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Sunday 10 January -
Un jour, dans une file d'attente
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireIl fait sans doute très beau ce matin-là ; un ciel bleu comme on en trouve nulle part ailleurs… sauf bien sûr dans les Hautes-Alpes ! Une journée idéale pour se faire baptiser sur les bords du Jourdain. Ils sont donc nombreux à avoir fait le déplacement, et déjà une file d’attente bigarrée s’étend depuis le bord du lac jusqu’à la colline qui le surplombe. Et dans cette foule, un homme pareil aux autres, mais au regard pur comme le ciel de ce jour-là.
C’est Jésus. Personne ne le connaît encore, sauf quelques Galiléens, qui avaient eu besoin de faire appel aux compétences d’un charpentier. Mais bon, un charpentier dans cette foule, au milieu des marchands de légumes, des pécheurs du lac et de tant d’autres, ça n’a pas de quoi retenir l’attention !
Pourtant, ce qu’il fait là devrait déjà bouleverser le cœur de toute la foule, et même du monde entier. Ils ne le savent pas, mais c’est leur Dieu qui est là avec eux ; c’est leur Sauveur, qui attend son tour sans revendiquer aucune prérogative. Quelle créature n’aurait le cœur retourné en prenant conscience de l’humilité d’un tel Créateur !
Avec le Christ, on est loin des privilèges "VIP", des traitements "premium", des grands du monde qui ne font pas la queue, parce qu’ils veulent croire - ou faire croire - qu’ils ne sont pas comme les autres. Le Fils de Dieu, lui, fait comme tout le monde. On l’imagine alors dans cette file d’attente, discutant aimablement avec la vieille dame qui le précède ; ou échangeant, avec le couple derrière lui, quelques commentaires sur le temps qu’il fait ou sur la beauté du lac.
Jésus qui attend son tour, c’est déjà pour nous une extraordinaire leçon d’humilité. À chaque fois que nous ressentons le moindre élan d’orgueil, à chaque fois que nous espérons le privilège d’un traitement de faveur ou à chaque fois que nous avons la tentation de "griller" quelqu’un dans une file d’attente, contemplons Jésus qui attend son tour, derrière les autres, sans râler et sans ignorer ceux qui l’entourent.
Ce serait bien que vous y pensiez, frères et sœurs, comme j’essaye d’y penser depuis que j’ai préparé cette homélie : à chaque fois que vous êtes dans une file d’attente, au supermarché, à l’entrée du restaurant du Laus, ou ailleurs, et même – pourquoi pas ? – dans la procession de communion : Jésus est là, qui attend avec nous. Et nous, saurons-nous attendre avec lui ?
Jésus est là ! Nous en rendre compte, c’est certainement transfigurer nos attentes parfois frustrantes en moments privilégiés de rencontre. Car c’est bien le Christ qui attend, dans la file avec nous ; devant nous, sous les traits d’un homme solitaire ; ou derrière nous, sous le visage d’un enfant agité. Saurons-nous lui accorder du temps, lui parler, le faire rire ?
Et même si, dans cette file, la personne qui me précède ou qui me suit n’est pas très agréable, j’essaierai de lui sourire en pensant à Mère Teresa, qui priait ainsi : Seigneur, « que je te reconnaisse aussi quand tu te caches sous le déguisement de ceux qui sont facilement irritables, exigeants et déraisonnables, et que je dise : "Jésus plein de patience, comme il est doux de te servir"[1]. »
* * *
Mais revenons dans notre file d’attente, sur les bords du Jourdain, où Jésus n’a pas peur de perdre son temps, ce temps qu’il a lui-même créé en sa divinité. Mais en fait, l’essentiel de son temps, il va le prendre après l’événement. Du baptême de Jésus, on sait bien peu de choses d’après le témoignage de saint Luc. Le troisième évangéliste met accent sur les instants qui suivent : « après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait et le ciel s’ouvrit ».
Une prière qui ouvre le ciel ! Voilà ce qui nous est dit aujourd’hui, sur les bords du Jourdain. Jésus prend le temps de prier et le ciel « fond », pour ainsi dire, devant un tel acte d’amour !
