ailleurs qu’il se soit plus tard embarqué pour la Provence, accostant aux Saintes-Maries-de-la-mer pour aller évangéliser Marseille, dont il devint le premier évêque et le saint patron.
Je ne sais pas si, nous, revenant d’entre les morts, notre priorité serait d’aller faire un tour à Marseille, mais sans doute ferions-nous comme Lazare : de grandes choses ! Quand on était mort, qu’en sentait déjà, et qu’on bénéficie d’un "bonus de vie", forcément ce surplus est accueilli comme un cadeau extraordinaire à partager ! Nécessairement, le passage par la mort doit donner envie de vivre, de faire exploser la vie !
Alors, il s’est remis à vivre, Lazare, sans doute bien plus intensément qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Il s’est remis à vivre ! Il a dû dire à ses sœurs, Marthe et Marie, combien il les aimait, car il n’avait peut-être pas osé - ou pas su - le leur dire auparavant. Maintenant qu’il a vu la mort et qu’il est revenu à la vie, il sait plus que jamais la valeur de l’existence ; il a compris qu’il y a des choses qu’il faut faire et qu’il faut dire tant qu’on est encore vivant. Lazare peut ainsi nous aider à ne pas différer ces paroles à dire aux autres et ces élans du cœur auxquels nous mettons souvent tant de frein par peur de vivre.
Oui, revenu de la mort, Lazare a certainement vécu bien plus intensément, quoique bien moins fébrilement ; car il a eu une deuxième chance : en étant privé de la vie et en l’ayant retrouvée, il s’est sans doute mis à vivre sans plus jamais perdre de temps dans des futilités, se laisser submerger par des soucis inutiles ou se perdre dans les idoles de l’orgueil et de l’argent.
Frères et sœurs, et si nous n’attendions pas la mort pour imiter Lazare ?
* * *
Mais encore : on peut trouver qu’il a bien de la chance, Lazare, d’avoir eu Jésus pour ami ! Des milliers, des millions, des milliards d’autres morts n’ont pas eu cette même opportunité ! Mais savez-vous que, presque tous ici, parmi nous, nous avons eu la même chance que Lazare ? Nous avons déjà fait la même expérience que lui… parce que, nous aussi, nous avons Jésus pour ami.
Il ne nous a pas laissé dans les tombeaux d’une vie sans but. Il ne nous a pas abandonnés dans la mort d’une vie de péché. Nous avons été "baptisés", c’est-à-dire que réellement nous sommes morts avec le Christ, quand l’eau a coulé sur notre front, signe de la noyade de l’homme ancien marqué par le péché originel. Il est mort, cet être-là, pour ressusciter avec le Christ !
Alors non, nous n’avons rien à envier à Lazare : nous aussi, nous étions dans les ténèbres ; nous aussi, nous avons entendu notre ami le Christ nous crier « viens dehors » ; nous aussi nous sommes sortis pour vivre vraiment. Alors, comme Lazare, ne reprenons pas les chemins d’une vie ancienne, une vie sans espérance, une vie sans éternité. Nous avons été baptisés ! Et cela change tout !
* * *
Mais si cette vie de baptisés, nous l’avons abimée en posant de nouveau des choix de mort, sans cesse le Christ nous appelle de nouveau : « viens dehors ». Quitte tes œuvres de mort, sors du péché ! Et voilà l’Eglise qui, par le sacrement du pardon, délie les mains et retire le suaire de celui qui s’était remis dans la mort mais qui a entendu la parole de son ami miséricordieux, lui dire avec amour : « viens dehors ».
A chaque fois que nous allons nous confesser, nous vivons l’expérience de Lazare. La chapelle des confessions, qui se trouve ici dans la basilique, est comme la porte d’un tombeau, derrière laquelle les morts reprennent vie et sont libérés de leurs suaires par les prêtres qui, patiemment, aident l’œuvre de la grâce à les retirer pour que le corps et l’âme respirent à nouveau. Et celui qui est revenu à la vie sort tout joyeux, libre, décidé à prendre un nouveau chemin, parce qu’il a vu la mort et qu’il a reçu la vie. Ensuite, il ne peut plus vivre de la même manière !
Mais vivons-nous vraiment différemment après chaque confession ? Et même, n’avons-nous pas parfois la folie de préférer nos tombeaux plutôt qu’aller nous faire relever par le Vivant ? On ne se confesse pas « pour faire ses pâques », comme on disait auparavant ; on se confesse pour vivre Pâques, pour vivre l’expérience du passage, au plus profond de notre être blessé et vicieux, du Christ qui s’est révélé à nous ces derniers dimanches comme l’eau vive, la lumière du monde et aujourd’hui : « la résurrection et la vie ». C’est pourquoi il est tellement nécessaire de vivre ce sacrement du pardon pour suivre le Christ de la Cène à la croix et du tombeau au jardin de Pâques.
* * *
Et vous, Alexandre, il faut bien le dire ainsi : vous êtes encore dans votre tombeau. Oui, vous avez entendu le Christ vous dire « viens dehors » et vous voulez ardemment aller vers lui pour recevoir sa vie.
Mais il vous faut encore patienter ! Jésus a fait attendre Lazare pendant trois jours. Vous saurez bien patienter quant à vous jusqu’à la veillée pascale, dans moins de 15 jours – 15 jours pour l’éternité, ce n’est quand même pas grand-chose !
Et là, dans la nuit de Pâques, le Seigneur vous plongera dans sa mort et sa résurrection ; et l’Eglise, par mes mains de prêtre, vous retirera votre suaire de mort pour vous faire revêtir le vêtement blanc des ressuscités ! Alors, vous vivrez ! Vous aurez en vous la vie éternelle, pour la laisser jaillir dans les plus petites choses du quotidien comme dans vos grands engagements de vie.
J’espère que nous, ici, qui avons déjà vécu cette grandiose expérience, ce splendide passage vers la vie en plénitude, nous ne vous donnons pas un trop pâle témoignage de ce qu’est la grandeur des ressuscités ! Sinon, pardonnez-nous ; pardonnez nos incohérences, pardonnez-nous de ne pas avoir suffisamment compris que nous étions auparavant dans la mort et que nous avons reçu un surplus de vie, pour l’éternité !
Une vie que nous ne pouvons laisser rayonner à travers nous qu’en cessant de vouloir la garder pour nous-mêmes ! Comme Lazare, quittant Béthanie pour aller évangéliser Marseille, il nous faut donner cette vie gracieusement reçue. Car « celui qui perd sa vie la gardera pour l’éternité ». Amen.