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Sunday 21 October - Dimanche de la mission
"Trois fois foi"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Le synode des évêques pour la nouvelle évangélisation, qui se tient à Rome jusqu’au 28 octobre, manifeste combien la mission chrétienne est, plus que jamais, un appel à ne pas penser seulement l’aspect missionnaire de l’Eglise à l’autre bout du monde, mais aussi au plus près de chez nous et jusque dans nos familles.
En annonçant "l’année de la foi" pour créer une dynamique d’avenir en célébrant les 50 ans de l’ouverture du Concile Vatican II, le Pape Benoît XVI décrivait avec lucidité la situation actuelle : « Alors que dans le passé, il était possible de reconnaître un tissu culturel unitaire, largement admis dans son renvoi aux contenus de la foi et aux valeurs inspirées par elle, aujourd’hui il ne semble plus en être ainsi dans de grands secteurs de la société, en raison d’une profonde crise de la foi […] »[1].
Alors, que devons-nous faire pour être missionnaires, dans ce contexte difficile ? Quelle stratégie astucieuse ? Quelle innovation géniale ? Le synode des évêques nous donnera certainement des pistes, en tenant compte, notamment, des nouvelles technologies, des nouveaux moyens d’être en réseaux et des lieux privilégiés de l’expression de la foi aujourd’hui, parmi lesquels les sanctuaires tiennent une place de choix.
Mais quoi qu’il en soi des techniques employées, la clé d’une évangélisation réelle et profonde, nous la connaissons déjà : c’est notre témoignage de foi. Une foi décomplexée et heureuse, qui ose se dire et qui va au fond des choses. Une foi qui sait ce qui est en jeu : le salut, la vie éternelle, et non pas un simple humanitarisme chrétien. Une foi positive, qui aime la vie, qui ne contente pas de respecter des interdits et qui ouvre le cœur aux vrais besoins des autres. Une foi qu’il nous faut proclamer, comme une urgence et une nécessité, dans un monde qui va si mal et qui fuit trop souvent les questions existentielles par le divertissement, la violence, l’individualisme ou le suicide. Une foi sans laquelle la vie n’a pas assez d’épaisseur, et les épreuves sont souvent vécues comme des drames insurmontables.
Au seuil de cette année de la foi - et comme une première étape de mise au point pour vivre en profondeur cette année - il est donc bien nécessaire que chacun d’entre nous interroge sa propre foi : ai-je vraiment la foi ? Et, d’ailleurs, qu’est-ce donc qu’avoir la foi ?
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Permettez-moi de rappeler quelques fondements essentiels, à partir de la célèbre distinction que nous devons à saint Augustin : « Credere Deum, credere Deo, credere in Deum ». L’acte de foi est composé de ces trois dimensions : Croire à Dieu, croire Dieu et croire en Dieu.
Croire à Dieu, c’est croire que Dieu existe, comme une estimation de crédibilité : il semble raisonnable de croire que tout ce qui nous entoure n’est pas le fruit du hasard, mais d’un projet créateur. Il n’est pas inconcevable de penser que les grandes aspirations qui nous habitent ne sont pas que des réactions électriques et endocriniennes dans nos cerveaux compliqués, mais qu’ils sont des élans déposés par Dieu en nos cœurs.
Le "croire à Dieu", c’est la foi comme un pari crédible ; mais, c’est donc aussi la foi dans ce qu’elle peut avoir de plus fragile. Croire à l’existence de Dieu est en effet souvent soumis à rude épreuve quand nous vivons un drame ou quand nous constatons tant de catastrophes qui assombrissent la vie du monde. On se demande alors, légitimement, s’il y a vraiment un Dieu qui permet tout cela. Le "croire à Dieu" se trouve ici ébranlé : et s’il n’y avait rien plutôt que Dieu ? Le hasard plutôt que la Providence ? Le néant plutôt que la vie éternelle ? "Croire à Dieu" renvoie finalement au débat entre foi et athéisme.
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Un deuxième aspect de l’acte de foi est donc nécessaire pour donner un contenu à notre choix pour Dieu.
C’est le Credere Deo : "croire Dieu". C’est-à-dire croire à ce que Dieu dit quand il se révèle. Croire que la Parole de Dieu est bien l’expression de la vérité. "Croire Dieu" donne un sens à notre existence, une morale à nos actes, une consistance à notre idée de Dieu. "Croire Dieu" nous aide à traverser les épreuves en nous appuyant sur ses promesses et sur la certitude qu’il se préoccupe de nous.
"Croire Dieu" est donc un acte de confiance en la révélation ; pour nous chrétiens, c’est être convaincus de la vérité de la révélation qui s’exprime dans l’Ecriture Sainte, le Magistère et la Tradition de l’Eglise. Il s’agit de s’appuyer sur la solidité d’un contenu, comme la lettre aux Hébreux nous y a encouragés dans la deuxième lecture : « tenons ferme l’affirmation de notre foi ».
Mais à notre époque, "croire Dieu" nous confronte à une difficulté toute particulière : c’est la connaissance de la pluralité des religions. Beaucoup se demandent alors : qui a raison ? Qui porte la vérité ? Certains répondent : « chacun a sa vérité ! » Les religions ne seraient que des expressions culturelles d’une même quête de Dieu. Mais alors, Jésus-Christ est-il vraiment le Sauveur du monde ?
