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dimanche 21 juillet - 16e dimanche du temps ordinaire
"Un dîner presque parfait..."
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Connaissez-vous l’émission "un dîner presque parfait" ? Si vous avez la télévision, il vous a sans doute été difficile de passer à côté de ce programme de téléréalité, présent sur les petits écrans depuis plus de cinq ans. On y voit des concurrents s’invitant les uns après les autres pour déterminer lequel d’en eux propose le meilleur dîner. La qualité du repas, la décoration et l’ambiance de la soirée : tout est évalué par les invités, si tant est qu’on puisse encore parler "d’invités", quand ceux qui sourient poliment autour de la table deviennent, quelques instants après, des juges implacables des moindres défauts du dîner qu’ils ont savouré !
Si Marthe avait été invitée à participer à "un dîner presque parfait", elle aurait certainement gagné beaucoup de points du côté de la qualité du repas. Mais elle en aurait perdu pas mal du côté du soin apporté à ses invités. Tellement soucieuse de bien faire, elle néglige son hôte et le prend même à partie : « Seigneur, cela ne te fait rien ? Ma Sœur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m’aider. »
Mais en fait, quand nous sommes invités chez des amis, s’ils nous laissent seuls à table pour passer leur temps en cuisine, nous sommes plus gênés que flattés. Nous préférons certainement tous un repas simple, où l’on prend du temps pour se parler, à un dîner compliqué, où l’on serait tellement focalisé sur la qualité des plats qu’on en oublierait celle des relations.
« Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses »… et voilà que tu passes à côté de l’essentiel. Le Seigneur voulait du temps avec toi ; il te voulait toi, pour mieux t’aimer et t’écouter. Et toi, tu t’agites pour que tout soit impeccable, mais tu n’es pas là, Marthe, tu n’es pas là !
* * *
Frères et sœurs, en ce temps où beaucoup d’entre nous profitent des vacances, il peut être opportun de faire le point sur notre manière de vivre : dans quelles circonstances nous agitons-nous inutilement ? Pour quelles raisons nous inquiétons-nous futilement ? Et que manquons-nous alors de vivre de plus important ? Quand oublions-nous d’être là, vraiment présents à Dieu, aux autres et à nous-mêmes ? « Tu t’agites et tu t’inquiètes pour bien des choses » !
Il y a suffisamment d’inquiétudes légitimes dans la vie – avec la santé, le travail ou la famille – pour que nous ne cherchions pas à nous alourdir encore par des inquiétudes superflues, qui sont d’ailleurs souvent le reflet de notre souci exagéré de ce que les autres vont penser de nous. Mais la vie n’est pas "un dîner presque parfait" ; et si ceux que vous avez invités repartent de chez vous en critiquant votre prestation, tant pis pour eux ; ils se rendent eux-mêmes esclaves de leurs jugements. Nous pouvons d’ailleurs aussi nous demander si nous ne sommes pas nous-mêmes bien souvent du côté des juges, mettant les autres sous pression du regard que nous posons sur eux. Seigneur Jésus-Christ, délivre-nous de nous-mêmes ; délivre-nous du jugement des autres !
Observons la brave Marthe : elle est tellement soucieuse du regard des autres…qu’elle ne regarde plus les autres ! C’est seulement sa prestation qui compte ; et si l’invité qu’elle veut servir ne voit pas assez combien elle se démène, tout devient bon pour être remarquée, même déprécier sa sœur et être désobligeante à l’égard de son invité : « cela ne te fait rien que ma sœur me laisse seule à faire le service ? »
Parmi les conversions nécessaires dans nos vies, il y a peut-être chez certains d’entre nous à convertir notre souci du regard des autres. Nous nous rendons inutilement inquiets et fébriles à envisager l’existence comme un examen permanent, où les autres nous évalueraient sans cesse. Comme si leur amour pour nous ne pouvait être qu’en proportion de nos réussites à faire telle ou telle chose. Et, tellement focalisés sur cet objectif, nous ne sommes plus là, dans la vérité de la relation.
