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dimanche 7 mai - 4ème dimanche du temps pascal
Un berger en forme de porte ?
Par le père Ludovic Frère, recteurUne révélation en 4 temps et des images qui se superposent, parce qu’aucune ne peut à elle seule épuiser le mystère. 4 temps, 4 discours que Jésus a peut-être tenus séparément. Mais saint Jean les a regroupés dans un même chapitre, le 10e de son évangile. 4 temps, 4 discours qui révèlent particulièrement ce que le Christ a fait pour nous, ce qu’il continue à faire, et ce qu’il nous donne par son Église.
De ces 4 discours, la liturgie nous en offre 2 aujourd’hui. Elle n’a pas voulu aller plus loin, pour ne pas trop nous charger, peut-être ; mais rien ne vous empêche d’aller lire et méditer l’ensemble de ce chapitre 10 de l’évangile de saint Jean. Ou de revenir demain, puisqu’à la messe nous aurons la suite. Vous y verrez alors la sublime cohérence de cette grandiose méditation sur le berger et les brebis.
Ainsi, dans le 3e discours, Jésus dira clairement : « Je suis le bon pasteur, le vrai berger » (Jn 10,11). « Je connais mes brebis ». Et le dernier enseignement s’élèvera jusqu’à cette révélation : « Mes brebis… je leur donne la vie éternelle, jamais elles ne périront » (Jn 10,28).
Quant aux deux premiers discours - ceux que nous entendons ce dimanche -, ils ne semblent pas coller directement avec ces paroles des deux enseignements suivants. Car dans les deux premiers, Jésus ne se présente pas comme le berger, mais comme la porte de la bergerie. Encore une fois, aucune incohérence entre ces différentes images, mais plutôt une complémentarité qui dit l’épaisseur du mystère du Christ, irréductible à une seule approche.
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Voyons donc le premier discours. Des versets 1 à 5, il tourne autour d’un verbe essentiel, un verbe pascal : « sortir ». Le Christ dit du berger qui connaît ses brebis : « il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir » (Jn 10,3). À la lumière de Pâques, le verbe « sortir » a une signification très nette : c’est d’abord la sortie d’Égypte, la sortie d’esclavage pour aller en Terre promise. Et avec le Christ, ça devient la sortie de la mort. Et, dès maintenant aussi, la sortir du péché pour une vie nouvelle.
Quand Jésus dit que le berger appelle chacune de ses brebis par son nom et qu’il les fait sortir, comment donc ne pas penser à ce qui se passera au chapitre suivant de saint Jean ? Quand Jésus va ressusciter Lazare, il va l’appeler par son prénom et lui dire de sortir : « Lazare, viens dehors ! » (Jn 11,43). Oui, le Seigneur connaît ses brebis, les appelle chacune par son nom, et les fait sortir. Alors, au moment de notre mort, quelle joie de savoir qu’une voix nous appellera par notre prénom et nous dira de sortir du tombeau !
Jésus dit même que le berger « pousse » dehors ses brebis. Un geste énergique, pour éviter qu’aucune d’entre elle ne reste enfermée dans un quelconque esclavage, un quelconque tombeau. C’est ainsi que fait le Seigneur pour chacun d’entre nous. Bien sûr, ça bouscule d’être poussés dehors ; mais n’hésitons pas à laisser le Seigneur nous faire sortir ! Laissons-le nous pousser, même si ça nous dérange !
Ainsi donc, en ce temps pascal, l’interrogation doit nous travailler en profondeur : est-ce que je suis vraiment sorti ? Est-ce que j’ai laissé le Christ me pousser en dehors de mes esclavages et de mes peurs, pour Le suivre, Lui seul, sur le chemin de la vraie liberté éternelle ?
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À ce premier discours, Jésus joint un autre, ou plutôt un complément, aux versets 6 à 10. Il donne une précision, qu’on n’avait pas jusqu’alors : « Moi, je suis la porte des brebis ». Le Christ ne se présente ici ni comme un berger ni comme un portier, mais comme la porte elle-même. Et dans ce deuxième enseignement, il ne s’agit plus de « sortir », mais d’entrer : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé » (Jn 10,9).