La prière de Jésus - mais aussi avec lui et en lui, notre pauvre prière - toute prière ouvre le Ciel ! Quand donc aurons-nous compris cela, et cesserons-nous de faire de la prière ce lamentable marchandage avec Dieu ? Nous ne pouvons pas acheter Celui qui n’est que gratuité ! Mais nous pouvons le faire fondre d’amour en nous ouvrant à sa présence.
Au sanctuaire du Laus, Benoîte a souvent vu le Ciel s’ouvrir, parce qu’elle était une femme de prière ; jusqu’au moment de sa mort, où les yeux levés, elle se mit à sourire, sans doute parce que désormais les Cieux s’ouvraient éternellement à elle.
Le seul privilège de Benoîte, c’est d’avoir vraiment cru à la prière. Et, pour cela, elle avait le seul outil, la seule disposition indispensable : un coeur simple. Si nous voulons, nous aussi, une prière qui ouvre le Ciel - ou plutôt qui nous ouvre au Ciel – pas d’autre chemin que la simplicité ! Tant que nous abordons la prière de manière compliquée, comme s’il s’agissait d’actes précis à accomplir, de paroles à bien prononcer, de concentration à vivre comme en apnée, ou de concepts à comprendre… nous ne pouvons pas vraiment nous ouvrir au Ciel !
* * *
Soyons donc bien plus simples ! C’est-à-dire aussi : bien plus confiants en ce que le Seigneur sait de nous et veut pour nous. Au final, c’est encore une question de miséricorde : les portes saintes ouvertes pour cette année, en tant de lieux du monde, nous rappellent que les Cieux sont ouverts depuis que le Christ a plongé l’humanité dans son mystère pascal : le Ciel ouvert pour que le Seigneur nous mène bien, dans toute notre vie, jusqu’à l’éternité promise.
Nous sommes donc invités à franchir une fois - et plusieurs fois - ces portes de la miséricorde, pour que le Ciel ouvert pour nous au jour de notre baptême puisse nous envelopper de sa douce miséricorde et changer nos cœurs souvent méfiants et compliqués en de simples cœurs de chair.
Franchir la porte de la miséricorde pour entendre le Père nous dire à nous aussi, comme à Jésus au jour de son baptême par Jean : « Toi, tu es mon fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ». « Toi, tu es ma fille bien-aimée ; en toi, je trouve ma joie ».
Entendez-vous cette parole venue des cieux ouverts ? Non pas d’abord : « tu es mon bien-aimé ; en moi, tu trouveras ta joie », mais « en toi, je trouve ma joie ». Le Père éternel nous révèle la joie qu’il a en son Fils de toute éternité, et qu’il a donc en nous depuis que l’humanité, plongée dans la mort et la résurrection du Christ, ne fait plus qu’un avec Lui.
Nous sommes la joie du Père ! Chacun d’entre nous, quels que soient ses errements, ses échecs et même ses péchés bien présents : chacune et chacun d’entre nous est la joie du Père, parce qu’il nous aime d’un amour qui a transpercé les Cieux pour venir transpercer nos cœurs.
Alors, laissez-vous faire, frères et sœurs, une bonne fois, et bien davantage que par le passé : laissez-vous faire ! Laissez le Père se réjouir en vous, maintenant, comme il se réjouit en son Fils Jésus-Christ ! Ne soupçonnez pas qu’il se soit trompé en souhaitant trouver sa joie en vous.
Non, il ne s’est pas trompé ! Il savait que sa joie ne dépendrait pas de nos bonnes dispositions, même si elles le font exulter plus intensément encore. Mais avant cela, il trouve en nous sa joie parce son Fils a été plongé pour nous dans le bain de la nouvelle naissance.
Le Père trouve en nous sa joie comme des parents trouvent leur joie quand ils prennent dans les bras leur enfant qui vient tout juste de naître ! C’est d’abord cela, faire mémoire de notre baptême : c’est accepter que le Seigneur nous prenne dans ses bras, nous « porte sur son cœur », comme le disait Isaïe dans la première lecture.
À chaque fois que le Seigneur nous regarde, c’est à-dire à chaque fraction de seconde, à chaque fois qu’il se penche vers le pire des criminels comme vers le plus lumineux des saints, il est tel un père ou une mère qui prend son enfant dans ses bras pour la première fois, et qui s’émerveille de cette vie unique qui respire tout contre son cœur ; un père ou une mère, qui s’exclame du plus profond de son être : « En toi, je trouve ma joie ! »
Amen !