C’est pourquoi nous avons besoin de nous mettre aux pieds de celui dont l’amour ne se mérite pas ; assis au plus près du Christ, qui nous aime de façon inconditionnelle, nous saisissons que l’amour et la reconnaissance ne s’achètent pas. Saint Paul, dans la deuxième lecture, a parlé d’un mystère dont la gloire est « sans prix ». En contemplant ce mystère, nous comprenons la nécessité d’abandonner la gloriole de quelques applaudissements, achetés au prix de nos efforts fébriles, pour choisir la gloire sans prix, offerte gratuitement et abondamment ; une gloire que l’Apôtre a présentée ainsi : « le Christ est au milieu de vous, lui, l’espérance de la gloire ».
Oui, Christ est au milieu de nous ! Quand nous prenons conscience d’une telle présence du Sauveur, Maître des temps et de l’histoire, Souverain de tout ce qui existe, Porteur de la vie éternelle, alors nous comprenons la futilité de vouloir exister par la séduction, l’admiration ou la satisfaction dans les compliments reçus des autres. Les témoignages de reconnaissance ne sont bien sûr pas mauvais en soi, ils sont même à soigner dans des relations de couple, de famille ou d’amitié. Mais l’amour ne repose pas sur les compliments reçus ou donnés, car il ne se fonde pas sur les capacités de l’autre à faire le maximum pour les mériter.
Nous voyons ainsi la sœur de Marthe assise aux pieds du Seigneur ; c’est là qu’est la vérité de notre être, la solidité de notre vie. Ne cherchons pas d’autre forme d’accomplissement de nous-mêmes que d’être là aux pieds du Christ, amoureusement à son écoute. Ce n’est pas le choix de la contemplation plutôt que l’action ; c’est le choix d’une vie centrée sur Dieu plutôt que sur nous-mêmes ; une vie unifiée dans le Christ plutôt qu’une vie éparpillée en mille agitations.
« Une seule chose est nécessaire », poursuit Jésus. « Marie a choisi la meilleure part » : ce seul nécessaire, cette meilleure part, c’est d’avoir personnellement rencontré le Christ, si bien que tout le reste soit vu à la lumière de cette rencontre vivifiante ; et que tout ce qui a besoin de l’être soit relativisé, en venant régulièrement nous asseoir aux pieds du Maître.
Ce n’est donc pas d’abord une affaire de morale qui se joue dans les attitudes de Marthe et de Marie ; c’est d’abord une question de rencontre, d’écoute du Maître et aussi de reconnaissance du véritable besoin, qui est le seul nécessaire.
En notre sanctuaire, où la chapelle des 54 années d’apparitions, dans la basilique, porte le doux nom de "bon Rencontre", il est sans doute opportun de pouvoir redécouvrir combien tout prend sa source et son sens dans notre "bonne rencontre" avec le Christ ; rencontre personnelle nécessaire et tellement suffisante ; rencontre communautaire, tout aussi nécessaire et vivifiante.
* * *
Alors : gloriole d’un moment ou gloire éternelle ? c’est finalement cela qui est ici en jeu : soit exister par nous-mêmes, en nous épuisant à vouloir être à la hauteur pour obtenir des compliments ; soit exister par le Christ et avoir soif de le rencontrer, en nous plaçant régulièrement à ses pieds, pour trouver en Lui notre solidité et servir ensuite les autres plus librement et plus gratuitement.
Qu’est-ce donc que recevoir quelques bonnes notes à un dîner "presque parfait", quand le Seigneur, Lui, nous invite au banquet éternel ? Ce banquet ne sera pas seulement "presque parfait" ; il le sera vraiment et totalement, dans une unité parfaite entre nous tous.
De ce dîner parfait dans l’éternité, nous avons un sublime avant-goût dans l’Eucharistie. Et puisque aujourd’hui Joseph et Xavier vont communier au corps et au sang du Christ pour la première fois, ils vont tous nous aider à redécouvrir combien l’Eucharistie est une nourriture excellente, un dîner parfait, la meilleure part pour vivre dès maintenant en ressuscités, lutter contre le mal et nous fonder vraiment sur le Christ. Une seule chose est nécessaire. Joseph et Xavier ont choisi la meilleure part, celle de participer gratuitement au dîner plus que parfait.
Amen.