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dimanche 10 mars - 4e dimanche de carême - Dimanche du laetare
Travailler à la réconciliation
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireEn célébrant ce 4e dimanche de Carême, nous reconnaissons que nous avons passé la moitié de ce temps de pénitence et de conversion : c’est l’occasion de faire le point sur ce que nous avons pu déjà vivre depuis une vingtaine dejours, de reprendre un élan nouveau pour aller courageusement jusqu’au bout du Carême, mais aussi de nous réjouir déjà du terme de notre marche spirituelle. Car les jours où nous allons célébrer la victoire du Christ approchent : bientôt, nous le suivrons sur le chemin de croix et dans la sortie du tombeau.
C’est cette lumière qui éclaire notre 4e dimanche de Carême, et qui lui apporte déjà une connotation de joie, qui éclatera dans toute sa beauté lors de la veillée pascale, quand nous chanterons l’Exultet. Cette joie qui approche nous fait appeler ce dimanche le Laetare, le dimanche de la réjouissance ; comme au 3e dimanche de l’Avent, où nous fêtons le Gaudete, le dimanche de la joie. Alors, en ce jour, la couleur liturgique violette s’éclaire un peu, pour signifier la lumière pascale qui pointe à l’horizon. Le violet vire au rose, comme au petit matin, avant que le soleil se lève et illumine la terre entière.
C’est donc le Christ Soleil de nos vies que ce dimanche nous appelle à nous préparer à accueillir, dans la joie de posséder bientôt ce que nous attendons, la joie de recevoir les fruits des promesses certaines du Seigneur. Ainsi, la Parole de Dieu, en ce dimanche, nous parle de promesses et de leur exaucement ; elle nous parle de réconciliation et de joie des retrouvailles.
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D’abord, la première lecture nous a raconté l’arrivée du peuple hébreu en terre promise. Ce n’était pas rien, après 40 ans de marche au désert et d’espérance parfois émoussée par la durée de l’attente. Des moments d’infidélité comme le veau d’or ; des moments de persévérance aussi. Des doutes sur la bienveillance de Dieu et des disputes au sein du peuple ; des remises en cause de l’autorité de Moïse et le sentiment, parfois, d’être abandonnés à leur sort en plein désert. Des désirs de retour en arrière, en regrettant ce qui était appréciable en terre d’esclavage et en oubliant justement ce qu’était la condition d’esclaves.
Nous voyons bien que la marche des Hébreux au désert résume tout ce qui peut habiter une vie humaines : des élans d’enthousiasme et des déceptions ; des remises en cause de la probité ou des compétence de l’autorité, et le choix de se construire des idoles ; des regrets d’un passé qui semble tellement plus enviable que le présent, et l’oubli de ce qui faisait notre condition d’esclave avant de prendre la route à la suite du Seigneur. Des interrogations sur la présence de Dieu, sur sa bienveillance ou sur la raison pour laquelle il nous laisse vivre des temps de désert. Les 40 ans de marche du peuple hébreu résument en fait tout ce qui habite une vie humaine.
Mais surtout, cette longue pérégrination nous révèle qu’avec le Dieu fidèle, il n’y a pas de marche, même longue et désertique, qui ne mène à l’accomplissement d’une promesse. Ainsi, la deuxième lecture nous a montré la grande promesse accomplie par le Seigneur : non plus seulement l’entrée dans une terre fertile, comme pour les Hébreux ; mais l’entrée dans une nouvelle relation avec Dieu. « Il nous a réconciliés avec lui par le Christ » ; « Il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés ».
La parabole du fils prodigue, qui est si bien connue, est venue ainsi logiquement illustrer, de manière sublime, le cœur aimant de ce Père éternel qui ne nous abandonne jamais et qui ne revient pas sur ses promesses, même quand nous partons sur des terres de perdition. Ce Père court vers son enfant dès qu’il le voit revenir ; et bien sûr, à aucune moment, il n’avait manqué de penser à ce fils égaré, dans l’espoir qu’il revienne, même pour des raisons encore égoïstes comme la faim ou le dénuement.
Et voilà qu’à son retour, c’est pour le Père comme une promesse qui se réalise : « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ». La résurrection n’est pas seulement la sortie de la mort, elle est aussi la réconciliation avec le Père. Ou plutôt, parce qu’elle est réconciliation totale avec le Père, elle est aussi une sortie de la mort, pour recevoir la vie en plénitude : « Mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ».
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Ce fils mort et revenu à la vie, c’est bien sûr d’abord le Christ. Par l’offrande de lui-même sur la croix, il a porté tous nos péchés. Il s’est substitué au fils égaré pour nous ramener vers le Père. Il est allé dans les lieux les plus obscurs pour nous faire revenir à la lumière. Par le Christ, nous sommes ainsi désormais unis au Père, d’une manière totale et définitive.
Depuis lors, notre vie de baptisés consiste à vivre cette union totale avec le Père. Et voilà que pointe la tentation, présentée au 1er dimanche du Carême, de se méfier de cette union et de préférer la vie sans Dieu, la construction d’idoles et souvent l’idolâtrie de soi-même. Le temps du Carême est donc un moment privilégié pour purifier notre vie en la ramenant à sa source, à son Essentiel, à sa vérité.
Cet essentiel, saint Paul l’a magnifiquement résumé dans la deuxième lecture : puisque le Christ nous a réconciliés avec le Père, le cœur de notre vie humaine consiste en ceci : « travailler à cette réconciliation ». Ce devrait être notre première activité et le fondement de chacune de nos réflexions : est-ce que je travaille, en toute chose, à la réconciliation ?
« Ambassadeurs du Christ », dit encore saint Paul : quelle belle profession ! Ambassadeurs du Christ, missionnés pour le représenter, pour qu’il ait sa place dans le monde, qu’il soit entendu dans le concert des nations et qu’il soit aimé par tous ceux qui entendront sa Parole de relèvement. Voilà le travail de réconciliation que nous sommes appelés à ne jamais interrompre. Ce travail doit nous conduire à une vie davantage centrée sur le Christ, à des relations davantage purifiées de tout pouvoir sur les autres et à un regard sur nous-mêmes profondément réconcilié.
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Telle est la joie que nous sommes appelés à laisser habiter en nous aujourd’hui.
Que ce dimanche du Laetare nous porte donc à une vraie jubilation pour l’œuvre de réconciliation accomplie par la grâce ! Qu’il nous donne aussi d’embrasser avec joie la mission de travailler à la réconciliation ; d’ailleurs, dès que nous faisons autre chose, ce n’est que la tristesse, le désarroi, voire le désespoir, qui peuvent nous gagner. Regardez ce deuxième fils de la parabole, tristement crispé sur ses comparaisons et ses revendications : il passe à côté de la joie, il la refuse même.
Nous ne trouverons de joie véritable qu’en faisant de toute notre vie une œuvre généreuse de réconciliation. C’est un objectif souvent exigent, pour des résultats qui ne sont pas toujours au rendez-vous – à nos yeux, en tous cas. Mais c’est assurément la source de la plus grande des joies terrestres, nous donnant dès maintenant le goût de ce que sera le bonheur éternel d’un monde totalement réconcilié dans le Christ. Amen.