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Wednesday 14 February - Messe du mercredi des Cendres
Ton père qui voit dans le secret
Par le père Ludovic Frère« Se faire remarquer ». Au premier jour du Carême, nous entendons Jésus pointer du doigt cette redoutable tentation d’agir pour se faire remarquer des autres. On pourrait ajouter aujourd’hui aux paroles du Christ : « Quand tu fais quelque chose de bien, ne va pas twitter pour le faire connaître à toutes tes connaissances. Et toi, quand tu es généreux, ne le publie pas sur Facebook ».
Oui, on dispose désormais de nombreux moyens pour se faire remarquer. Mais par l’évangile d’aujourd’hui, l’Église nous montre qu’un des enjeux essentiels du Carême, c’est de lutter contre cette tentation de se faire valoir : car alors, on ne cherche plus à grandir les autres mais à se gonfler soi-même.
« Toi Père voit ce que tu fais dans le secret », dit Jésus. L’essentiel des 40 jours du Carême va se vivre dans le secret. Le Carême est une expérience communautaire d’intériorité. C’est une attention plus vive à tout ce qui ne se voit pas mais qui est pourtant bien essentiel à une vie humaine.
Je vous propose alors 2 grands points d’attention, comme deux jambes pour tenir solidement debout et avancer d’un bon pas dans cette grande marche de Carême jusqu’aux célébrations de Pâques.
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Première jambe pour un Carême bien debout : agir de manière cachée. Je pense que nous avons tous déjà fait cette expérience : vous faites quelque chose de bien, de vraiment bien. Vous avez le cœur réjoui d’avoir bien agi. C’est parfait ! Mais cet acte bon reste inconnu des autres. La tentation est alors vive de chercher des admirateurs. Mais dès qu’on essaye de faire voir aux autres le bien qu’on a pu faire la beauté de l’acte perd de son éclat.
Garder caché le bien que l’on fait, ce n’est vraiment pas facile. C’est une expérience crucifiante, mais tellement belle. Non pas comme une forme d’héroïsme d’avoir fait du bien sans faire de bruit. Mais comme une plongée dans le mystère de notre vie de baptisés. L’épître aux Colossiens enseigne aux baptisés : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3,3).
Voilà le plus grand mystère qui nous habite ; et il est difficile, crucifiant, justement parce qu’il nous unit au mystère caché de l’offrande du Christ sur la croix.
Le temps du Carême nous est alors offert chaque année pour redécouvrir et soigner le mystère qui nous habite à chaque instant : depuis notre baptême, nous sommes morts avec le Christ pour renaître en Lui à la vie éternelle. Ce mystère est grand, il est caché. On peut l’oublier, le négliger et même l’abîmer par une exposition superficielle de soi.
Alors, puisque nous avons la grande grâce de pouvoir célébrer l’entrée en Carême dans un beau sanctuaire marial, la Vierge Marie peut être notre grand modèle de Carême et de la vie toute entière. Saint Luc nous dit qu’à partir de l’annonce faite par l’archange Gabriel, « Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » (Lc 2,19). Elle est pour nous le grand modèle du choix préférentiel pour ce qui est caché sur la superficialité d’une vie qui se montre.
Ne manquez donc pas d’invoquer la Vierge Marie pendant ce Carême, afin de cultiver un bel amour de ce qui reste caché aux yeux des autres ; là se trouve notre vraie beauté et notre possibilité magnifique de réjouir le cœur de Dieu !
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Et voici la 2e jambe pour marcher résolument jusqu’aux fêtes pascales : soigner notre vie intérieure. Dans ses Confessions, saint Augustin s’adresse au Seigneur en disant : « Tu étais au-dedans, et moi au-dehors et c’est là que je te cherchais, (…) Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi ![1] » Et vous, aujourd’hui, où êtes-vous ? Au-dedans ou au-dehors ? Dans la superficialité du paraître, dans le souci épuisant de vouloir exister aux yeux des autres ? Ou êtes-vous bien là en vous-mêmes pour y recevoir le Dieu vivant ?
« Où es-tu » ? C’est peut-être la question « porte d’entrée » pour un Carême qui ait du sens. « Où es-tu ? » Dans le livre de la Genèse, c’est la première parole du Seigneur après la chute originelle : « Adam, où es-tu ? » (Gn 3,9). C’est-à-dire : tu n’es plus là où je t’avais mis, tu t’es déplacé, tu as fui ailleurs en pensant trouver mieux, alors qu’auprès de moi tu avais tout.
« Où es-tu ? » Que répondez-vous à cette question dans votre vie d’aujourd’hui ? Où suis-je ? Êtes-vous bien là, dans la densité de votre existence ? Ou êtes-vous en train de la fuir fréquemment par un excès d’écrans, un excès de paraître, un excès d’ego ? Où es-tu ?
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Voici donc deux jambes pour tenir solidement dans la vie et avancer sur le chemin de la sainteté : l’amour des choses cachées et le soin porté à l’intériorité.
Deux jambes pour courir jusqu’aux fêtes de Pâques.
Deux jambes pour avancer dans le don de soi par ces trois grands moyens essentiels rappelés par le Christ : l’aumône, le jeûne et la prière.
Deux jambes pour courir ensemble, en soutenant ceux qui peinent sur le chemin et en portant ceux qui n’arrivent plus à marcher.
Deux jambes pour bien tenir sur vos skis, chers amis de ski-spi, et ainsi dévaler joyeusement les pistes de l’existence en respirant à pleins poumons l’air vivifiant et pure de l’amour de Dieu !
Saint et beau Carême à tous ! Amen.
[1] Confessions, X, 38-29, 40.