Vous voyez bien : s’il faut sortir de nos esclavages et de nos morts, c’est pour entrer dans le mystère de Dieu ; entrer dans la relation-même qui unit le Père au Fils, dans l’Esprit Saint. Oui, nous avons part à la relation trinitaire ! C’est cela, le plus grand mystère de notre vie et la réalité la plus grandiose de nos relations les uns avec les autres : nous avons part à la vie trinitaire !
Ainsi donc : le temps pascal est fait pour nous demander si nous sommes vraiment sortis de nos esclavages, mais il est aussi fait pour s’interroger : suis-je réellement entré dans une relation vivante au Père, par le Fils, dans l’Esprit ? Ai-je fait du Christ la Porte de ma vie intérieure, pour entrer dans cette relation trinitaire vitale, joyeuse et consolante à la fois.
S’il y a pour vous hésitation, ou réponse clairement négative, pas de panique : écoutez l’évangile de ce jour. Passez par le Christ, entrez en vous-mêmes. Passez en vous laissant saisir par sa Parole ; passez en vous laissant envahir par sa présence eucharistique ! Et alors, vous entrerez toujours plus profondément dans la vie trinitaire, qui est fondamentalement ce pour quoi nous sommes faits ! Or, il faudra bien finir par nous en persuader un jour : tant que nous n’entrons pas dans ce pour quoi nous sommes faits, nous restons superficiels, inquiets et insatisfaits.
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Mais cette relation vivante ne consiste pas à nous évader de la réalité présente. C’est pourquoi Jésus ajoute encore un troisième mouvement pour les brebis : « Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage » (Jn 10,9). Il s’agit donc maintenant de ne cesser d’entrer et de sortir, dans un mouvement qui est comme celui de nos cœurs : diastole et systole ; ou celui de nos poumons : inspiration, expiration.
Et nous voilà encore interrogés : notre vie spirituelle nous fait-elle en permanence entrer et sortir ? Entrer en relation authentique avec les autres, sortir de soi pour s’oublier soi-même ; entrer en discussion avec le monde ; sortir de la certitude d’avoir toujours raison. Entrer et sortir, sans cesse, pour respirer et avoir le cœur qui bat !
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Voyez donc les 3 mouvements complémentaires que le Christ, en tant que « porte des brebis », nous appelle à vivre à travers Lui :
- sortir de nos esclavages ;
- entrer dans la relation trinitaire ;
- et entrer-sortir dans la vie du monde.
S’il nous manque l’un de ces trois mouvements, notre vie spirituelle est tronquée et notre vie relationnelle appauvrie.
Profitez donc de votre présence au sanctuaire du Laus pour vous interroger si cet équilibre des trois mouvements est bien présent en vous. Et si l’un d’entre eux vient à manquer ou n’y est pas assez présent, demandez à la Vierge, en ce mois de Marie, de vous aider à le vivre :
- sortir de nos esclavages ;
- entrer dans la relation trinitaire ;
- et entrer-sortir dans la vie du monde.
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Mais une question est restée pour nous en suspens. Si Jésus est « la Porte », et qu’il se présentera seulement dans les 3e et 4e discours comme le bon berger, qui sont donc les bergers des 2 premiers discours ?
En fait, on le comprend à la lecture de l’ensemble du chapitre : Jésus est le seul berger. Ceux qui sont bergers pour lui, ne peuvent l’être qu’en Lui, passeurs de porte qu’il est Lui-même. Nous trouvons ici la sublime mission des prêtres, que nous mettons en lumière ce dimanche des vocations sacerdotales.
Il faut le dire, et j’aime à le dire : il est beau d’être prêtre ! Quelle grâce de faire « sortir » les brebis de leurs esclavages. Ici au Laus, c’est une mission sublime, qui nous est quotidienne. Quelle grâce aussi de faire « entrer » les brebis, de les faire plonger plus profondément dans la vie trinitaire, qui est notre seule vie ! Et quelle grâce de les faire entrer-sortir dans la vie du monde pour y porter la lumière du Ressuscité !
Comment imaginer qu’on puisse un jour manquer de tels bergers ? Comment le souci des vocations sacerdotales ne ferait-il pas notre tourment, à nous tous ? Un tourment positif, pour crier notre désir, notre profond désir d’avoir des prêtres et de saints prêtres ! Amen.