Voilà de quoi décontenancer de nombreux chrétiens, et d’en séduire d’autres, touchés, par exemple, par la réputation de pacifisme du bouddhisme ou l’apparence de puissance de l’Islam. Alors, nous pouvons nous interroger : ne sommes-nous pas chrétiens parce que nous sommes nés en Europe occidentale ou dans une famille catholique ? Si nous étions nés ailleurs, n’aurions-nous pas embrassé une autre religion ?
"Croire Dieu" nous interroge alors sur notre adhésion au Christ : est-ce un choix par défaut, parce que nous ne connaissons pas vraiment autre chose ? Ou est-ce un choix décidé, parce que nous croyons que le Christ est l’unique Sauveur du monde, la Parole éternelle faite chair, la Vérité en personne qui se révèle et qui se donne ?
Le contexte mondial dans lequel nous sommes tous désormais insérés nous oblige donc à poser notre choix pour le Christ. Aucun chrétien ne devrait l’être par simple habitude ou par généalogie. Cette année de la foi nous est justement proposée pour que nous reconnaissions de nouveau le Christ comme le seul vrai Dieu. Elle peut être aussi l’occasion d’approfondir le contenu de notre foi, sans juger a priori ses dogmes comme dépassés ou inaccessibles. L’intelligence et la prière sont deux efforts qui nous sont demandés, particulièrement en cette année de la foi.
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Mais croire que Dieu existe et croire à ce qu’il dit, ce n’est pas suffisant. Nous resterions encore très extérieurs à l’acte de foi, s’il se résumait à ces deux aspects d’un pari et d’un contenu. Il n’y a donc pas de foi véritable sans la troisième disposition, qui couronne les deux autres : Credere in Deum, "croire en Dieu".
Croire « en », c’est faire confiance, avec cet élan d’amour et d’abandon que le psaume 32 nous fait chanter aujourd’hui : « Nous attendons notre vie du Seigneur : il est pour nous un appui, un bouclier ». Ce n’est pas seulement la reconnaissance que Dieu existe ou qu’il dit vrai, mais qu’il est la solidité de notre vie et qu’il bouleverse toute notre existence.
C’est pourquoi "croire en Dieu", c’est inévitablement s’engager, se convertir, chercher à ressembler à celui qui nous a créés à son image. C’est se conformer à Lui, comme le Christ nous l’a clairement révélé dans l’Evangile de ce dimanche : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ». Ainsi, "Croire en Dieu" conduit nécessairement à vouloir se comporter non seulement comme Dieu le demande, mais plus encore comme il agit lui-même : « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir ». Croire en Lui, c’est donc ne jamais chercher, dans la vie, à se servir mais à servir.
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"Croire Dieu", "croire à Dieu", "croire en Dieu" : aucun de ces aspects de la foi n’est évident, aucun n’est acquis une fois pour toutes. Croire, c’est toujours être en mouvement, c’est toujours être inquiet, d’une certaine manière, au sens où la foi ne nous donne pas réponse à tout, mais elle bouscule tout. Elle éclaire autant qu’elle dérange ; elle apaise autant qu’elle désarme ; elle nourrit autant qu’elle creuse la faim.
Et finalement, ce qui nous fait tenir dans la foi, ce n’est pas notre effort intellectuel, ce n’est même pas notre attention à la prière. Ce qui nous fait tenir dans la foi, c’est qu’elle est une vertu théologale, c’est-à-dire un pur don de Dieu. Comme l’enseigne le Concile Vatican II, dans sa déclaration sur la liberté religieuse Dignitatus humanae : l’être humain « ne peut adhérer au Dieu révélé, que si, attiré par le Père, il met raisonnablement et librement sa foi en Dieu » (DH 10). « Nul ne vient au Père, si ce n’est moi qui l’attire » (Jean 14,6), nous dit Jésus.
Laissons-nous donc attirer par le Père ; abandonnons dans ses mains nos doutes, nos déserts spirituels, nos interrogations sur la vérité de notre religion, nos scepticismes sur la fidélité de certains membres de l’Eglise, nos incompréhensions de nombreux passages de la Bible, nos difficultés à comprendre certains dogmes.
Abandonnons au Père la foi qu’il nous a lui-même donnée ; et alors, l’Esprit-Saint pourra vraiment faire son œuvre en nous, il nous « guidera vers la vérité tout entière », comme le promet Jésus (Jean 16,13).
Que cette année de la foi soit donc pour nous tous un plus grand abandon à l’Esprit-Saint, afin que nous "croyions à Dieu", que nous "croyions Dieu" mais surtout, que nous "croyions en Dieu", car seule cette confiance nous convertit et nous ouvre le chemin du salut.
Qu’il est beau de croire ! Qu’il est solide d’être éclairé par la foi ! Qu’il est doux de se savoir éternellement aimés du Seigneur !
Bonne année de la foi ! Amen.
[1] Benoît XVI, Lettre Motu Proprio Porta Fidei, §2.